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Westworld
5.0TOP 2016

Il fallait du temps pour discuter du cas Westworld. Pour l’approcher. Pour l’étudier. Non pas que le seul épisode pilote ne donnait pas les indices de ce qui suivrait mais s’arrêter si tôt dans ce qui semble aujourd’hui promis à devenir une série culte, face à des arcs narratifs si retords, face à un œuvre globale si dense reviendrait à ne juger un roman que par son chapitre introductif. Et passer à côté de toutes ses subtilités narratives. Évidemment les qualités d’interprétation, de mise en scène et d’habillage (ou de déshabillage d’ailleurs) sont là, évidentes, éclatantes. Mais la nouvelle série produite par J.J. Abrams (Lost, Star Wars 7) développe de telles ambitions métaphysiques qu’une pensée a postériori semble la seule qui vaille.

Et d’ambitions il est question ici. HBO, qui n’est pas novice en la matière (Game of Thrones en témoigne) aura donc mis son plus gros budget sur la table : 100 millions de dollars pour 10 épisodes et à la clé LE vecteur d’attente de l’année. Forcément. La superproduction en impose. Aux commandes le couple Jonathan Nolan (frangin de Christopher et déjà scénariste du tourneboulé Interstellar) et Lisa Joy (Pushing Daisies) souhaitaient reprendre l’idée de Mondwest, film réalisé en 1973 par Michael Crichton (Jurassic Park) d’après son propre roman avec Yul Brynner en tête d’affiche.

Le concept était simple : un parc d’attraction propose aux visiteurs de se replonger dans une époque choisie (Far West, Rome ou Moyen-Âge). Tout est idéalement recréé (décors, accessoires, costumes) et personnifié à l’aide d’hôtes robotisés, reconnaissables uniquement à leur absence d’empreintes digitales. Ce parc permet ainsi aux plus riches de laisser libre cours à leurs pulsions. Tout va bien jusqu’au pétage de boulon de la horde robotique, hors de contrôle, qui décime les humains présents. Sur le terrain de la série B, le film s’avère aujourd’hui une formule « méta » des futures œuvres portées sur la cyber intelligence artificielle au sommet desquels trônent encore Blade Runner (1982), Ghost in the Shell (version animée, 1989) et dans un autre registre Her (2014). Notre duo de scénariste ne souhaitait pourtant pas adapter le roman, ni le film. Crichton posait des bases intéressantes d’où était exclue nombre des réflexions philosophiques qui les passionnent. Pour succéder au succès phénoménal de la série tirée de George R.R. Martin, il fallait du grain, de la matière… et la meilleure.

Malgré tout, la trame reste la même. Westworld se déroule dans un parc d’attraction futuriste, année non déterminée (hormis une notification sur un écran de contrôle), mais inscrit dans l’époque du Far West où des visiteurs toujours fortunés (30.000 dollars la journée, quand même) viennent assouvir leurs fantasmes sur des androïdes ultra réalistes, faits de chair et de sang. Ils peuvent à loisir violer, piller, tuer sans vergogne ces machines vouées à jouer leur rôle en boucle au fil de scénarii préétablis explorant les souffrances de l’âme sur des êtres désincarnés. Or, quelques lignes de code vont mettre le boxon dans cet univers trop bien huilé en introduisant la notion de conscience dans les machines. Bug imprévisible ou prémédité ? Et avec quelles conséquences ? C’est ici que la série se détache largement de son modèle. En explorant les profondeurs de la conscience et de la vie, de l’esprit bicaméral. Le livre “The Origin of Consciousness in the Breakdown of the Bicameral Mind” de Julian Jaynes s’avère une profonde source d’inspiration pour le développement de l’histoire ou plutôt des histoires proposées. Car Westworld ne se satisfait pas d’un arc narratif simple. En développant plusieurs histoires, de nombreux personnages et en fractionnant les axes temporels, le spectateur se retrouve piégé dans un puzzle narratif fascinant. Jonathan Nolan et Lisa Joy tiennent une feuille de route d’au moins cinq saisons et se laissent le temps de développer les choses. Deux à trois ans entre chaque livraison ! Hors norme évidemment. Mais du temps il en faudra pour explorer, épuiser les champs du possible de la série.

La notion de réalité est ainsi mise en péril. Western classique en apparence avec ses nombreux archétypes, nous découvrons Dolorès, fille de fermier ingénue (Evan Rachel Wood, une révélation), son amoureux Teddy (James Marsden), la tenancière du bordel Maeve (Thandie Newton impressionnante), la pute au grand cœur, des bandits, des indiens, l’armée même, les fusillades, les attaques de trains, le tout planté dans des décors grandioses, des villes et villages reconstitués, à l’identique, grand espaces à la Monument Valley, la montagne, la plaine et même la mer. Où tout cela se situe-t-il ? Nous ne le savons pas. Pas encore. Mais tout est le fruit d’un travail collectif réparti entre le Dr. Robert Ford (subtil homonyme de l’homme qui assassinat Jesse James) un concepteur vieillissant (Anthony Hopkings royal), son assistant Bernard (Jeffrey Wright) et un scénariste mégalo (Simon Quaterman). Au petit jeu de la manipulation interne de Davos, la multi-nationale gestionnaire, s’imbrique le multi-dimentionnel du libre arbitre, de la conception du réel et du maître mot de la série : la liberté. Celle de pensée, d’agir, de vivre, tout simplement.

Embarquée autour de multiples références (Shakespeare et la mythologie grèque notamment), la métaphysique s’insinue au fil d’épisodes qui pourraient sembler lents si le rythme proposé n’était pas idéal pour poser toutes les bases du récit à venir. Multiplier les axes reste ainsi la proposition la plus adéquate pour tenir le spectateur dans ses filets et l’inciter à suivre l’aventure de ces personnages, pris au piège de notre couple de scénaristes, véritable maîtres de la story. Comme une mise en abîme.

Nous suivons alors les choses. Interpellés. A la fois intrigués et compatissants pour ces machines, vouées à revivre leur « boucle », à être reprogrammées, leurs souvenirs effacés comme un tas de vies vécues sans mémoire. Ou presque. Le parc fait alors ressurgir le pire de l’humanité. Le Docteur Ford ne s’y trompe pas lorsqu’il déclare les machines plus « belles » que les humains. A voir le comportement de ses congénères, le doute est difficilement permis. Si certains parviennent à se questionner sur leurs relations à la vie et à la mort (Bernard), c’est pour effacer un trauma familial (perte d’un enfant) dans une relation sentimentale cachée et inavouable, ou vivre seul et trinquer avec un vieux robot moisissant, au milieu de ses souvenirs reconstitués (Ford et sa « famille »). C’est triste. Complexe. Plein d’émotions. Paradoxalement froides pour les humains (hormis William) et sincère pour les humanoïdes.

Évidemment, Westworld reste de la SF alambiquée et référentielle avec quelques réminiscences du film d’origine (le fameux grand incident trente ans auparavant, la silhouette du personnage de Yul Brynner). Rien qui ne nuise vraiment aux questions (qu’est-il vraiment arrivé à Arnold, le co-fondateur du parc ?) ni aux coups de théâtre. Ces derniers se font attendre mais ne sont pas piqués des hannetons pour autant. Certains lui reprocheront un côté lisse. Pourtant, l’enveloppe est des plus séduisantes. Entre une esthétique jamais pompière, ni tape à l’œil, une réalisation au cordeau (Jonathan Nolan notamment), une ambiance sonore maline qui verse entre musique originale (Ramin Djawadi) et adaptations osées (Soudgarden, Radiohead, Black Old Sun etc.) et la tension dramatique qui joue des nœuds tissés au fil des récits, Westworld parvient à insuffler une énergie prégnante, hypnotique, qui ne s’emballe jamais pour mieux ménager ses effets. Le personnage de l’Homme en Noir (Ed Harris) tient ainsi le pari de cette complexité, symbole de la violence purgative, de la culpabilité cachée, un louvoiement du manichéisme qui fait un bien fou au pays du storytelling bordé, margé et calculé.

Si le fil tissé peut paraître compliqué, complexe voire complètement retord, il faut avouer que les auteurs, bien aidés par une mise en scène magnifique de précision et des interprètes très haut de gamme, ont réussi un numéro d’équilibriste rare entre une narration classique déstructurée et des questionnements philosophiques ardus qui ne se lassent pas de porter les débats vers le haut. Petit à petit, la série gagne en profondeur en pouvoir de fascination, jusqu’au dénouement époustouflant d’une première saison, cohérente, pleine de promesses et qui nous ouvre des perspectives gigantesques. Rendez-vous pris pour dans dix-huit mois pour poursuivre l’exploration de ce nouveau monde.

WESTWORLD

Westworld (2016)

Titre : Westworld
Saison : 1

Showrunner : Jonathan Nolan & Lisa Joy
Avec : Anthony Hopkins, Evan Rachel Wood, James Marsden, Ed Harris, Jeffrey Wright…

Année de sortie : 2016
Durée : 9×60 min + 1×90 min

Réalisation : Jonathan Nolan, Vincenzo Natali, Neil Marshall, Richard J. Lewis etc.
Scénario : Jonathan Nolan & Lisa Joy basé sur le roman “Westworld” de Michael Crichton
Image : Brendan Galvin, Robert McLachlan, Paul Cameron, David Franco, Jeffrey Jur
Musique : Ramin Djawadi
Nationalité : États-Unis
Genre : Science Fiction
Chaîne : HBO

Synopsis : A Westworld, un parc d’attractions dernier cri, les visiteurs paient des fortunes pour revivre le frisson de la conquête de l’Ouest. Dolores, Teddy et bien d’autres sont des androïdes à apparence humaine créés pour donner l’illusion et offrir du dépaysement aux clients. Pour ces derniers, Westworld est l’occasion de laisser libre-cours à leurs fantasmes. Cet univers bien huilé est mis en péril lorsqu’à la suite d’une mise à jour, quelques robots comment à adopter des comportements imprévisibles, voire erratiques. En coulisses, l’équipe, qui tire les ficelles de ce monde alternatif, s’inquiète de ces incidents de plus en plus nombreux. Les enjeux du programme Westworld étant énormes, la Direction ne peut se permettre une mauvaise publicité qui ferait fuir ses clients. Que se passe-t-il réellement avec les androïdes ré-encodés ?.…

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