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Steven Wilson - Limited Edition of One
5.0TOP 2022

Décidément Steven Wilson ne fait rien comme personne. Plus encore lorsqu’il s’agit de se livrer à cet exercice délicat de la biographie. On peut affirmer, sans risquer d’être contredit, que Limited Edition of One tranche radicalement, dans le fond comme dans la forme, avec la multitude des biographies de tout genre dans l’univers rock et au-delà. Et si Steven Wilson est épaulé pour ce faire par Mick Wall, le journaliste musical anglais référence à qui l’on doit entre-autres les biographies officielles d’Ozzy Osbourne (Diary of a Madman en 1985), de Marillion (Market Square Heroes en 1987) ou d’Iron Maiden (Run To The Hills en 1997), il ne fait en revanche aucun doute que c’est bien lui qui est à la manœuvre et a conceptualisé intégralement ce projet, nous gratifiant aujourd’hui d’un livre tout aussi singulier que son œuvre discographique.

Il y a en premier lieu le format qui évite l’écueil de la monotonie et confère une vraie dynamique au récit. En effet, la structure de l’ouvrage rompt avec le principe d’une certaine linéarité temporelle et diversifie les schémas de narration, en introduisant par exemple plusieurs « retranscriptions » des entretiens avec Mick Wall. Une originalité qui se confirme jusqu’au chapitre final qui, sous la forme d’une nouvelle, dévoile le pitch pour le moins ambitieux et complexe du prochain album solo  de Steven Wilsonprévu pour 2023 et qui aura pour titre The Harmony Codex .

Ensuite, sur le fond, ce livre s’apparente à un droit de réponse. Steven Wilson est un personnage complexe, un artiste difficile à cerner et à sérier, aux influences et goûts d’un éclectisme proverbial; de Donna Summer à Pink Floyd en passant par Abba. Un artiste qui n’est pas sans être lui-même en proie à ses propres interrogations. Au point de se questionner sur ce qui serait advenu de sa carrière si la synth-pop de No Man avait connu un plus grand succès que le prog-rock de Porcupine Tree. Le personnage interpelle et le contenu de son œuvre tout aussi prolifique que protéiforme interroge tout autant. Et comme Steven Wilson est un artiste discret qui s’est longtemps tenu éloigné des réseaux sociaux, l’ensemble de sa sphère artistique comme personnelle a fait l’objet de nombreuses spéculations, voire élucubrations. Le processus d’écriture de Limited Edition of One a donc permis à l’artiste de se livrer à une véritable introspection, l’occasion pour lui de tenter de mieux se comprendre, dans un échange constant avec Mick Wall. Et lui a également offert à dessein la possibilité de remettre les pendules à l’heure, se dévoilant et expliquant ses motivations (on appréciera à ce titre, entre autres, le passage sur la genèse de l’album polémique The Future Bites ou celui détaillant les raisons pour lesquelles il choisit d’embrasser une carrière solo), tordant le cou à de nombreuses fausses idées et espérant sans doute ainsi secrètement que, fans comme journalistes, cessent enfin de se perdre en conjectures. Il lève ainsi le voile, par exemple, sur un des nombreux traits de sa personnalité, affirmant qu’il n’est pas « un être mélancolique et déprimé », contrairement à ce qu’une interprétation de ses textes pourrait indiquer. Il reconnaît que c’est un univers qui l’intéresse (cette beauté du désespoir, comme de nombreux artistes avant lui) mais souligne qu’il serait erroné d’en tirer quelque autre conclusion. Et c’est avec beaucoup d’humour qu’il clôture ce sujet en passant en revue les chansons les plus déprimantes qu’il ait écrites à ce jour, avec en haut de la liste le splendide titre  Heart Attack in a Layby.

Le livre nous révèle également, non sans faire preuve d’auto-dérision, que Steven Wilson est un homme organisé, structuré et précis; au demeurant un homme « à listes ». Et le récit se trouve émaillé de ces fameuses « listes ». Certaines très intéressantes, notamment son top 10 des albums de tout temps,  ses 100 compositions préférées au monde (s’excusant de pas inclure le groupe Ange dont « l’étrange mélange de rock progressif et de théâtralité Brel-ienne » l’a toujours fasciné), son top 10 des albums parmi sa propre œuvre, son top 10 des meilleurs albums découverts dans sa médiathèque locale lorsqu’il était ado, son top 20 des meilleurs films, son top 10 des meilleurs livres, son top 15 des meilleurs séries (dont la série française Engrenages). Bref, suffisamment de matière pour mieux percevoir les influences multiples et préférences de l’artiste. Et d’autres listes, plus anecdotiques en revanche, comme son top 10 des meilleurs magasins de disques (révélant au passage s’être rendu en 2013 au légendaire Disk Union de Tokyo et avoir acheté en l’espace de deux heures environ 200 albums), les 10 raisons pour lesquels il ne peut être considéré comme « macho, cool ou rock star »,  son top 10 des plats végétariens et végan, etc….

Limited Edition of One aborde bien sûr les rencontres clés qui ont contribué à bâtir l’univers musical de Steven Wilson. En premier lieu, celle, fondamentale, de Tim Bowness qui a contribué à lui ouvrir de nouveaux horizons musicaux, début d’une longue collaboration placée sous le signe de la créativité et de l’expérimentation, sous le sigle du groupe No Man. Également celle de Aviv Geffen dans le début des années 2000, de laquelle sont nés les superbes albums du projet pop-prog Blackfield. Sans oublier, à la même époque, celle de Mikael Akerfeldt, dans le contexte de la coproduction de l’album d’Opeth Blackwater Park, qui amène par la suite les deux artistes à travailler ensemble sur l’album spectral de Storm Corrosion. Le livre aborde également le travail de remastérisation, autre activité parallèle de Steven Wilson, qui lui a permis de dépoussiérer de grands classiques, de King Crimson à XTCYesTears for Fears ou encore Jethro Tull. Avec cette philosophie qui le caractérise; toujours remixer « pour les gens qui ont grandi avec l’album » et non pas pour l’artiste lui-même, très certainement une des clés de sa réussite.

Le livre traduit enfin une certaine amertume. Celle d’un artiste qui n’a pas, à ce jour, obtenu le succès mainstream tant convoité, indépendamment d’un indéniable talent, et qui demeure, de facto, un artiste culte par excellence. Présenté un temps par certains, avec son groupe Porcupine Tree, comme le nouveau Pink Floyd, Steven Wilson éprouvera momentanément un regain d’espoir lors de l’enregistrement de l’album In Absentia avant de connaître une fois de plus la désillusion. Et c’est en toute franchise qu’il relate certains moments pesants de sa longue carrière, comme ce concert de Porcupine Tree le 3 Novembre 1999 en Australie devant une salle absolument vide, aussi incroyable que cela puisse paraître. On y découvre également sa réticence à jouer dans des festivals metal (réticence se transformant en profonde aversion chez Gavin Harrisonle batteur de Porcupine Tree). Les trois compères avaient d’ailleurs agréé pour la reformation du groupe de ne plus jamais poser un pied dans un festival metal, ainsi que le raconte Steven Wilson dans ce livre. C’est pourtant bien sur la scène du HellFest 2023 que s’est produit Porcupine Tree, sur la même mainstage d’ailleurs que les indéboulonnables Iron Maiden, contraignant sans doute Steven Wilson à s’en expliquer en début de show  « Le Hellfest est le seul festival metal auquel le groupe ait accepté de participer au regard de l’ouverture musical de son public ! ». Complexité du personnage, disions-nous?

En attendant un nouvel album solo, plongez-vous dans Limited Edition of One, qui, à l’image de son auteur, est la biographie la plus intéressante qu’il m’ait été donné de lire à ce jour. Absolument indispensable et toute aussi fascinante.

STEVEN WILSON & MICK WALL – LIMITED EDITION OF ONE

Steven Wilson - Limited Edition of One (2022)

Titre : Limited Edition of One
Auteur : Steven Wilson

Date de sortie : 2022
Broché : 384 pages
Éditeur : Constable
Dimensions : –

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