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American Sniper
3.5Note Finale

Patron, un film polémique ! Histoire de mettre immédiatement les choses au clair et de ranger le vieux Clint de 85 balais (!) dans une, voire plusieurs catégories compartimentée (voire capitonnées), il a été dit ici et là que American Sniper n’était que l’hagiographie d’un putain de héros barbare, une ode à la « grande Amérique » (celle des fachos colonisateurs culturels et plus si affinités) qui se gondole de ses instincts guerriers, un film anti-musulmans, un naufrage du à la vieillesse, un objet magnifique, terrible, patriotique, insoutenable et il en reste des caisses entières. Reste qu’au final, et comme l’a demandé un peu facilement Michael Moore, il faudrait choisir son camp entre le bien et le mal quand American Sniper veut clairement aller au-delà. Il faut avouer que le film a la fâcheuse habitude de coller aux habituelles ambiguïtés de son réalisateur. Sur ce sujet, la discussion est évidemment obligatoire.

D’un point de vue purement artistique, l’objet déploie une réalisation toujours très classique (on parle de Clint Eastwood), d’une fluidité totale, tant sur la construction que sur le montage. Pour celui dont la grande question de mise en scène reste de savoir où placer au mieux la caméra, les effets de manche et le maniérisme désormais compulsifs restent à éviter. Trop facile. Le résultat offre une mise en scène brillante, jamais clinquante ni (trop) démonstrative. Quelque chose de clinique. Et puis, American Sniper démontre une fois encore ses immenses qualités de direction d’acteurs. La transformation physique de Bradley Cooper (prise de poids, gestuelle épaisse) est aujourd’hui une chose assez peu surprenante dans l’univers hollywoodien. Sa capacité à en dire beaucoup sans prononcer un mot s’avère quant à elle plus impressionnante et prouve la pleine maturité du comédien. On sera par contre un peu plus circonspect sur le scénario signé Jason Dean Hall (auteur du très oubliable Paranoïa en 2013). En laissant l’action faire des allers-retours permanents entre le front et la vie paisible (mais parasitée) de Chris Kyle dans sa bourgade texane, la parabole du pauvre type conditionné à chasser, dès son plus jeune âge, dans une forme de transmission héréditaire qu’il reproduira lui-même avec son fiston, de ce héros malgré lui, paumé dans une spirale obsessionnelle pour éliminer son vis-à-vis, plonge le film dans une démonstration à trajectoire rectiligne, comme la balle sortie d’un fusil, éminemment glaçante sur les effets collatéraux de la guerre et les traumatismes engendrés. Ce n’est pas un hasard si, dès 2013, le cinéaste s’est engagé dans la David Lynch Foundation qui aide notamment les militaires atteints du syndrome de stress post-traumatique grâce à la méditation transcendantale (qu’il pratique personnellement depuis 40 ans). Paradoxal ?

« À l’origine, c’est Steven Spielberg qui devait réaliser le film […] la polémique aurait-elle été la même ? »

Cette mécanique narrative trop bien huilée s’avère la limite du film. En se focalisant sur la guerre comme gangrène d’un gentil couple, le film patauge dans un manichéisme sous tension, efficace et diablement ambigu, effectivement. Avec sa vision des troupes américaines bourrues mais luttant sans équivoque pour « l’axe du bien » et des autochtones irakiens, au mieux des victimes complaisantes, sinon des ennemis cinglés et barbares comme ce terroriste trouant le crane d’un enfant à la perceuse. On a fait plus léger. Dès lors, le film offre une vision géopolitique étriquée. Et si American Sniper veut avant tout rester dans la démonstration d’une tragédie humaine, d’une parabole sur un héritage trop lourd à porter (Kyle se déplace comme s’il portait le monde sur ses épaules), aux conséquences inévitables. En cela, le film ne peut se défausser totalement de la biographie du personnage qu’il décrit : un homme à l’éducation simple, biaisée par son hérédité (propagande familiale sur les liens du sang) et ce qu’on veut lui faire croire (propagande patriotique des médias). Les scènes introductives sont essentielles et ce thème de la transmission n’est pas nouveau. Eastwood le développe, patiemment, de film en film (Mystic River, Gran Torino, Million Dollar Baby etc.) avec une acuité focalisée sur l’histoire, voire la mythologie, de son pays (J. Edgar, L’échange). De même pour la contamination de la violence, par la violence, inscrite au sang dans la culture américaine (Impitoyable, Un Monde Parfait, Josey Wales Hors la Loi, Pale Rider). Il y a finalement du Capitaine Conan (Bertrand Tavernier, 1995) dans cette courbe dérisoire d’un homme qui ne trouvera de valeur que sur le front.

Si l’on replace le film dans son contexte strictement polémique, il faut noter qu’à l’origine, Steven Spielberg devait le réaliser (comme Sur la Route de Madison, mais c’est une autre histoire) avant de se désister non pas pour des raisons idéologiques, mais uniquement pour des questions de budget. Les thématiques de l’héroïsme légitimé, de la guerre et de la famille sont depuis longtemps des préoccupations majeures dans l’œuvre du réalisateur du Soldat Ryan. Il n’est pas étonnant que ce dernier ait souhaité ajouter une (lourde) pierre à son édifice. Vu d’un prisme aussi différent, l’impact aurait-il été le même ? Le questionnement patriotique aussi discuté ? La polémique aussi ample ? En regardant le film droit dans les yeux, le travail sur l’ambiguïté rend mal à l’aise. Forcément. C’est aussi l’objectif de Clint Eastwood dont la carrière (et la vie) est un manifeste entier à ce petit jeu de dupe. Et justement, si nous observons d’un peu plus près ses films de guerre précédents (Josey Wales Hors la Loi, Le Maître de Guerre et le diptyque Mémoires de Nos Pères / Lettres d’Iwo Jima), on ne pourra guère reprocher au cinéaste une vision militariste des choses. La force brute et sèche du réalisateur questionne, évidemment, par son storytelling maladroit. Le meilleur exemple de cette narration clopin-clopant reste la fin, véridique mais d’une ironie folle, dérisoire, malheureusement dégoupillée par des images d’archives qui relèvent de l’histoire telle qu’elle se déroula mais qui prête forcément le flanc aux attaques. Reste que la filmographie de Clint Eastwood plaide encore en sa faveur. Sur le fil. Encore faut-il faire un effort pour analyser la bête.

American Sniper, quoique l’on puisse en dire, reste une démonstration spectaculaire de la déshumanisation guerrière. Full Metal Jacket (Stanley Kubrick) et Voyage au Bout de l’Enfer (Michael Cimino)  l’avaient traité bien avant. En mieux. Cela n’empêche pas ce trente-quatrième film de s’inscrire dans une œuvre d’une cohérence thématique aussi passionnante que fascinante. Avec de la suite dans les idées, la réalisation suivante de Clint Eastwood intitulée Sully, traitera une nouvelle fois de l’héroïsme en évoquant l’exploit de Chesley Sullenberger, commandant de bord qui réussit en 2009 un amerrissage forcé, et sans faire de victime, sur l’Hudson River à New York. De l’autre côté du prisme. Comme une antithèse de Chris Kyle. De quoi mettre tout le monde d’accord ?

ENGLISH VERSION

JERSEY BOYS

Boss, a polemical film! Just to set the record straight immediately and to put the 85-year-old Clint (!) into one, or even several compartmentalized categories, it has been said here and there that American Sniper is nothing but the hagiography of a fucking barbarian hero, an ode to the “great America” (the one of the cultural colonizing fascists and more if you want) that swells with its warlike instincts, an anti-Muslim film, a shipwreck due to old age, a magnificent, terrible, patriotic, unbearable object, and there are still whole cases of it. The fact remains that, in the end, and as Michael Moore asked a bit easily, one should choose sides between good and evil when American Sniper clearly wants to go beyond that. It must be admitted that the film has the annoying habit of sticking to the usual ambiguities of its director. On this subject, discussion is obviously obligatory.

From a purely artistic point of view, the object deploys a still very classical direction (we’re talking about Clint Eastwood), of a total fluidity, as much on the construction as on the editing. For the man whose main directorial question is to know where to place the camera best, the now compulsive effects and mannerisms are to be avoided. Too easy. The result is a brilliant production, never flashy nor (too) demonstrative. Something clinical. And then American Sniper once again demonstrates its immense qualities in directing actors. Bradley Cooper’s physical transformation (weight gain, thick gestures) is nowadays a rather unsurprising thing in the Hollywood world. His ability to say a lot without saying a word is more impressive and proves the actor’s full maturity. On the other hand, we are a little more circumspect about the script by Jason Dean Hall (author of the very forgettable Paranoia in 2013). By letting the action go back and forth between the front and Chris Kyle’s peaceful (but parasitized) life in his Texas town, the parable of the poor guy conditioned to hunt, from a very young age, in a form of hereditary transmission that he will reproduce himself with his son, This hero in spite of himself, lost in an obsessive spiral to eliminate his opposite number, plunges the film into a demonstration with a rectilinear trajectory, like a bullet coming out of a rifle, eminently chilling on the collateral effects of war and the traumas engendered. It is no coincidence that, as early as 2013, the filmmaker became involved with the David Lynch Foundation, which helps soldiers suffering from post-traumatic stress disorder thanks to transcendental meditation (which he has personally practised for 40 years). Paradoxical?

This over-oiled narrative mechanism proves to be the film’s limit. By focusing on the war as the gangrene of a nice couple, the film wades into a Manichaeism under tension, effective and devilishly ambiguous, indeed. With its vision of drunken American troops fighting unequivocally for the “axis of good” and the native Iraqis, at best complacent victims, if not crazy and barbaric enemies like the terrorist who drills holes in a child’s skull. It’s not the lightest thing in the world. From then on, the film offers a narrow geopolitical vision. And if American Sniper wants to remain above all in the demonstration of a human tragedy, a parable on a heritage too heavy to bear (Kyle moves as if he carries the world on his shoulders), with inevitable consequences. In this respect, the film cannot totally disregard the biography of the character it describes: a man with a simple upbringing, biased by his heredity (family propaganda on blood ties) and what people want him to believe (patriotic media propaganda). The introductory scenes are essential and this theme of transmission is not new. Eastwood develops it, patiently, from film to film (Mystic River, Gran Torino, Million Dollar Baby etc.) with an acuity focused on the history, even the mythology, of his country (J. Edgar, The Exchange). The same goes for the contamination of violence, by violence, inscribed in the blood of American culture (Ruthless, A Perfect World, Josey Wales Outside the Law, Pale Rider). There is finally something of Captain Conan (Bertrand Tavernier, 1995) in this derisory curve of a man who will only find value on the front line.

If we place the film in its strictly polemical context, it should be noted that Steven Spielberg was originally supposed to direct it (like Madison Road, but that’s another story) before withdrawing, not for ideological reasons, but solely for budgetary reasons. The themes of legitimised heroism, war and family have long been major concerns in the work of Saving Private Ryan. It is not surprising that he wanted to add a (heavy) stone to his edifice. Seen through such a different prism, would the impact have been the same? Would the patriotic questioning have been as controversial? The controversy as broad? Looking at the film straight in the eye, the work on ambiguity makes one uncomfortable. It has to be. This is also the objective of Clint Eastwood, whose career (and life) is an entire manifesto for this little game of deception. And indeed, if we take a closer look at his previous war films (Josey Wales Outside the Law, The War Master and the diptych Memories of Our Fathers/Letters from Iwo Jima), we can hardly reproach the filmmaker with a militaristic vision of things. The director’s raw and dry force obviously questions his clumsy storytelling. The best example of this clumsy narrative is the ending, which is true but derisively ironic, and which is unfortunately disguised by archive footage that is history as it happened, but which inevitably lends itself to attack. The fact remains that Clint Eastwood’s filmography still argues in his favour. On the edge. It is still necessary to make an effort to analyse the beast.

American Sniper, whatever one may say, remains a spectacular demonstration of war dehumanisation. Full Metal Jacket (Stanley Kubrick) and The Deer Hunter (Michael Cimino) had dealt with it long before. And better. This does not prevent this thirty-fourth film from being part of a work of thematic coherence that is as fascinating as it is exciting. Clint Eastwood’s next film, Sully, will once again deal with heroism by evoking the feat of Chesley Sullenberger, the captain who, in 2009, managed to ditch his plane on the Hudson River in New York without causing any casualties. On the other side of the prism. Like an antithesis of Chris Kyle. Something to make everyone agree?

AMERICAN SNIPER de CLINT EASTWOOD

American Sniper (2014)

Titre : American Sniper
Titre original : American Sniper

Réalisé par : Clint Eastwood
Avec :  Bradley Cooper, Sienna Miller, Jake McDorman, Luke Grimes, Kyle Gallner…

Année de sortie : 2014
Durée : 132 minutes

Scénario : Jason Dean Hall, d’après American Sniper : l’autobiographie du sniper le plus redoutable de l’histoire militaire américaine de Chris Kyle
Montage :  Joel Cox et Gary D. Roach
Image : Karl Freund et Günther Rittau
Musique :  Gottfried Huppertz
Décors : Harry E. Otto et Dean Wolcott

Nationalité : États-Unis
Genre : Drame / Guerre
Format : couleur – 2,35:1 – son Dolby numérique

Synopsis : Tireur d’élite des Navy SEAL, Chris Kyle est envoyé en Irak dans un seul but : protéger ses camarades. Sa précision chirurgicale sauve d’innombrables vies humaines sur le champ de bataille et, tandis que les récits de ses exploits se multiplient, il décroche le surnom de “La Légende”. Cependant, sa réputation se propage au-delà des lignes ennemies, si bien que sa tête est mise à prix et qu’il devient une cible privilégiée des insurgés. Malgré le danger, et l’angoisse dans laquelle vit sa famille, Chris participe à quatre batailles décisives parmi les plus terribles de la guerre en Irak, s’imposant ainsi comme l’incarnation vivante de la devise des SEAL : “Pas de quartier !” Mais en rentrant au pays, Chris prend conscience qu’il ne parvient pas à retrouver une vie normale…

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