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Nous avons eu le plaisir de rencontrer le leader de Mandoki Soulmates, Leslie Mandoki, à l’occasion de la sortie de Utopia for Realists– Hungarian Pictures, un album exceptionnel à deux titres : tout d’abord parce que ce disque, enregistré avec des musiciens incroyablement talentueux, conjugue la dimension symphonique du prog rock avec la virtuosité du jazz rock, sur la base des partitions de Bela Bartok combinées à des compositions plus personnelles de Leslie. Et également parce que ce disque est porteur d’un message dont la force n’a d’égale que l’authenticité, avec cette idée maîtresse que la musique a le pouvoir de rassembler les hommes pour répondre aux défis de notre ère. Une interview passionnante, hors des sentiers battus, avec une personnalité emblématique de l’univers prog-rock. A lire en urgence.

Bonjour Leslie, je suis très heureux de pouvoir échanger avec toi. Je sais que tu enchaines les  interviews ces derniers temps pour promouvoir Hungarian pictures – Utopia for realists et j’espère ne pas t’assommer avec des questions que l’on t’a déjà posées dix mille fois ! 

LESLIE MANDOKI : Permets moi de replacer tout cela dans son contexte. Je te suis très reconnaissant d’être venu aujourd’hui pour cette interview parce que tu as un rôle clé, celui de faire passer des messages à un public plus large. Si j’étais un politicien, je dirais qu’il faut absolument protéger la profession des journalistes de presse et ce, plus que jamais car nous faisons face à un extrémisme grandissant dans notre société. Et c’est dû aux réseaux sociaux où tout un chacun se croit journaliste. Mais la réalité, bien entendu, est que tous ces gens ne sont pas des journalistes. Ils n’en ont ni les prérequis intellectuels, éthiques, moraux, ni l’éducation ou le savoir-faire etc… Alors oui, je me battrais pour que les journalistes, qui jouent un rôle essentiel, soient protégés. La musique elle-même est un instrument contre le radicalisme et l’extrémisme. D’ailleurs, le rock progressif a toujours eu une dimension politique. Je me suis lié d’amitié avec Mikhaïl Gorbatchev après tous les événements que nous connaissons (Ndlr : la chute du communisme et l’éclatement de l’Union soviétique en 1991). Je travaillais pour lui dans le cadre d’un projet caritatif. Il m’a dit : « Tu sais, le rock progressif a toujours été la musique des étudiants intellectuels et des mouvements de liberté. Et c’est la raison pour laquelle nous avons essayé de le museler et de l’empêcher de se développer ». Avec la perestroïka, la maison de disques, détenue par l’état, a sorti Aqualung (Ndlr : Jethro Tull) ! Pour moi, c’était le signe que le pays allait vers plus de liberté. Gorbatchev a reconnu à quel point la musique rock avait joué un rôle important dans l’amélioration du monde et de quelle manière, également, elle avait contribué à abattre le rideau de fer.

Est-ce que tu crois que le rock progressif a d’une certaine manière souffert d’être, aux yeux du grand public, la musique des intellectuels? 

LESLIE MANDOKI : Non, je ne pense pas qu’il y ait eu un problème entre le rock progressif et le public. Le vrai problème est venu des maisons de disques. Cette pollution sonore, appelée musique pop (Ndlr : rires), est si bon marché à produire. Pas besoin de studio. Besoin de rien ! Le rock progressif touche encore beaucoup de monde et a toujours de nombreux fans. Mais si tout part à volo aujourd’hui , c’est parce qu’il y a eu un changement de paradigme. On a assisté au même phénomène avec la presse. Le tirage des magazines papier est en baisse. Le monde numérique n’a pas besoin du même soutien financier…

« La musique a une vraie capacité à rassembler. Bartok lui-même croyait fermement que la diversité culturelle est une grande source de richesse. À l’époque, ce qu’il faisait avec sa musique avait pour objectif d’unir les gens contre la menace du national-socialisme. »

Tu as eu une vie artistique très riche. Si tu devais présenter Leslie aux lecteurs d’AMAROK, que dirais-tu ? 

LESLIE MANDOKI : Un musicien qui, dans ses plus jeunes années, pensait qu’il allait être poète ou peintre. D’ailleurs, je peins toujours et je continue à écrire des textes. Mon père était musicien et il a dit, « Tu dois à ton talent de devenir un musicien ». Il est décédé quand j’avais seize ans. Il m’a dit, sur son lit de mort, « Mon garçon, promets-moi que mes petits-enfants ne vont pas juste lire Sergents Peppers ». Je lui ai répondu “Papa, il y a le rideau de fer…”. Il m’a répondu “Trouve ton chemin et suis le. Vis tes rêves plutôt que de rêver ta vie“. C’est ce que j’ai fait. Cela a fait de moi un réfugié. Cela a fait de moi un musicien. Cela a fait de moi qui je suis. J’ai construit un studio d’enregistrement en Allemagne de l’Ouest. Et c’est aussi la raison pour laquelle je suis, aujourd’hui, aussi indépendant qu’un musicien peut l’être.

Comment es-tu passé du rêve à la réalité dans cet univers de la musique en mode pro ? 

LESLIE MANDOKI : J’avais 22 ans lorsque je me suis mis en tête d’échapper au système communiste. Je n’avais pas de passeport. J’ai rencontré pas mal d’ennuis en Hongrie parce que j’étais, en quelque sorte, un combattant de la liberté (Ndlr : Leslie a été emprisonné plusieurs fois). J’étais la voix des étudiants. Je montais des concerts dans lesquels je réclamais la liberté de parole pour la presse. Ce ne plaisait pas franchement aux communistes. J’ai fini par fuir le pays par un tunnel avec deux de mes amis; Lazlo Bencker, qui était le claviériste du groupe avec lequel je jouais alors, et Gabor Csupo. Nous étions des migrants illégaux, ne parlant pas un mot d’allemand. J’étais le seul à parler anglais. Nous nous sommes finalement retrouvés dans un camp de réfugiés en Allemagne où nous avons sollicité l’asile. Je me souviens que l’officier nous a demandé « OK, je comprends que tu veuilles échapper au communisme. Mais qu’est-ce que tu vas faire ici ? Quels sont tes projets?”. C’est le genre de questions qu’on vous posait à l’époque. J’ai répondu « Je suis venu jouer avec Ian Anderson de Jethro Tull et Al Di Meola » (Ndlr :Rires). Ce qui est plutôt drôle c’est qu’en 1992, Ian Anderson et Al Di Meola, ainsi que Jack Bruce (Cream) sont devenus, avec moi, les membres fondateurs de Mandoki Soulmates. Ensuite, l’officier a regardé Gabor et lui a posé la même question. Gabor a répondu “Ici ? Rien ? Ce que je veux c’est aller à Hollywood et créer mon propre studio de dessins animés ». Et son premier succès a été Les Simpson (Ndlr : Gabor a fondé le studio d’animation Kmasky Csupo, produisant des émissions références dans le paysage audiovisuel de l’époque). Tu vois, nous avions un rêve et nous avons vécu ce rêve. Après l’expérience du camp de réfugiés, j’ai bossé très dur comme batteur pour de grands groupes. Je me suis acheté mes propres instruments. Au bout de 6 mois, nous sommes allés à Munich dans un vieux bus Volkswagen délabré avec plus de 300 000 km au compteur. Mais, le plus important c’est que nous avions les meilleurs instruments au monde ! J’avais gardé le numéro de téléphone d’Udo Lindenberg (Ndlr : célèbre chanteur, batteur et compositeur allemand dans les années 70-80). Nous nous étions rencontrés auparavant dans un festival en Europe de l’Est. Nous avions joué ensemble dans une jam session. Je l’ai appelé et lui ai expliqué la situation. Et il m’a donné une chance. Il m’a présenté dans une session d’enregistrement. C’étaient les années 70. Les Rolling Stones étaient à Munich. Donna Summer travaillait à Munich. Freddie Mercury vivait à Munich. Deep Purple enregistrait à Munich. Il y avait à Munich une énorme scène. J’étais un jeune type qui était capable de jouer de nombreux styles. Alors j’ai pu vite faire partie de cette scène. La vie reprenait. Je suis aujourd’hui encore extrêmement reconnaissant envers Udo Lindenberg car, sans lui, je n’aurais pas bénéficié de ces premières rencontres déterminantes pour la suite.

Quelles ont été tes premières influences musicales et comment se sont-elles développées au fil du temps ? 

LESLIE MANDOKI : Tout a commencé avec Jethro TullKing Crimson, etc… tous ces grands groupes de rock progressif britanniques. Et puis, vers mes dix-sept-dix-huit ans, j’ai été très impressionné par ce style jazz rock et fusion new-yorkais développé par Al Di Meola, le Mahavishnu Orchestra, Miles Davis etc… A l’époque, mon ambition musicale a été, très vite, de créer quelque chose comme Jethro Tull, avec toute cette richesse mélodique, harmonique et rythmique, mais en jouant avec la virtuosité d’Al Di Meola, Bill Evans ou Mike Stern. C’était l’idée et … c’est toujours l’idée !

Leslie Mandoki, Studio 1, Tutzing

« Bela Bartok a inventé le rock progressif avant même que le rock progressif ne soit né. »

Tu as eu des musiciens incroyablement talentueux à tes côtés. Certains jouent avec toi depuis des lustres. Comment pilotes-tu un tel concentré de talents, comme de personnalités, pour chacun de tes projets ? Comment les amènes-tu à contribuer au processus créatif ? 

LESLIE MANDOKI : Nous avons une compréhension mutuelle de ce qu’est la musique : un art collectif. Ce n’est pas comme peindre ou écrire des poèmes et des livres qui relève plus d’un art solitaire. Ici, tu as besoin, pour créer quelque chose de grand, d’un groupe de musiciens, d’ingénieurs, de techniciens etc… C’est un peu comme le journalisme. Tu ne crées pas un magazine seul. C’est la même chose pour nous. Et c’est cette collaboration qui rend la création musicale en studio et sur scène si spéciale. Et les musiciens n’agissent pas comme de simples musiciens de studio. Nous sommes un groupe à part entière, où tout le monde a le plus grand respect pour la musique et la façon dont nous la créons. Nous avons un profond respect pour la musicalité de chacun. Nous avons cette propension à apprécier pleinement ce moment spécial de la vie, ce moment précis où nous créons de la musique ensemble, où nous ressentons l’amour de la vie, l’amour de la musique et l’amour que nous nous portons les uns envers les autres. D’ailleurs, nous avons tous le même respect pour le public. Il ne s’agit donc pas pour moi de seulement créer de la musique avec tous ces musiciens légendaires et hors-norme. La magie est de parvenir à créer de la musique d’une manière à ce que tout le monde puisse ressentir et entendre l’autre, pour donner le meilleur de lui-même. (Ndlr : Jack Bruce a dit “Quand nous nous réunissons, nous devenons un groupe. Et quand Leslie écrit des chansons et propose les arrangements, il perçoit immédiatement qui va faire quoi. La seule personne qui me vienne à l’esprit à avoir ce talent c’était Duke Ellington“. De même, Al Di Meola a mentionné “Les grands producteurs ont cette capacité à rassembler les musiciens. Et c’est ce qu’il fait. Il faut de la persévérance en tant que producteur. Leslie est le Quincy Jones hongrois)

Y a-t-il d’autres musiciens avec lesquels tu aurais aimé jouer ? 

LESLIE MANDOKI : Je suis très heureux que tous les musiciens avec lesquels je rêvais de jouer aient rejoint notre groupe. Et comme nous ne rajeunissons pas, c’est pas mal d’avoir quelques jeunes talents qui nous rejoignent. Je pense à Richard Bona ou encore Cory Henry qui n’avait que trois ans lorsque nous avons fondé notre groupe. Ou à ma fille Julia qui n’a que 27 ans. Tu vois, cette expérience musicale est aussi un pont entre les générations. Nous avons également Randy Brecker et Till Brönner à la trompette qui illustrent ce fossé générationnel. Mandoki Soulmates est une grande famille qui compte en son sein d’excellents et célèbres musiciens de tous âges.

« La cupidité, la haine et l’égoïsme divisent notre société en Allemagne, au sein de l’Europe et dans le monde. Avec mes chansons, je veux connecter les gens au lieu de les diviser. »

Tu as mentionné dans une précédente interview que « Mandoki Soulmates est une communauté musicale partageant un certain nombre de valeurs ». Quelles sont ces valeurs clés ? 

LESLIE MANDOKI : Ces valeurs partagées, très personnelles, renvoient à un socle très familial. Il s’agit de la façon dont nous nous ouvrons les uns aux autres. Avec une foi aveugle et une confiance absolue dans la musicalité et le caractère de l’autre. Nous partageons, comme je te le disais, ces fondamentaux que sont l’amour de la musique et le respect du public.  Et ce sentiment que nous jouons de la musique pour un monde tout simplement meilleur. Ce qui fait qu’il n’y pas de problèmes d’ego entre nous. Voilà les forces motrices de Mandoki Soulmates.

En tant que producteur, tu as travaillé pour différents artistes, certains très mainstream. Comment as-tu abordé ces projets et que penses-tu apporter à ces artistes ? 

LESLIE MANDOKI : J’ai une vision très américaine du rôle de producteur. Je pense que mon rôle est de créer de la valeur ajoutée pour l’artiste. Mon travail consiste à les aider à développer ce qu’ils ne pourraient pas faire sans moi. Je ne suis pas le genre de producteur qui crée un son spécifique unique, généralement parfait pour un segment musical (un trait de caractère des producteurs allemands) et où finalement, peu importe qui va chanter ! Ce n’est pas mon approche. Et de toute façon je n’ai pas ce talent pour créer un son universel qui irait à tout le monde. Mon rôle est d’avoir une vraie vision, d’emmener les artistes ailleurs et de les aider à se concentrer sur de nouvelles dimensions. Comme j’ai pu le faire, par exemple, avec Jennifer Rush, en essayant de la guider, grâce à mon savoir-faire, pour faire en sorte qu’elle soit réellement elle-même (Ndlr : Lionel Ritchie a également dit “Leslie est venu me voir avec cette idée fabuleuse et notre collaboration s’est très bien passée”). Et surtout lorsqu’il s’agit de jeunes artistes, j’essaie de leur apporter ce soutien.

Et en retour, qu’as-tu appris de ces expériences ? 

LESLIE MANDOKI : Une chose que j’ai apprise de Joshua Kadison (Ndlr : chanteur et pianiste américain avec plusieurs hits dans le Top 40 US) est qu’il ne faut pas se restreindre à vouloir impérativement composer sur ton instrument. Parfois, tu peux juste simplement aller marcher. Ecrire dans ta tête. Bref, devenir indépendant de ton environnement. C’était un enseignement fantastique.

Venons-en à l’album maintenant, peux-tu nous en dire plus sur la genèse de « Hungarian pictures – Utopia for realists » 

LESLIE MANDOKI : Ce n’était pas mon idée au départ. Je participais avec Mandoki Soulmates à un énorme show intitulé Les 50 ans du rock  (Ndlr : Leslie était le directeur musical de ce show pour le compte de Thomas Gottschalk au début des années 2000). Le groupe à l’époque comprenait alors en son sein Peter Frampton à la guitare (Ndlr : The Herd, Humble Pie), Jack Bruce à la basse (Ndlr : Cream), Greg Lake à la guitare acoustique (Ndlr : ELP). Nous avions aussi Ian Anderson (Ndlr : Jethro Tull), Bobby Kimball (Ndlr : Toto) et Chris Thompson (Ndlr : Manfred Mann’s Earth Band). Jon Lord à l’orgue Hammond (Ndlr : Deep Purple) faisait également partie du groupe. Pendant les répétitions, Jon Lord et Greg Lake m’ont dit « Leslie, on aimerait te parler de Bela Bartok. Tu es hongrois, tu connais forcément ! ». J’ai dit “Bien évidemment, j’ai grandi avec Bela Bartok !”. C’était plutôt drôle ! Greg m’a confié « Le choix premier d’ELP n’était pas de reprendre Pictures at an exhibition (Ndlr : Modeste Moussorgski). Nous voulions plutôt reprendre Hungarian Pictures. Mais nous n’avons pas pu en obtenir les droits. Les petits-enfants de Bela Bartok ne nous en ont pas donné la permission ». Après ces concerts nous nous sommes retrouvés à Londres et avons essayé d’enregistrer un début de structure au piano. Mais une fois de plus, nous n’avons guère eu la possibilité d’aller beaucoup plus loin avec ce projet du fait des droits de propriété. Il faut en fait 70 ans après le décès de l’auteur pour que l’œuvre tombe dans le domaine public (Ndlr : Bela Bartok est décédé en 1945). Quelque temps plus tard, c’est avec une grande tristesse que j’ai appris le décès de Greg Lake et de Jon Lord. Mais j’ai toujours gardé ce projet en tête. Par la suite, j’ai reçu une invitation pour les Grammy Awards à New York. On nous a demandé de venir jouer au Beacon Theatre. Et tu sais, ce qui s’est passé là-bas a une saveur particulière pour moi, compte tenu de mon parcours, moi cet ancien immigré clandestin. Bref, tout d’un coup, je suis là, à cet endroit où Scorsese a tourné Shine a Light avec les Stones. Je suis là, recevant une ovation, avec tous ces gens debout au terme de plusieurs rappels et avec les journalistes qui deviennent dingues et disent “Comment est-ce possible qu’on n’ait jamais entendu parler de ça?” (Ndlr : rires). Après le spectacle, le maire adjoint de New York prononce un discours. Il affirme que nous sommes des new-yorkais, parce que la plupart de mon groupe vient en fait de New York. L’ambassadeur allemand à l’ONU, qui était présent, clame  “Attendez une minute, ce type est allemand !“. Ensuite, l’ambassadeur hongrois qui était dans le public, dit lors de la réception après le spectacle « Arrêtez, ce type est hongrois ! ». Ils sont tous là affirmant que je suis d’une nationalité différente, ce qui était assez drôle ! Je suis retourné à l’hôtel et j’ai dit à mes enfants « rien de ce qui viendra dans ma vie par la suite ne pourra être plus grand que ce qui s’est passé ce soir ! ». La semaine d’après, alors que je prenais l’avion pour Los Angeles et que je discutais avec mes enfants, j’ai commencé à ressentir un besoin grandissant d’écrire quelque chose sur la justice générationnelle, pas seulement sur le changement climatique mais sur tous les défis mondiaux ; les crise financières, économiques et sociétales (migration et intégration) etc… Mais en même temps je n’arrêtais pas de dire « Je pense que je ne vais plus faire d’albums ». Parce que tu sais, je me sentais un peu fatigué de ce rythme. Mes dernières vacances dataient d’il y a cinq ans. Et puis aussi j’avais toujours voulu être poète et peintre. Alors j’ai pensé que c’était peut-être le moment de commencer à regrouper mes poèmes et mes peintures pour en faire quelque chose. Puis un peu plus tard, j’ai dû aller en Chine (à Pékin) pour un énorme show. Sur le chemin du retour, dans la limousine, vers l’aéroport, mon fils m’a dit : « Tu ne rentres pas à la maison pour gérer le studio et tout le reste. Je t’ai réservé un vol pour Bali où j’ai loué une maison sur la plage. Et tu y vas pour écrire le meilleur album de ta vie“. Et c’est ainsi qu’est finalement né Utopia for realists !

« Mon ambition musicale a été, très vite, de créer quelque chose comme Jethro Tull, avec toute cette richesse mélodique, harmonique et rythmique, mais en jouant avec la virtuosité d’Al Di Meola, Bill Evans ou Mike Stern. »

Mandoki Soulmates

ELP a enregistré “The Barbarian” (inspiré de Bela Bartok). Et tu viens de me dire qu’ils auraient préféré enregistrer Hungarian Pictures.  Christian Vader (Magma) a toujours affirmé que ses influences étaient Bela Bartok et John Coltrane ? Selon toi, qu’est ce qui fait que Bartok a été une telle influence ou référence pour le rock progressif ?  

LESLIE MANDOKI : Je vais répondre avec une petite histoire. Lors de ma première session en studio à Times Square (New York), je répétais avec le légendaire Anthony Jackson (Ndlr : incroyable bassiste de jazz qui a joué avec Chick Corea, Michel Petrucciani, Al Di Meola, Steely Dan, Pat Metheny etc…). Je suis arrivé au studio en fin de soirée. Anthony était déjà là, jouant sur sa fameuse contrebasse à six cordes. Et sans dire bonsoir ou quoi que ce soit, il s’est soudainement tourné vers moi et m’a demandé “Que faisait ton père en 1956 pendant la révolution ?”. Je lui ai répondu “Monsieur Jackson, mon père était un combattant de la liberté“. Puis il a continué pendant quinze minutes sur la culture hongroise. Terminant par des citations sur Bela Bartok de Miles Davis, John Coltrane, Charlie Parker ou Herbie Hancock. Ensuite, nous nous sommes mis à bosser et avons fini à 5 heures du matin. Et il m’a invité à venir boire un verre chez lui à Harlem. J’y ai vu la plus grande collection de disques vinyles de Bela Bartok de ma vie. La deuxième plus grande collection que j’ai vue était à Tokyo, appartenant au patron d’EMI Toshiba avec tout un sous-sol rempli de disques de Bela Bartok. Bartok a toujours été un personnage clé, notamment dans la culture américaine (Ndlr : il s’est exilé aux USA dans les années 40). Il allait dans les clubs, y jouait et disait souvent que la musique jazz américaine n’est que de la musique classique non écrite. Il adorait ça. Maintenant, pour revenir à ta question, pour moi, Bela Bartok a été le tout premier compositeur de rock (Ndlr : Leslie commence à fredonner le rythme d’Allegro Barbaro). C’est très masculin, très rock. Pourquoi Bartok l’a-t-il appelé « Allegro Barbaro » ? Tout simplement parce qu’un journaliste du New York Times avait dit que Bela Bartok était un barbare dans sa façon de jouer du piano (Ndlr : rires)! La structure harmonique de la musique de Bartok, si sophistiquée et si élégante, c’est du jazz. En ce qui concerne la structure des mélodies, qui sont si simples, c’est vraiment du heavy-rock. Bela Bartok a inventé le rock progressif avant même que le rock progressif ne soit né. Très clairement, des décennies avant l’invention du jazz rock, il a créé l’univers harmonique du jazz rock, comme a pu le dire Chick Corea. Et avant que le rock progressif ne soit inventé, il en a créé le cadre mélodique.

Quel est le message dominant d’Utopia for realists et comment pouvons-nous créer un monde meilleur avec la musique ?  

LESLIE MANDOKI : Je ne suis pas un type rétro donc je pense que je dois au public d’écrire des trucs sur demain. La question élémentaire de notre société, à cette heure de notre vie, est la justice générationnelle. Que signifie le titre Utopia for realists ? Ma génération était si heureuse d’elle-même, lorsque nous avons fait tomber le mur de Berlin. Un grand symbole quasi intouchable a été démantelé pacifiquement. Ca a été une chose substantielle. Mais ensuite, tout s’est très mal passé. Nous avons tout foutu en l’air, écologiquement, socialement, économiquement. Nous avons créé ce que l’on appelle  l’économie réelle. Nous sommes entrés dans le « capitalisme de casino » (Ndlr : Les excès non régulés associés à la spéculation. On peut lire à ce titre le livre de l’économiste politique Susan Strange qui a inventé cette expression « capitalisme de casino »). Nous avons perdu l’humanité qui était en nous. Ce qu’est l’être humain. Je ne veux donc pas regarder en arrière. Je veux regarder en avant pour changer les choses. Le fait même que nous ayons créé ces réseaux sociaux, qui sont une bulle d’information, une chambre d’écho, génère une fausse zone de confort. Ce système nous dit quel genre de musique nous devrions écouter, quel genre de média nous devrions regarder, quel genre de direction politique nous devrions suivre. Ma génération a connu quelques échecs substantiels, qui ne sont pas faciles à corriger. La dernière fois que j’étais en Chine (où j’ai beaucoup joué), je discutais avec un de mes amis, un musicien qui fait partie de l’opposition politique. Nous échangeons toujours beaucoup au sujet des valeurs humanistes fondamentales pour l’être humain. Il m’a dit « Leslie, dans ma constitution, il est dit que je suis espionné. Votre constitution stipule que vous ne pouvez pas être espionnés. Et pourtant tu es espionné et je suis espionné. Quelle constitution est la plus correcte ? ». En fin de compte, il y a tellement de domaines où nous nous sommes trompés et l’élite politique a fait trop de petits pas pour apporter de réels changements. Les deux derniers groupes de la société qui sont au moins libres d’esprit sont les médias et la musique. Malheureusement, les médias s’effondrent et la musique s’effondre aussi ! J’ai 3 enfants. Ils m’ont posé des questions sur le changement climatique. Le changement climatique est un sujet très populaire, visible et au sujet duquel on peut parler facilement. Mais nous ne devons pas réduire le problème au changement climatique. Je crois que seuls les journalistes et les musiciens peuvent faire quelque chose. Les peintres, par exemple, n’ont pas de levier car ils sont dans une telle bulle, sans communication directe avec le public. Alors que les journalistes sont en prise directe avec les lecteurs comme les musiciens le sont avec le public.  Cet album parle de ça ; l’utopie d’une société humaniste. Les paroles vont dans ce sens. Il y a des trucs très forts dans les textes. Au sujet de la vraie vie et de la manière dont nous nous mentons « comme un bonhomme de neige au soleil » (Ndlr : morceau «Welcome to real life»). J’ai écrit « En tant que réfugié, je suis venu en Allemagne pour être libre de ne pas être d’accord » (Ndlr : morceau « Tunnel wind »). Et je veux faire la différence. Le dernier morceau de l’album, “The Torch” est exactement ce que je dis à mes enfants. Il y a beaucoup de messages dans ces titres. Il en va de notre responsabilité. Nous ne pouvons surmonter tous ces défis que si nous surmontons les divisions au-delà des frontières. Et la musique a une vraie capacité à rassembler. Bartok lui-même croyait fermement que la diversité culturelle est une grande source de richesse. À l’époque, ce qu’il faisait avec sa musique avait pour objectif d’unir les gens contre la menace du national-socialisme. Cette idée d’unir les gens avec la musique m’a toujours accompagné. Tu sais, je ne suis pas né riche. Je n’ai pas eu un père riche. Ma liberté, dont cet album est le témoignage, est le résultat d’un travail acharné et d’un amour du public. Puisque je suis dans cette situation privilégiée de nos jours, je crois qu’il est temps de redonner quelque chose. Et c’est ce que je fais précisément avec la musique et ce disque Utopia for realists.

Tu as dit : « à l’époque où le rideau de fer et le mur de Berlin sont tombés, nous étions de jeunes rebelles pleins d’espoir et de rêves, essayant de préparer le terrain pour un monde meilleur et plus juste ». Et aujourd’hui tu mentionnes que d’une certaine manière « nous avons échoué tout du long”. Qu’aurions-nous dû faire différemment à ton avis ? 

LESLIE MANDOKI : Nous aurions dû être plus critiques à l’égard de la justice générationnelle. Et maintenant, nous, « les vieux rebelles » devrions tendre la main aux « jeunes rebelles » au regard des énormes défis de notre société. Et nous ne comblerons pas le fossé par la division mais uniquement en avançant ensemble et en faisant montre de solidarité. Voilà ce que nous aurions dû faire différemment. Il faut repenser la manière dont nous discutons dans cette société. Et intégrer l’idée selon laquelle quelqu’un qui aurait une opinion différente n’est pas ton ennemi. Juste une personne avec qui il faut discuter. Et peut-être que lui ou vous, changerez un peu et apprendrez l’un de l’autre. La cupidité, la haine et l’égoïsme divisent notre société en Allemagne, au sein de l’Europe et dans le monde. Avec mes chansons, je veux connecter les gens au lieu de les diviser. L’attention aux autres plutôt que l’ignorance doit redevenir notre idéal.

« Utopia for Realists est musicalement, dans chaque tonalité, dans chaque mesure et syllabe le meilleur album de ma vie. »

Dans un des titres tu dis qu’il faut « inverser le vent avant de tourner la voile ». Je trouve que ce sont des paroles très justes. Est-ce qu’il existe encore aujourd’hui de « jeunes rebelles » au 21e siècle capables d’inverser le vent ? Est-ce que l’envie est toujours là chez les jeunes d’aujourd’hui ? Ou avons-nous perdu la flamme en cours de route, déconnectés de nombreuses valeurs et ayant perdu un peu de sens dans le contexte de la surconsommation ? D’ailleurs, tu sembles y faire allusion lorsque tu écris “Nous avons une soif de vivre mais sommes trop paresseux pour nous battre”. 

LESLIE MANDOKI : Tu as parfaitement raison mais permets-moi de revenir au principe que j’ai illustré précédemment. L’un des sentiments de ma génération est que nous avons créé cette zone de confort pour les plus jeunes que j’appelle la bulle d’information et la chambre d’écho. Et peut-être qu’il est bon pour certains dirigeants de la société que les enfants ne puissent pas réellement s’exprimer. Notre responsabilité générationnelle est de sortir ensemble de ces chambres d’écho désastreuses et de ces bulles filtrantes pour écouter différentes opinions, différents idéaux et inverser le vent avant de tourner la voile. Ce véhicule superbe qu’est la musique nous a emmenés loin mais nous avons maintenant besoin d’un nouveau Woodstock. Si nous pensons que certains des jeunes sont trop paresseux pour se battre, alors il est temps de les réveiller et nous, les vieux rebelles, porterons la responsabilité de ce réveil bruyant. Et avec tous mes collègues musiciens de ma génération, nous devons utiliser le mégaphone et appeler au soutien de ces artistes prometteurs qui sont le relai et l’avenir de l’âme artistique de notre société.

Dans « The Torch », les paroles disent “J’ai simulé un sourire pour gagner un peu de temps » Avons-nous besoin de gagner du temps parce que nous savons qu’éveiller les consciences sera un long combat ? 

LESLIE MANDOKI : Que rajouter ? Tu as parfaitement raison. Tu as perçu les paroles telles que je les ai écrites. Alors, oui, c’est le message. Et nous devons être un peu plus autocritiques à ce sujet.

Il y a énormément de messages forts sur Utopia for realists. Est-ce qu’il y a encore des choses que tu n’as pas pu exprimer sur cet album ? 

LESLIE MANDOKI : Pour moi, Utopia for Realists est musicalement, dans chaque tonalité, dans chaque mesure et syllabe le meilleur album de ma vie. C’est sûr, ce disque ne sera ni le dernier ni l’avant-dernier. Mais effectivement commencer un nouvel album constituera un sacré défi. Je suis donc heureux que nous soyons sur scène pour le moment.

La question habituelle, quel est le tout premier album qui t’a fait frissonner et également, après toutes ces années, quel est ton top 5 définitif ? 

LESLIE MANDOKI : Le tout premier album qui a changé ma vie était Aqualung de mon cher Soulmate Ian Anderson de Jethro Tull. J’étais tellement fier d’avoir une copie cassette de quatrième génération. Certainement l’un de mes albums préférés. Et puis, il y a aussi « One size fits all » de Frank Zappa, « Selling England by the Pound » de Genesis, « Heavy Weather » de Weather Report, « Bitches Brew » de Miles Davis et « Close to the Edge » de Yes.

Quels sont tes prochains projets immédiats ? 

LESLIE MANDOKI : Ma prochaine étape sera de célébrer dans le monde entier la sortie mondiale de notre album visuel  (Ndlr : le CD- DVD) et de notre média book. Je voyagerai de ville en ville pour promouvoir cet album et continuer à échanger avec des journalistes. C’est l’une des plus belles expériences qu’un auteur-compositeur puisse faire que d’être ici avec toi, comme je le suis aujourd’hui, et de voir que ta propre vision touche les gens. Alors, merci d’être dans ma vie et de m’avoir permis d’entrer dans la tienne. Et tu peux dire à vos lecteurs que c’est pour moi un grand privilège de faire de la musique comme je le fais.

ENGLISH VERSION

We had the tremendous pleasure of meeting up with Leslie Mandoki, prog leader of Mandoki Soulmates, in the context of the release of Utopia for Realists– Hungarian Pictures, a truly fantastic album on several accounts. Firstly, this album, partially based on Bela Bartok work further to conversations with the late Greg Lake (ELP) and Jon Lord (Deep Purple, Whitesnake), was recorded in the true tradition of Mandoki Soulmates with an incredible number of highly talented musicians and is definitely combining the symphonic dimension of prog-rock with the virtuosity of jazz rock. Secondly, this album is also flying the flag of music being a great unifier and playing a key role in pulling up together people to address the challenges of nowadays. Leslie has drawn into his own journey to pen down some incredible lyrics and come up with strong messages that will make a lasting impression on the listener. This is a fascinating interview that really stand out and which we urge you to read.

Hi Leslie, I am very delighted to be talking to you. I know you’ve been doing a lot of interviews lately to promote Utopia for realists, so I hope I won’t sound too much like a broken record.

LESLIE MANDOKI : Let me put this into context. I am very thankful that you came today for this interview because you are the one passing on the message to the wider audience. If I were a politician, I would say that we have to protect the press journalists (as a profession) these days because radicalism in our society is rising. This is due to social media where everybody pretends to be a journalist. But the truth is that these people are not journalists. They don’t have the intellectual, the ethical,  the moral capacities, the education and the know-how etc… So I would fight for journalists, who do play a critical role, to be protected. Music itself is an instrument against radicalism. Prog rock has always been a political thing. I became friend with Mikhaïl Gorbatchev after everything happened (the downfall of communism and the breakup of the Soviet Union in 1991, Ed.). I was working as part of a charity project for him. He said, “Look, prog rock has always been the music of the intellectual  students and freedom movements. That is why we were trying to push it down and make it impossible to develop”. With the perestroika, the soviet state owned records companies released Aqualung (by Jethro Tull, Ed.)! For me, that was the sign that the country was getting freer. Gorbatchev  basically told me rock music played a substantial role in changing the world into a better place and was instrumental in tearing down the iron curtain.

Building on your comment around prog-rock being the music of intellectuals, do you think prog rock somehow suffered from that, from the wider audience perspective?

LESLIE MANDOKI : I think that nothing went wrong with prog rock and the audience. It’s only about record companies. This acoustic pollution, called pop music (Laughs, Ed.), is so cheap to produce. You don’t need studios, you don’t need anything. Prog rock is still reaching out to a lot of people and still has many fans. However, if things are collapsing this is because the paradigm shifted. The same thing is happening with the press.  Printed magazines are going down. The digital world does not need the same financial back-up. Which is tragic.

 

« Music is a great unifier. Bartok himself believed that diversity in culture is a great richness. At the time, what he did represented the power of music to unite people against the threat of national-socialism»

 

You did so many things in your artistic life. So if you had to introduce yourself to the AMAROK readers, who would you say Leslie is?

LESLIE MANDOKI : A musician who in his youngest years  was thinking that he was going to be a poet or a painter. My father was a musician and he said, you owe your talents to be a musician. I am still painting, writing lyrics. My father died when I was sixteen. He said to me on his death bed  “My boy, promise me that my grandchildren are not going to read Sergents Peppers”. I said “Father, there is the iron curtain”. He replied ‘Go your way, find your way,  live your dreams and don’t dream your life”. That’s what I did. That made me a refugee. That made me a musician. That made me who I am. I built a studio in West Germany. That’s why I am so independent as a musician can be.

How did you move between the dream and the reality into the business industry?

LESLIE MANDOKI : I was 22 and I had to escape communism. I did not have a passport. I went into troubles in Hungaria because I was a kind of freedom fighter (Leslie got imprisoned several times, Ed.). I was the voice of the students. I played concerts to free the press. The communists did not like that so much. I escaped the country through a tunnel with 2 friends; Lazlo Bencker, who was on keyboards in the band I was playing with, and Gabor Csupo. We were illegal migrants, not speaking a word of German. I was the only one to speak English. We finally ended up in a refugee camp in Germany where we applied for asylum. And then the officer was asking “OK boys, I understand you escaped communism. But what the hell are you going to do here? What’s your plan?”. That’s the kind of questions you got back then. I replied “I came to play with Ian Anderson from Jethro Tull and Al Di Meola” (Laughs, Ed.). Funny enough, in 1992, Ian Anderson and Al Di Meola, alongside Jack Bruce (Cream) became founding members of Mandoki Soulmates. Then the officer looked at Gabor and asked the same question. Gabor replied “Nothing. I am going to go to Hollywood and start my own cartoon studio”. His first success was The Simpsons (Gabor founded the animation Kmasky Csupo, producing era-defining shows, Ed.). So we had a dream and we lived the dream. After the camp, I worked very hard being a drummer for top 40 bands to buy the instruments I needed. After 6 months we went to Munich in an old run down Volkswagen bus (with over 300,000 km). But we had the finest instruments money could buy! I knew Udo Lindenberg (famous German singer, drummer and composer in the 70-80’s, Ed.) telephone number since we met previously in an Eastern Europe festival where we played together in a jam session. I called him and explained the situation and he gave me a chance. He introduced me in a music session. These were the 70’s. The Rolling Stones were in Munich. Donna Summer was working in Munich. Freddie Mercury was living in Munich. Deep Purple were recording in Munich. A big scene. I was a young kid and could play everything. So I got into the scene. Life was restarting. I have to be very thankful to Udo Lindenberg because without him I would not have had this first introduction which was the whole starting point.

What were your first musical influences and how did they develop over time?

LESLIE MANDOKI : My very first initial taste in music was Jethro Tull with Ian Anderson, King Crimson, etc… All these classical British prog rock acts. But when I was seventeen-eighteen  I was also very much impressed by the new-yorkish jazz rock and fusion stuff like Al Di Meola, Mahavishnu Orchestra, Miles Davis etc… Back then, the real vision of me, musically, was to create something like Jethro Tull (the melodies, the harmonies, the rhythm) but playing with the virtuosity of Al Di Meola, Bill Evans or Mike Stern etc… This was the idea then and still is the idea!

 

« Bela Bartok invented prog rock before prog rock was even born.»

 

You have all these incredibly talented musicians playing along with you. Some have been playing with you for years. How do you steer such a pool of talents and characters for every project? What do they know of the project before it starts? How do you get them to contribute to the creative process ?

LESLIE MANDOKI : We have a mutual understanding that music is a collective art. It is not like painting or writing poems and books which is a soloistic art. Here you need a group of musicians, engineers, technicians to create something great. It is a little bit like journalism.  You will not create a whole magazine alone. Same thing for us. And this collaboration makes the creation of music in the studio and on stage so special. And we are not a kind of selected or chosen musicians, we are a group of musicians, where everybody has a great respect for music and the way we produce it. We adore the musicality of each other. Everybody feels this special moment of life, this very moment when we create music together, when we feel the love of life, the love of music and the love for each other. Besides, we all have the same respect for the audience. So, this is not just about creating music with these legendary iconic blessing musicians. The magic really  is to know how to create music in a way that everybody can feel and hear each other and to give his utmost best. (Jack Bruce said “When we get together, we become a band. And when Leslie is writing songs and coming up with the arrangements, he actually can hear who´s going to be doing what. The one that comes to mind, the greatest person to have that kind of gift, was Duke Ellington“. Similarly Al Di Meola mentioned “Great producers pull people together, and he has done that. It takes his persistence as a producer. He’s the Hungarian Quincy Jones. He consistently makes it happen”, Ed.)

Are there any other musicians you would have loved to play with but never got a chance to?

LESLIE MANDOKI : I am a happy guy that all musicians I wanted to play with joined our group. And as we are ageing slowly it is good to have a bunch of wonderful new younger musicians joining us. For instance Richard Bona or Cory Henry who was only three years old when we founded our group. Or my daughter Julia who is only 27 years old. So, this musical experience is also bridging the gap between generations. We have Randy Brecker and Till Brönner on trumpet who are part of the generational gap as well. All in all, we actually have a huge family of excellent and famous musicians of all ages.

 

« Greed, hate and selfishness divide our society in Germany, in the EU and in the world. With my songs I want to be connecting again in the foreground, instead of dividing. »

 

You mentioned in a previous interview that “Mandoki Soulmates is a musical community of shared values”. Could you please expand on these critical values?

LESLIE MANDOKI : Talking about shared values, these are very personal values with a central family meaning. The way we are opened with blind faith and trust in the musicianship and character of each other. And our mutual values to play music for a simply better world are that there are no egos, just music and respect for the audience. These are Mandoki Soulmates driving forces.

As a producer you worked for different artists, some very mainstream. How did you approach this? What do you bring to these artists?

LESLIE MANDOKI : I have a very American understanding of being a producer. This means I have to create added value for an artist. The job is to help them do what they could not do without me. I am not the type of producer who create a certain sound, their sound, usually very successful in their segment (a characteristic of German producers) and where it does not matter who is going to sing. That is not my approach. I don’t have that talent to create a sound that is valid for everyone. My role is to have the vision, take the artists somewhere else and help them focus on other areas. For example with Jennifer Rush, I try to give her clear guidance through my craftmanship to get her to be herself (Lionel Ritchie also said “Leslie came to me with this fabulous idea and or collaboration came out very good”. Ed.). Especially with young artists, I try to give them this support.

And equally, what did you learn from them?

LESLIE MANDOKI : One thing I learnt from Joshua Kadison ( American singer and pianist with Top 40 hits, Ed.) is that you should not stick on your instruments to write. Sometimes you should just walk. Write in your head. Get independent from your surroundings. That was fantastic teaching.

Moving onto the album, can you tell us more about the genesis of Hungarian pictures?

LESLIE MANDOKI : Hungarian pictures was not my idea. We were playing big shows (the 50 years of rock shows). The Mandoki Soulmates band at the time were Peter Frampton on guitar(The Herd, Humble Pie, Ed.), Jack Bruce (Cream, Ed.) on bass, Greg Lake (ELP, Ed.) on acoustic guitar. We also had Ian Anderson (Jethro Tull, Ed.) , Bobby Kimball (Toto, Ed.) and Chris Thompson (Manfred Mann’s Earth Band, Ed.), Jon Lord (Deep Purple, Ed.) on Hammond was also part of the band. During the rehearsals, Jon Lord and Greg Lake came to me and said “Leslie, we would like to talk to you about Bela Bartok. You are Hungarian, you must know about him”. I said “Come on, I grew up with Bela Bartok !”. That was funny. Greg confided to me “ELP were not planning to do Pictures at an Exhibition. We wanted to do Hungarian Pictures instead. But we could not get the rights. The grandchildren of Bela Bartok would not give us the permission”. We got together in London after these shows, sat down at the piano and tried to record the structure. But again, we could not get on much further with the work because of the rights. It has to be 70 years after the passing away of the author (Bela Bartok died in 1945, Ed.). Very sadly after, Greg Lake and John Lord passed away. But I kept the idea in mind. Then, I got an invitation for the Grammy awards in New York. We were asked to play there in the Beacon Theater. You know, what happened there was very special for me, considering where I am coming from as a former illegal immigrant. All of a sudden I am there, in this place where Scorsese shot Shine a Light with the Stones. I am there with a standing ovation and several encores with the media going crazy asking “why is it we never heard about that?” (Laughs, Ed.). After the show, the vice-mayor of New York is having a speech. He pretends we are new-yorkers, because most of my band actually is from NY. The German UN ambassador says “Wait a minute, this guy is German”. Then the Hungarian ambassador who was in the audience says during the after show reception  “Come on, this guy is Hungarian”. So there you have all of them claiming that I am a different nationality which was quite funny! I went back to the hotel and said to my kids “nothing more can come in my life and be bigger than this”. The week after as I was flying to LA and discussing with my kids, I started feeling a growing need to write something about generational justice, not just climate change but all global challenges; financial and economic (migration and integration) crisis etc… But at the same time I kept on saying “I think I am not going to do anymore albums”. Because you know, I was feeling a bit tired. My last holidays was like 5 years before. And also, I had always wanted to be a poet and a painter. So I thought maybe it is the time I start collecting my poems and paintings and do something with it. Then a bit later I had to go China (Bejing) for a big show. On the way back in the limousine to the airport my son said “You’re not coming home to take care of all the busy stuff with the studio. I have rebooked your flight and you’re going to Bali where I rented a beach house and you’re going there to write the best album of your life”. And this is how in the end came Utopia for Realists!

 

« The real vision of me, musically, was to create something like Jethro Tull, the melodies, the harmonies, the rhythm, but playing with the virtuosity of Al Di Meola, Bill Evans or Mike Stern.»

 

We had ELP doing “The Barbarian” (inspired by Bela Bartok). You mentioned they actually wanted to do Hungarian pictures. We also had Christian Vader (Magma) claiming his influences are Bela Bartok and John Coltrane. In your opinion why is it that Bela Bartok always was such an influence for prog rock?

LESLIE MANDOKI : I will answer with a little story. During my first studio session in Times Square (NY), I was rehearsing with the legendary Anthony Jackson (incredible jazz bass player who played with Chick Corea, Michel Petrucciani, Al Di Meola, Steely Dan, Pat Metheny etc…, Ed.). I got into the studio late evening. Anthony was already there, playing on his famous 6 strings contrabass. And without saying good evening or whatever, he suddenly went “What was your father doing in 1956 during the revolution?”. I replied “Mr Jackson, my father was a freedom fighter”. Then he went on for 15 minutes about the Hungarian culture. Ending with quotes about Bela Bartok from Miles Davis, John Coltrane, Charlie Parker or Herbie Hancock. Then we started to work, ending up at 5 in the morning. And he invited me for a drink at his place in Harlem. There I saw the largest collection ever of Bela Bartok vinyle records in my life. The second largest was in Tokyo, belonging to the EMI Toshiba boss with a whole basement full of Bartok records. Bela Bartok has always been a key character, especially for American culture (he exiled to the US in the 40’s, Ed.). He was going to the clubs, playing there and often said that the American jazz music is just classical music not written down. He was adoring that. Now back to your question, to me, Bela Bartok was the very first rock composer (Leslie started humming the rhythm of Allegro Barbaro, Ed.). It is very masculine, very rock. Why did Bela Bartok called it  “Allegro Barbaro”? Simply because one journalist from the New York Times actually said that Bartok was a barbarian in the way he was playing the piano (Laughs, Ed.)! Harmonies structures in Bartok music, which are so sophisticated and classy, are jazz. When it comes down to melodies structure, which are so simple, this is very much a heavy rock thing. Bela Bartok invented prog rock before prog rock was even born. Honestly, decades before jazz rock was invented, he created the harmonies world for jazz rock, as quoted by Chick Corea. And before prog rock was invented, he created the framework for melody waves.

What is the overriding message with Utopia for realists and how can we change the world for better with music?

LESLIE MANDOKI : I am not a retro guy so I think I owe the audience to write stuff about tomorrow. The elementary question of our society at this very moment we’re living in is the generation of justice. What does the title Utopia for realists mean? It is about the fact that we, my generation, were so happy about ourselves, when we brought down the Berlin wall. A great untouchable thing that was done peacefully. A substantial thing. But then, everything went wrong. We fucked it up, environmentally,  socially, economically. We created what they call the real economy. We went into the “casino capitalism” (Unregulated excesses associated with the speculation. Read to that purpose the book from political economist Susan Strange who was the first to coin the expression casino capitalism, Ed.). We lost humanity. What the human being is. So I don’t want to look backwards. I want to look forward in order to change things. The fact itself that we created this social media, which is a news bubble, an echo chamber, creates a false comfort zone. Telling us what kind of music we should listen to, what kind of news we should watch, what kind of political direction we should follow. My generation drove a couple of substantial failures. Which are not easy to correct. The last time I was in China (where I played a lot), I was discussing with a friend of mine, a musician who is in the political opposition. We always share around the basic humanistic values for human beings. He said “Leslie, In my  constitution it is said that I am spied. Your constitution is stating you cannot be spied. And yet you are spied and I am spied. Which constitution is more correct?”. At the end of the day there are so many fields where we went wrong and the political league have made too little baby steps to make changes. The holistic aspect comes down to two groups, media, which are collapsing, and the music, which already collapsed! And yet these are the two remaining groups in society that are at least free-minded. I have 3 children. They asked me about the climate change. Climate change is very popular. But we should not reduce the problem down to the climate change. But if anything, it is very visible and easy to talk about. I do believe only journalists and musicians can do something about it. Painters, for example, cannot as they are in such a bubble without direction communication to the audience. Whilst journalists have a direct communication with readers and musicians with the listeners. This album is about that; utopia about a humanistic society. The lyrics point in that direction. Some very strong stuff there. About real life and how much we lie to ourselves “like a snowman in the sun”(“Welcome to real life” song, Ed.) . I wrote  “As a refugee I came to Germany to be free to disagree” (“Tunnel wind” song, Ed.). And I want to make a difference. The last bit of the album,  “The Torch”, this is stuff I am saying to my children. There are a lot of messages there. This is our responsibility. We can only overcome all these challenges if we overcome the divisions across the borders. And Music is a great unifier. Bartok himself believed that diversity in culture is a great richness. At the time, what he did represented the power of music to unite people against the threat of national-socialism.  This idea of uniting people with music has been lasting with me. You know,  I was not born rich. I did not have a rich father. My freedom, the produce of which this album is, comes as a result of hard work and audience love. If I am in this privileged situation nowadays, with my studio etc.. then, it is time to give back something. And that is what I am doing precisely with the music and this record Utopia for realists.

You said, “at the time the iron curtain and the berlin wall fell down we were young rebels full of hope and dreams, trying to set the course for a better and fairer world ” and today you mentioned that somehow “we have failed all the way”.  Hindsight is always 20/20, as they say, but what should we have done differently in your opinion?

LESLIE MANDOKI : Of course, we should have been more critical about generational justice. And now, we “old rebels” should reach out to the “young rebels” because of the tremendous challenges almost everywhere in our society. And we will not bridge the gap by division but only together and by solidarity. That is what we should have done differently, we should really rethink the discussion in the middle of the society that someone with a different opinion is not your enemy. Just a great person with whom you need to discuss. And maybe him or you are changing a little and learning. Greed, hate and selfishness divide our society in Germany, in the EU and in the world. With my songs I want to be connecting again in the foreground, instead of dividing. Attentiveness instead of ignorance must become our ideal again.

 

« Utopia for Realists is musically in every and each tone and beat and syllable the best of my life. »

 

“We should turn the wind before we turn the sail”. I find this an amazing piece of lyrics. Do you think, though, there are still young rebels today in the 21st century able to turn the wind?  Do you feel the hunger is still there in the youth of today? I guess I have this question on the back of my mind because sometimes when I look around I feel the youth of today disconnected from many values and having lost some sense of direction in the context of over-consumerism. Also you seem to hint to this since in one piece of your lyrics mentions “We are hungry for life but too lazy to fight”.

LESLIE MANDOKI : You are perfectly right but let me get back to the principle I illustrated earlier. One of the feelings of my generation is that we have this comfort zone for the younger that I call news bubble and echo chamber. And maybe it is good for some leadership in the society that the children are quiet. That they are hungry for life but too lazy to fight. But our generational responsibility is to get out together of these disastrous echo chambers and filter bubbles and to listen to different opinions, to different ideals and to turn the wind before we turn the sail. The ship of music took us far but now we need a new Woodstock. If we feel that namely some of the youngsters are too lazy to fight then it’s time to wake up and then we, the old rebels, have our responsibility for a loud wake up call. Thus, colleagues of my generation and I need to hold the megaphone calling for support for these promising artists who are the future of the artistic soul of our society.

In “The Torch” the lyrics goes  “I faked a smile for an extra mile”. Is this what it takes? Do we need to buy time, live to fight another day because we know it is not going to be a walk in the park to wake up consciousness?

LESLIE MANDOKI : What should I say? You are perfectly right. You were inhaling the lyrics in the way as I wrote them. So, yeah, this is the message. And we have to be a little bit more self-critical about it.

There are so many strong messages on Utopia for realists. Therefore, do you feel you still have stuff on your mind that you could not express on this album?

LESLIE MANDOKI : For me, Utopia for Realists is musically in every and each tone and beat and syllable the best of my life. For sure, it will not be the last one and not even the penultimate one.  But it will indeed be a very difficult challenge to start a new album. So I am happy that we are going to be on some stage for now.

The usual question, if you don’t mind, what is the very first album that sent shivers down your spine and equally, after all these years what is your definitive all time high top 5 albums?

LESLIE MANDOKI : The very first life changing album for me was “Aqualung” by my dear Soulmate Ian Anderson of Jethro Tull. I was so proud to have a fourth generation monotape copy. Definitely one of my top favorite albums. And then, also “One size fits all” by Frank Zappa, “Selling England by the Pound” by Genesis, “Heavy Weather” by Weather Report, “Bitches Brew” by Miles Davis and  “Close to the Edge” by Yes.

What are your next immediate plans?

LESLIE MANDOKI : My next step will be to celebrate around the world the worldwide release of our visual album and media book. I will travel from city to city and talk to journalists like you. It is one of the most beautiful experiences of a songwriter to listen back like I do right here with you and to feel that your vision reaches people. So, thank you for being in my life and allowing me into yours. That’s why I love to say to your readers that for me it is a great privilege to make music in the way I do.

Une interview réalisée en octobre 2021 par Stéphane Rousselot – remerciements particuliers à Leslie Mandoki et également Valérie Reux (Inside Out Music)

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