La première vertu de cette autobiographie du claviériste Mark Kelly est immanquablement d’avoir suscité une réaction viscérale chez Fish, l’ex-frontman du groupe, dont le sang n’a fait qu’un tour à la lecture du livre, et qui a promis de s’atteler enfin à l’écriture de ses mémoires pour donner, entre autres, sa propre lecture des évènements ayant conduit à la rupture acrimonieuse avec ses comparses de Marillion en 1988. Il faut dire que Mark Kelly y écorne sérieusement la réputation du chanteur, mettant en lumière sa personnalité complexe, son comportement foncièrement manipulateur, la fermeté de sa volonté de répartir de manière non équitable les royalties et ses dérives telles que l’abus d’alcool, de cocaïne et les « 60 cigarettes par jour » qui, non seulement, mèneront inéluctablement à une lente érosion de ses performances vocales (perceptible dès 1988) mais également induiront des délires paranoïaques générant, à leur paroxysme, une violence physique incontrôlée envers Steve Rothery, l’accusant injustement pendant les sessions de Clutching at Straws de vouloir garder ses meilleures idées pour un (hypothétique) album solo etc… Ce qui n’empêche pas l’auteur (qui a sans doute été le membre de Marillion le plus proche de Fish) de souligner son talent indéniable à de multiples égards, le considérant notamment ni plus ni moins comme l’un des meilleurs lyricistes de l’histoire du rock à l’égal de Roger Waters, Peter Hammill ou Janis Joplin.
Si de nombreux excellents ouvrages existent sur le groupe (dont le célèbre Market Square Heroes: The Authorized Story of Marillion de Mick Wall), l’autre et principale vertu de ce livre est bien entendu de nous donner pour la première fois un éclairage de la genèse et de l’histoire de Marillion, de l’intérieur, du moins à partir de l’arrivée de Mark au sein du groupe en 81. Retour sur images : balloté entre l’Irlande et l’Essex, au sein d’une fratrie de cinq enfants, l’auteur évoque le choc musical constitué par la découverte à l’âge de 13 ans de l’album de Rick Wakeman, Voyage to the Center of the Earth : une véritable révélation ! Hypnotisé par le son du minimoog le jeune Mark fait ses premières gammes dès 1976 sur un modeste Hammond Everett et amorce ainsi son parcours musical. Remarqué quelques années plus tard pendant le concert de son groupe Chemical Alice, il se voit offrir la place de claviériste au sein de Marillion par Fish et Mick Pointer en remplacement de Brian Jelleyman. Ce livre nous rappelle que l’ascension progressive du groupe n’a pas été sans heurts, EMI ayant sérieusement envisagé de se séparer du groupe au regard des ventes de Fugazi jugées décevantes. Fort heureusement le grand virage de Misplaced Childhood (l’album de la dernière chance !) remet les pendules à l’heure, offrant au groupe son plus grand succès commercial. Mark revient également sur le contexte des changements de line-up qui permirent ainsi au bassiste Pete Trewavas et au batteur Ian Mosley d’intégrer le combo. Si plus de la moitié du livre est dédiée à la période Fish, la seconde partie est tout aussi captivante, à commencer par la rencontre avec Steve Hogarth, dont le parcours et les appétences musicales ne destinaient absolument pas à devenir un jour le chanteur de Marillion. Une période assez compliquée pour le groupe avec cette lente baisse du niveau des ventes, indépendamment de la grande qualité des albums, débouchant sur une rupture définitive en 1996 avec EMI au terme du pourtant excellentissime Afraid of Sunlight (dont de nombreux titres font régulièrement partie de la set-list du groupe). Une situation qui aura néanmoins permis au groupe de reprendre en mains leur destin avec ce système novateur de crowdfunding (témoignage vivace de la loyauté des fans), de devenir totalement indépendants financièrement et de laisser libre cours à leur créativité, débutant une lente remontée vers la surface. Analyse des hauts et des bas de la carrière de Marillion, l’ouvrage couvre bien sûr les deux dernières décennies qui auront vu le groupe se repositionner au centre de l’échiquier grâce à des albums magistraux, véritable renouveau avec en point d’orgue ce concert du 13 octobre 2017, affiché complet au sein du mythique Royal Albert Hall de Londres. Mark évoque enfin longuement dans ce livre plusieurs personnages clés comme le manager John Arnison, qui aura suivi le groupe pendant près de 16 années, ou le producteur Dave Meegan, au rôle prééminent à partir de l’album Brave.
On retrouve tout au long de l’ouvrage un humour typiquement anglais (cette capacité à l’auto-dérision) et une multitude d’anecdotes, comme ce curieux mais récurrent parallèle entre Marillion et Iron Maiden. Ainsi on apprend que le célèbre producteur Martin Birch, qui prit en main la destinée du fer de lance de la New Wave of British Heavy Metal, fut un temps pressenti par le groupe avant que leur choix ne s’oriente vers Nick Tauber pour Script for a Jester’s Tear. Le livre relate également l’expérience professionnelle de Mark en tant que producteur (notamment sur le premier album de John Wesley) et mentionne cette proposition faite à Steven Wilson de travailler ensemble, proposition à laquelle le leader de Porcupine Tree ne donna jamais suite (à notre grand regret). Enfin, Marillion Misadventures & Marathons fait aussi une large part à une dimension plus intime, partageant des éléments de la vie privée de Mark Kelly qui sont autant d’éléments de contexte permettant de mieux appréhender et apprécier l’œuvre du claviériste de Marillion. Un livre absolument passionnant et empreint d’une grande humilité.
MARK KELLY – MARILLION MISADVENTURES & MARATHONS: THE LIFE AND TIMES OF MAD JACK
Titre : Marillion Misadventures & Marathons – The Life and Times of Mad Jack
Auteur : Mark Kelly
Date de sortie : 2022
Broché : –
Éditeur : Kingmaker Publishing
Dimensions : –
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