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The Guilty
1.5Note Finale

De la pertinence d’une adaptation. On sait que Hollywood n’a plus d’idées ou presque. Engoncé dans sa logique de franchises, le box-office annuel témoigne de la cannibalisation progressive des suites et autres univers étendus sur l’imaginaire ou, à minima, l’originalité. En 2019, le Top 10 était totalement phagocyté par les suites de Star Wars, Marvel, DC et Disney et 2021 n’est pas forcément plus folichon avec Free Guy et Jungle Cruise encore en course en dehors de tout univers étendu. Du coup, quand sort The Guilty en 2018, la lumière s’allume à tous les étages et Jake Gyllenhaal achète immédiatement les droits. Ce premier film danois signé Gustav Möller pour une somme assez dérisoire (500.000 euros à tout casser) avait de quoi éveiller l’attention. Le concept est minimaliste : un policier du centre d’urgence prend un appel d’une femme prétendue enlevée. Une dramaturgie maîtrisée avec le trio classique unité de temps, de lieux et d’action, une direction d’acteur impeccable (Jakob Cedergren y est formidable) et surtout un travail sur le son absolument bluffant évitait au film de sombrer dans une quelconque forme de théâtre filmé. L’intrigue pouvait dès lors se déployer sur le fil d’une tension maintenue de bout en bout, palpable, jusqu’au dénouement charbonneux, dérangeant, nihiliste. Les critiques furent excellentes et le film recevra plusieurs Robert Awards, l’équivalent danois de nos César dont meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur acteur. Mérité. Les critiques européennes et américaines s’emballent pour ce petit prodige et forcément Hollywood ne pouvait rester les bras croisés. Il fallait bien balancer le projet dans la série des remakes inconséquents, pas très loin de Ring et Old Boy, avec cette furieuse habitude de se croire plus malins que les autres et qu’il est toujours possible d’enfoncer un cube dans un cercle. Nic Pizzolatto (True Dectective) se charge de l’adaptation mais les choses se gâtent avec l’arrivée de Antoine Fuqua (Training Day, Les 7 Mercenaires) derrière la caméra. Le réalisateur n’est pas spécialement réputé pour la subtilité de sa mise en scène mais avec l’assurance d’avoir Jake Gyllenhaal au premier plan le projet peut avancer et voir Netflix débouler tranquillement pendant la pandémie afin cachetonner tout ça. Le casting s’étoffe – Ethan Hawke, Peter Sarsgaard, Riley Keough, Paul Dano – et c’est dans la boîte. Seulement voilà, le ripolinage multicouches de la machinerie hollywoodienne allait aussi rapidement que sans vergogne dénerver le concept et lui retirer cette âme noire d’encre qui lui collait à la pellicule.

Fatum. En réalité, trois facteurs viscéraux viennent dissoudre le remake de l’intérieur. D’une part l’écriture, qui édulcore le personnage principal pour en faire un archétype classique de flic en déréliction, pas foncièrement antipathique car il faut bien que le spectateur puisse s’identifier à lui. Faut pas déconner. Le personnage original avait pour lui ses airs peu amènes, ce mépris larvé pour le travail de ses collègues. La geste du personnage en était d’autant plus émouvante. Le pathos de la version américaine, lui, ne se contient pas, ou trop peu, que ce soit dans les réactions plus exacerbées, comme dans le jeu des comédiens à distance. Problème d’une langue qui rendrait le concept moins fantasmagorique ? Peut-être. Le danois avait ceci de nous plonger réellement dans un univers inconnu, où il était plus difficile d’identifier les codes émotionnels. Mais qu’importe ! Le scénario tente de jouer sur d’autres tableaux, replace les grands incendies de Californie dans la tragédie en cours, ajoute des problèmes respiratoires au “héros” sans véritablement apporter quoi que ce soit à l’intrigue, jusqu’à cette idée que « les gens brisés peuvent aider les gens brisés ». Merci bien. Au-delà de la morale pré-adolescente débitée ici, de cette fichue culpabilité qui plane sans pour autant subvertir à la morale habituelle, le script ne parvient jamais à faire suffoquer le spectateur et se permet lâchement un retournement de situation inédit qui efface derechef la noirceur brutale et glauque de l’original.

Qu’on ne s’y trompe pas, cette dilution est renforcée par la réalisation. C’est le deuxième élément de la réaction en chaîne. Difficile de se départir du film de Gustav Möller sur la base d’une histoire censée rester entre quatre murs. Alors quoi ? Antoine Fuqua ne s’embarrasse pas de si peu et pour échapper à l’exercice de style. Il n’hésite pas à offrir des vues extérieure par l’intermédiaire d’immenses écrans, et gratine son film de flashs nébuleux afin d’illustrer quelques actions que le héros et le spectateur sont censés vivre sur un strict plan sonore. Cette simple idée, qui vient court circuiter le concept même du film, se transforme en point rupture narratif qui, à l’image de son script, cherche à jouer de la tension des situations préexistantes, tout en les évidant de leur substance. Plus communément, c’est aussi ce qu’on appelle se tirer une balle dans le pied.

Dommage collatéral des deux précédents points, et derniers facteur purgatif de l’entreprise, l’interprétation de Jake Gyllenhaal navigue sur un fil narratif qui ne suit pas les règles établies et une réalisation qui tente vainement de jouer sans carte en main. Ce bon Jack étant un acteur efficace, il s’acquitte plutôt bien de sa tâche, mais voilà, son personnage doit jouer des excès habituels pour donner le change quand il suffisait d’un regard à Jakob Cedergren pour intensifier les choses, pour leur donner corps. Hollywood, dans sa grande tradition de stabyloteur compulsif, souligne, surligne, encore et toujours, quitte à trouer la page et le spectateur de passer au travers. A force d’en faire des tonnes, le film quitte l’espace de jeu de son modèle original qui savait rester à hauteur d’homme. Une place aujourd’hui honnie par la plupart les productions à vocation mercantile.

Pire qu’un film raté, à qui l’on pourrait pardonner bien des choses, The Guilty se transforme alors en un film sans âme et pour tout dire inutile. A ce petit jeu, il faut se rendre à l’évidence d’un projet qui n’avait aucune raison d’être. Et sans dévoiler quoi que ce soit, l’ultime comparaison sur la scène finale tiendra alors lieu d’arbitre définitif. Entre des aveux publics jusqu’au-boutistes et de grimaçantes révélations privées, entre la porte ouverte vers une désintégration par la culpabilité et la symbolique toute en subtilité d’une cuvette de chiotte pour le purgatoire à venir, choisis ton camp camarade.

Note : Sur cette notion de culpabilité traitée à l’écran, je ne peux que vous renvoyer au travail de Paul Schrader et notamment ses deux derniers films : Sur le chemin de la rédemption (2017) et The Card Counter qui sortira en décembre.

ENGLISH VERSION

The relevance of an adaptation. We know that Hollywood has run out of ideas. Engrossed in its logic of franchises, the annual box-office bears witness to the progressive cannibalisation of sequels and other extended universes over imagination or, at the very least, originality. In 2019, the Top 10 was totally phagocyted by Star Wars, Marvel, DC and Disney sequels, and 2021 is not necessarily better with Free Guy and Jungle Cruise still in the running outside any extended universe. So when The Guilty was released in 2018, the lights went on all over the place and Jake Gyllenhaal immediately bought the rights. This first Danish film by Gustav Möller for a rather derisory sum (500,000 euros at most) had enough to arouse attention. The concept is minimalist: a policeman at the emergency centre takes a call from a woman who is allegedly kidnapped. A masterful dramaturgy with the classic trio of unity of time, place and action, impeccable direction of the actors (Jakob Cedergren is formidable) and above all an absolutely bluffing work on the sound prevented the film from sinking into any form of filmed theatre. The plot could then unfold on the edge of a tension maintained from start to finish, palpable, until the smoky, disturbing, nihilistic denouement. The reviews were excellent and the film received several Robert Awards, the Danish equivalent of Academy awards, including best film, best director and best actor. Deservedly so. The European and American critics went crazy for this little prodigy and Hollywood could not stand by and watch. The project had to be thrown into the series of inconsistent remakes, not far from Ring and Old Boy, with this furious habit of believing that they are smarter than the others and that it is always possible to put a cube in a circle. Nic Pizzolatto (True Detective) is in charge of the adaptation, but things go wrong with the arrival of Antoine Fuqua (Training Day, The 7 magnificents) behind the camera. The director isn’t particularly known for the subtlety of his direction but with the assurance of having Jake Gyllenhaal in the lead the project can move forward and see Netflix quietly roll in during the pandemic to seal the deal. The cast is fleshed out – Ethan Hawke, Peter Sarsgaard, Riley Keough, Paul Dano – and it’s in the can. But then the multi-layered Hollywood machinery quickly and shamelessly stripped the concept of its inky black soul.

Fatum. In reality, three visceral factors dissolve the remake from within. On the one hand, the writing waters down the main character to a classic archetypal cop in dereliction, not fundamentally unsympathetic because the viewer must be able to identify with him. Don’t mess around. The original character had his unsympathetic airs about him, his latent contempt for the work of his colleagues. This made the character’s gesture all the more moving. The pathos of the American version, on the other hand, is not contained, or not contained enough, whether in the more exacerbated reactions, or in the acting from a distance. Is this a problem of a language that would make the concept less phantasmagorical? Perhaps. The Danish language had the ability to really immerse us in an unknown universe, where it was more difficult to identify the emotional codes. But who cares! The script tries to play around, puts the big California fires into the ongoing tragedy, adds breathing problems to the “hero” without really adding anything to the plot, until the idea that “broken people can help broken people”. Thanks a lot. Beyond the pre-adolescent morality spouted here, this damn guilt that hovers without subverting the usual morality, the script never manages to suffocate the viewer and loosely allows itself an unprecedented turn of events that erases once again the brutal and gloomy darkness of the original.

Make no mistake, this dilution is reinforced by the direction. This is the second element of the chain reaction. It’s hard to get away from Gustav Möller’s film on the basis of a story that’s supposed to stay within four walls. So what? Antoine Fuqua doesn’t bother with so little and to escape the style exercise. He doesn’t hesitate to offer exterior views through huge screens, and scratches his film with nebulous flashes in order to illustrate some of the actions that the hero and the spectator are supposed to experience on a strict sound level. This simple idea, which short-circuits the very concept of the film, is transformed into a narrative breaking point which, like its script, seeks to play on the tension of pre-existing situations, while at the same time stripping them of their substance. More commonly, this is also what we call shooting ourselves in the foot.

Collateral damage of the two previous points, and the last purgative factor of the enterprise, Jake Gyllenhaal’s interpretation navigates on a narrative thread that does not follow the established rules and a direction that vainly tries to play without a card in hand. The good Jack is an effective actor and does his job rather well, but his character has to play with the usual excesses to give the impression that he’s not the only one who needs a glance from Jakob Cedergren to intensify things, to give them substance. Hollywood, in its great tradition of compulsive stabler, underlines, highlights, over and over again, even if it means leaving a hole in the page and the viewer to get through it. By dint of overdoing it, the film leaves the playing field of its original model, which knew how to remain at human level. A place that is nowadays despised by most of the productions with a commercial vocation.

Worse than a bad movie, which could be forgiven for many things, The Guilty is then transformed into a soulless and useless film. In this game, we have to face the fact that the project had no reason to exist. And without revealing anything, the final comparison on the final scene will then be the final arbiter. Between public confessions and grimacing private revelations, between the open door to disintegration through guilt and the subtle symbolism of a toilet bowl for the purgatory to come, choose your side comrade.

 

Note: On this notion of guilt treated on screen, I can only refer you to the work of Paul Schrader and in particular his last two films: First Reformed (2017) and The Card Counter which will be released in December.

The Guilty - Antoine Fuqua (2021)

Titre : The Guilty

Réalisé par : Antoine Fuqua
Avec : Jake Gyllenhaal, Ethan Hawke, Riley Keough, Christina Vidal, Mitchell Eli, Paul Dano, Peter Sarsgaard…

Année de sortie : 2021
Durée : 90 minutes

Scénario : Nic Pizzolatto
Montage: Jason Ballantine
Image : Maz Makhani
Musique : Marcelo Zarvos

Nationalité : États-Unis
Genre : Thriller

Synopsis : Relégué au centre d’appels d’urgence, un inspecteur de police tente de sauver une interlocutrice au fil d’une rude journée riche en révélations et règlements de compte…

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