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Gran Torino
4.8TOP 2008

Après avoir fait disparaître son avatar westernien dans Impitoyable (1992), Clint Eastwood devait se trouver une digne sortie de champ pour son pendant urbain, mélange ici de Dirty Harry (les rumeurs évoquaient d’ailleurs que ce film en serait le dernier épisode) et du Sergent Highway échappé du Maître de Guerre. Un héros  raciste, réactionnaire, voire facho au col. En jouant le rôle de Walt Kowalski, ancien combattant de la guerre de Corée, l’acteur triture une nouvelle fois sa légende, avance en funambule sur l’ambiguïté (sa spécialité) et articule la narration du film autour d’une carrière cinquantenaire, avec quelques a priori solidement accrochés aux groles de ses détracteurs. Gran Torino eut été moins fascinant entre d’autres mains. Forcément. Avec Clint Eastwood, il gagne en profondeur, en non dits, en liberté de ton (sur la religion, la justice) qui le fait passer de la comédie au tragique avec cette imparable élégance et ce sens de la narration poussé par la pudeur. La sobriété est de mise dans cette découverte d’une communauté, ces rencontres avec les gangs et l’annonce d’une échéance inéluctable où le sacrifice deviendra un véritable acte de foi en l’avenir. Quitte à effleurer la figuration christique. En cela le film prolonge les réflexions entamées avec Million Dollar Baby, Mémoire de Nos Pères et Lettres d’Iwo Jima.

 

Il vous est jamais arrivé de tomber sur un mec qui fallait pas faire chier ? C’est moi. (Walt Kowalski)

 

L’économie de mots et de moyens fait parler une mise en scène formellement sèche, impressionnante de densité, de tension. En retournant ce qui pourrait transpirer des clichés rebattus, d’une trajectoire décidée à l’avance (le vieux raciste se rachète une conduite au crépuscule de sa vie), Gran Torino bascule dans des zones grises moins évidentes, retourne les attentes et joue de l’imagerie trimballée par l’acteur. Surtout, le film lève un voile de pudeur sur l’homme, un travail sur soi qui nous expose sans far les passages du temps à la lumière des nouvelles facettes d’une légende que l’on croyait connaître par cœur. Avec son personnage de misanthrope, mâchoire serrée, à la trajectoire plus complexe que purement hollywoodienne, Clint Eastwood signe une interprétation qui ne s’économise jamais d’auto-dérision, faisant de chaque moment un plaisir immédiat de cinéphile dans sa relecture icônique. Si le film tourne autour de l’acteur comme une sorte d’auto psychanalyse, il lui donne également l’occasion d’appuyer sur un humanisme jamais galvaudé autour des thèmes de l’héritage et de la transmission avec le sens, intact, de l’artisanat simple et sans fioriture. Si les termes “crépusculaire” et “testamentaire” ont pu être galvaudé à force de suremploi dans la longue carrière de Eastwood, ils acquièrent ici une véracité organique, tragique et jubilatoire que l’on imaginera définitif jusqu’à reparaître devant sa caméra, dix ans plus tard, avec La Mule. Dans son désir de regarder l’avenir en observant le passé, Gran Torino propose un regard déchirant sur le propre mythe de son réalisateur-acteur. Le resultat est un très grand film. Un requiem bouleversant.

ENGLISH VERSION

GRAN TORINO

After having made his western avatar disappear in Unforgiven (1992), Clint Eastwood was left with a worthy exit from the field for his urban counterpart, a mix here of Dirty Harry (rumours had it that this film would be the last episode) and the Hertbreak Ridge’s escaped Sergeant Highway. A racist, reactionary, even facho-like hero at the pass. Playing the role of Walt Kowalski, a veteran of the Korean War, the actor once again shatters his legend, walks a tightrope over ambiguity (a speciality) and articulates the narration of the film over a career spanning more than fifty years, with some a priori firmly clinging to the grotesques of his detractors. Gran Torino would have been less fascinating in other hands. Of course. With Clint Eastwood, he gains in depth, in unspoken words, in freedom of tone (on religion, justice) which takes him from comedy to tragedy with this unstoppable elegance and this sense of narration driven by modesty. Sobriety is the order of the day in this discovery of a community, these encounters with gangs and the announcement of an inevitable date when sacrifice will become a true act of faith in the future. Even if it means touching on the Christic figuration. In this respect, the film extends the reflections begun with Million Dollar Baby, Flag of our Fathers and Letters From Iwo Jima.

 

Ever notice how you come across somebody once in a while you shouldn’t have fucked with? That’s me. (Walt Kowalski)

 

The economy of words and means makes the formally dry, impressively dense and tense staging speak for itself. By reversing what could transpire from the old clichés, from a trajectory decided in advance (the old racist redeems himself for a conduct in the twilight of his life), Gran Torino shifts into less obvious grey areas, turns expectations upside down and plays with the imagery that the actor has been carrying around for three decades. Above all, the film lifts a veil of modesty over the man, a work on oneself that exposes us without farthing the passages of time in the light of the new facets of a legend that we thought we knew by heart. With his character of a misanthrope, with a tight jaw, whose trajectory is more complex than purely Hollywoodian, Clint Eastwood signs an interpretation that never spares itself from self-derision, making each moment an immediate pleasure for the filmgoer in his filmic rereading. If the film revolves around him as a kind of self-psychoanalysis, it also gives him the opportunity to build on a humanism never overused around the themes of heritage and transmission with the intact meaning of simple and unadorned craftsmanship. If the terms “twilight” and “testamentary” may have been overused in Clint Eastwood‘s long career, they acquire an organic, tragic and jubilant veracity here that one can imagine as definitive until, ten years later, they reappear in front of the camera with The Mule. In its desire to look to the future by observing the past, Gran Torino offers a heart-wrenching look at the very myth of its director-actor. A major film. A moving requiem.

Gran Torino - Clint Eastwood (2008)

Titre : Gran Torino
Titre original : Gran Torino

Réalisé par : Clint Eastwood
Avec : Clint Eastwood, Bee Vang, Ahney Her…

Année de sortie : 2008
Durée : 112 minutes

Scénario : Nick Schenk
Montage: Joel Cox et Gary D. Roach
Image : Tom Stern
Musique : Kyle Eastwood et Michael Stevens

Nationalité : États-Unis
Genre : Drame

Synopsis : Walt Kowalski est un ancien de la guerre de Corée, un homme inflexible, amer et pétri de préjugés surannés. Après des années de travail à la chaîne, il vit replié sur lui-même, occupant ses journées à bricoler, traînasser et siroter des bières. Avant de mourir, sa femme exprima le voeu qu’il aille à confesse, mais Walt n’a rien à avouer, ni personne à qui parler. Hormis sa chienne Daisy, il ne fait confiance qu’à son M-1, toujours propre, toujours prêt à l’usage… Ses anciens voisins ont déménagé ou sont morts depuis longtemps. Son quartier est aujourd’hui peuplé d’immigrants asiatiques qu’il méprise, et Walt ressasse ses haines, innombrables – à l’encontre de ses voisins, des ados Hmong, latinos et afro-américains “qui croient faire la loi”, de ses propres enfants, devenus pour lui des étrangers. Walt tue le temps comme il peut, en attendant le grand départ, jusqu’au jour où un ado Hmong du quartier tente de lui voler sa précieuse Ford Gran Torino… Walt tient comme à la prunelle de ses yeux à cette voiture fétiche, aussi belle que le jour où il la vit sortir de la chaîne. Lorsque le jeune et timide Thao tente de la lui voler sous la pression d’un gang, Walt fait face à la bande, et devient malgré lui le héros du quartier. Sue, la soeur aînée de Thao, insiste pour que ce dernier se rachète en travaillant pour Walt. Surmontant ses réticences, ce dernier confie au garçon des “travaux d’intérêt général” au profit du voisinage. C’est le début d’une amitié inattendue, qui changera le cours de leur vie. Grâce à Thao et sa gentille famille, Walt va découvrir le vrai visage de ses voisins et comprendre ce qui le lie à ces exilés, contraints de fuir la violence… comme lui, qui croyait fermer la porte sur ses souvenirs aussi aisément qu’il enfermait au garage sa précieuse Gran Torino…

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