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Le 10 juillet dernier, nous avons été convié en plein coeur de Paris, dans le Xème arrondissement, aux côtés d’autres acteurs de la presse spécialisée, à une des sessions d’écoute en avant-première du nouvel album de Steven Wilson, The Harmony Codex, et ce, en présence de l’artiste. Un moment privilégié permettant dans un premier temps de découvrir ce nouvel opus dans des conditions exceptionnelles ; en effet, l’écoute s’est faite en Dolby Atmos, une technologie hybride de reproduction du son surround. A noter que, conformément aux souhaits de l’artiste, cette écoute a également eu lieu dans l’obscurité, amplifiant ainsi l’expérience sensorielle. Et cela a été l’opportunité, dans un second temps, d’échanger à bâtons rompus et en toute décontraction avec un Steven Wilson très avenant et très loquace, lors d’une longue session de Questions-Réponses.

Merci beaucoup Steven de nous accueillir ici aujourd’hui. Je pense que nous nous sentons tous extrêmement privilégiés d’avoir pu participer à cette expérience et de découvrir l’album dans ces conditions uniques. Cette première écoute révèle un disque très dense qui s’apparente à un véritable voyage, du premier titre au dernier. Avec des passages d’une grande intensité. Ma première question porte sur le lien entre la nouvelle The Harmony Codex que j’ai pu découvrir dans ton livre (Ndlr : Limited Edition of One) et les textes de cet album. Si certains titres semblent faire référence à l’histoire développée dans ce court récit, je n’ai en revanche parfois pas été en mesure d’établir un lien direct avec la nouvelle. Était-ce intentionnel ?

STEVEN WILSON : C’est une bonne question parce que le titre de l’album semble effectivement suggérer qu’il s’agit là d’une transcription audio de la nouvelle. Cependant, cela n’est vrai que pour une partie du disque. Pour moi, l’album est avant tout conceptuel dans la manière dont la musique se déploie et évolue tout au long du disque. Mais pour ce qui est des paroles, certaines chansons font directement référence à la nouvelle et d’autres n’ont absolument rien à voir avec cette histoire. Bien évidemment, le titre “Harmony Codex” est lié à la nouvelle, ainsi que “Staircase”, la dernière chanson du disque. Mais il y a aussi d’autres compos comme “What Life Brings”, “Rock Bottom”, et “Economies of Scale”, qui n’ont rien à voir avec ce sujet. Mes albums préférés, parmi tout ce que j’ai pu écouter à ce jour, sont ceux qui te donnent cette impression d’être un tout sans nécessairement raconter une seule et même histoire. Et si je regarde plus particulièrement mes propres albums, ceux que je préfère sont également ceux-là mêmes qui te donnent ce sentiment de complétude alors que les textes traitent de sujets très divers. Je pense par exemple à ln Absentia de Porcupine Tree. C’est un disque où les compositions suivent un certain fil conducteur avec des thèmes qui reviennent souvent. Plus on l’écoute, plus on perçoit cette dimension. Ici, avec The Harmony Codex, je me suis, cette fois, vraiment laissé aller à ce qui me venait, au gré de mon inspiration, et je suis parvenu à tout intégrer dans le cadre de cette expérience musicale que, personnellement, je trouve extrêmement satisfaisante. Mais je dois reconnaître que cela donne beaucoup de choses à assimiler tout au long des 65 minutes. Je crois que lors de la première écoute, on peut vite se retrouver submergé par le flot d’informations (Ndlr : rires). Il y a toujours quelque chose qui se passe musicalement. J’ai vraiment essayé de faire en sorte que cet album soit surprenant de bout en bout afin que l’on ne s’ennuie jamais tout au long de l’écoute et qu’à aucun moment on ne puisse avec certitude se dire « Ca y est, je vois où il veut aller avec cet album». Il en va de même pour les textes. Je voulais une diversité de thèmes. Je pense qu’une des difficultés, lorsqu’on est pieds et mains liés à une histoire, c’est qu’elle finit par dicter de quelle manière l’album doit être séquencé. Si je décide, par exemple, que j’aime vraiment ce morceau pour clôturer l’album, mais qu’il serait mieux en deuxième position sur l’album au regard du récit, je ne peux pas le faire. Tu n’es jamais complètement libre quand tu essaies de raconter une histoire dans un concept album. Tu te retrouves un peu coincé. Ici, je n’avais pas ces limites et je pense que c’est une bonne chose.

Combien de temps as-tu travaillé sur ce projet ?

STEVEN WILSON : J’ai commencé à travailler dessus au moment de la pandémie. Je ne tiens pas à ce que l’on retienne cet album comme étant mon « album du confinement », car c’est devenu un cliché de dire ça (Ndlr : rires). Mais effectivement, il a été amorcé pendant la période Covid et j’ai travaillé dessus, par intermittence, pendant environ trois ans, avant de le boucler en janvier dernier. J’ai pris mon temps sans essayer nécessairement de faire quelque chose de bien précis. Ce que je veux dire c’est que j’ai juste laissé tous les aspects de ma personnalité musicale s’exprimer. Et par la même occasion j’ai refusé de me censurer. Et du coup, l’une des vertus de cet album est qu’il est tellement éclectique que tout y a sa place. Alors que si tous les morceaux avaient été écrits dans le même style et qu’il y avait eu seulement un ou deux morceaux dans un style différent, ils se seraient vraiment démarqués. Mais comme presque tous les morceaux de cet album semblent appartenir à un monde musical différent, étrangement, je pense que l’ensemble se tient très bien. Donc, oui, l’album a été écrit sur une très longue période. Je ne voulais surtout pas me précipiter. Et il faut dire que j’avais beaucoup d’autres projets en parallèle. J’ai bossé sur l’album de Porcupine Tree par exemple. J’ai aussi remixé un certain nombre d’albums pour d’autres artistes. A ce titre, je crois que lorsque tu remixes des classiques de l’histoire de la musique, tu assimiles inconsciemment plein d’éléments qui peuvent alors se retrouver très naturellement dans ta propre musique. En ce moment par exemple, je mixe tout le catalogue Chic (Ndlr : groupe américain de disco et de funk fondé en 1976 par le guitariste Nife Rodgers). Du coup, tout ce sur quoi je travaille à cette heure semble intégrer des éléments disco. Mais filtrés au travers de ma propre sensibilité. Je m’en rends compte. Lorsque j’écoute ce nouveau disque, je peux entendre par exemple que lorsque j’ai écrit tel morceau, c’était certainement la semaine où je mixais Tears for Fears (Ndlr : groupe pop rock britannique initialement affilié au mouvement new wave), etc. Donc, je suis certain que de travailler sur des remixes a aussi eu une d’influence sur l’album, en quelque sorte.

Est-ce que tu travailles seul dans ton propre studio ou en compagnie des musiciens qui t’accompagnent en tournée ?

STEVEN WILSON : Les deux. Certains morceaux de cet album ont été exclusivement composés en mode solo. Contrairement à d’autres titres, comme “Impossible Tightrope”, ce long titre de jazz progressif figurant sur la première moitié de l’album. Je pense l’avoir envoyé à environ une trentaine de musiciens différents et je leur ai juste dit : « Expérimentez. Faites  ce  que  vous voulez ». J’ai reçu en retour des partitions complètement différentes de divers guitaristes, bassistes et batteurs. D’ailleurs, il y a une version alternative de cette chanson sur le disque bonus de l’édition spéciale, avec d’autres musiciens qui interprètent la même musique mais d’une manière complètement différente. Il fallait que je retienne une version pour l’album mais j’ai dans mes cartons toutes ces interprétations que je n’ai pas pu utiliser. La réponse à la question est donc : les deux scénarios. Je précise aussi que certains morceaux ont été interprétés par mon groupe habituel, d’autres avec des musiciens avec lesquels je n’avais jamais collaboré auparavant. Donc, là aussi, c’est encore une fois très éclectique et novateur.

On a le sentiment, à l’écoute de cet album, que tu as voulu prendre du recul par rapport à l’aspect plus simple et plus pop de ton précédent album The The Future Bites. Certaines personnes à l’époque ont même clamé que tu voulais peut-être aller vers une musique plus mainstream. Est-ce que ce disque est une façon pour toi de leur prouver qu’ils avaient tort ?

STEVEN WILSON : C’est une question tout à fait pertinente. Mais, non, je n’avais pas vraiment d’objectif. Du moins pas en ce sens. Mon seul objectif était d’essayer de faire un album qui existe en dehors de l’idée de genre musical. Je laisserai le public juger si j’y suis parvenu ou non, mais c’est ce que je souhaitais. Pour revenir à ta question, je pense que si tu regardes ma carrière, tu verras qu’avec chaque nouvel album, à défaut d’une réinvention complète, il y a un peu comme une réaction, pas toujours, mais assez souvent, par rapport au précédent LP. Par exemple, The Future Bites et, dans une moindre mesure, l’album précédent, To The Bone, étaient tous deux une réaction contre… (Ndlr : il se reprend) contre n’est pas le bon mot, mais tu vois ce que je veux dire, une réaction par rapport à tous ces albums de rock progressif nostalgiques des années 70 que j’avais écrits juste avant. Et ce qui m’énerve toujours c’est quand les gens me cataloguent par rapport à certains disques. Ils n’ont qu’à écouter ce nouvel album pour mieux cerner qui je suis. J’aimerais que les gens sortent de l’écoute de ce disque en se disant qu’ils ne savent pas de quel genre il s’agit, mais que c’est d’abord et avant tout un disque de Steven Wilson. Je suis toujours fier d’un disque quand je l’ai terminé. Mais même en essayant d’être un peu plus objectif aujourd’hui, j’ai le sentiment que cet album a quelque chose de spécial. Le temps nous dira si c’est le cas (Ndlr : rires). Mais si je réagis aussi de cette manière d’un album à l’autre, c’est aussi parce qu’au fond de moi je trouve que ce serait ennuyeux de me répéter artistiquement. Et puis, pour en revenir au sujet de The Future Bites, je n’ai jamais caché que j’aimais la pop. J’aime la pop dans son approche la plus noble, la plus authentique. J’ai grandi dans une maison où on écoutait aussi Abba et les Bee Gees. J’ai toujours aimé cette idée d’une pop et d’une musique électronique populaire mais classieuse. Je voulais donc faire avec The Future Bites un album très épuré, de 40 minutes, très axé sur la pop. Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce nouvel album, je me suis dit : « Bon, j’ai déjà été dans cette direction musicale pop, que puis-je faire ensuite ? ». Donc, ce nouveau disque est aussi une réaction contre la pop de The Future Bites, mais pas pour la raison que tu évoques. Ce n’est pas pour plaire aux autres, mais pour maintenir mon envie de créer. On a le sentiment au regard de tous mes albums solos, et j’en ai tout de même écrit six avant celui-ci, que chacun répondait à un objectif précis, du style, tiens je vais faire sur celui-ci du rock progressif typique des années 70, avec celui-là je vais faire mon disque de pop électronique épurée, avec tel autre, mon disque de post-punk. Mais tu vois, avec The Harmony Codex, je pense que pour la première fois, et peut-être du fait de cette situation de confinement, je n’avais pas d’agenda. Je suis simplement entré en studio et ai commencé à travailler. Si j’avais un seul objectif, c’était de faire un album qui sonnerait incroyablement bien, avec un son spatial. Et peut-être que cela a eu sa propre influence sur ma façon de penser la texture de la musique, en permettant à la musique de se déployer de façon beaucoup plus graduelle. Prends par exemple la campo “The Harmony Codex” qui porte le titre de l’album. Elle dure 10 bonnes minutes sur lesquelles, finalement, il ne se passe pas grand-chose. C’est avant tout une musique ambient. Je n’aurais jamais inclus un tel titre sur The Future Bites. A l’époque, je me serais dit que c’est peut­ être trop pour certains auditeurs. Mais ici, armé d’une grande confiance et d’une solide volonté, j’ai décidé de me lancer. Le son de ce titre est magnifique, je savais que ça sonnerait incroyablement bien en Dolby Atmos. Il suffit de s’abandonner et de laisser la musique envelopper l’auditeur. Donc voilà, pour résumer, je pense que toutes ces choses ont joué un rôle dans la conception de cet album. Bien sûr, je mentirais si je te disais que je ne me soucie pas de ce que pense mon public. Bien évidemment que je m’en soucie. Et oui, j’ai été un peu déçu, tu sais, de certains avis négatifs d’une partie du public au sujet de The Future Bites. Mais je pense que ce même public aurait aussi dû s’attendre à ce que le prochain album soit différent. Avec moi, il faut toujours s’attendre à l’inattendu désormais (Ndlr: rires).

Tu as passé beaucoup de temps sur le son de cet album. Ce qui donne une restitution extraordinaire en Atmos comme découvert tout à l’heure. Quid du rendu avec le mixage stéréo sur les systèmes Hi-Fi des auditeurs lorsqu’ils vont découvrir l’album chez eux ?

STEVEN WILSON : Je  suis  persuadé  que  cette expérience sonore très enveloppante sur le plan sonore sera préservée. Tu sais, depuis longtemps, je suis très attaché à l’idée de l’excellence sonore. C’est un peu mon truc, d’essayer de faire des disques qui sonnent vraiment très bien, une dimension évidente même pour quelqu’un qui n’apprécierait pas nécessairement ma musique. J’enregistre à très haute résolution. Je n’aime pas l’une de ces tendances modernes qui vise à compresser beaucoup la musique. J’aime que les parties calmes restent calmes et que les parties fortes soient surprenantes, ce qui est en fait assez inhabituel de nos jours. Dans beaucoup de styles musicaux, le rendu est une dynamique très écrasée. Je travaille mes disques pour qu’ils soient particulièrement mis en valeur sur de bonnes chaînes stéréo et de bons systèmes. C’est important pour moi. Mais cela ne veut pas dire que je ne pense pas aussi aux gens qui écoutent ma musique sur les plateformes de streaming. C’est une réalité dont il faut être conscient et avec laquelle composer. Je sais que la plupart des gens entendront ma musique à partir d’un téléphone avec des écouteurs. Je passe donc beaucoup de temps également à écouter sur mon téléphone pour m’assurer que le son est excellent. C’est un exercice d’équilibre que d’essayer de faire en sorte que le son soit parfait sur tous les systèmes. Mais si j’avais le choix, bien sûr, je proposerais à chaque fois aux gens d’écouter l’album ici, dans cette salle, comme aujourd’hui. Mais évidemment, ce n’est pas réaliste (Ndlr : rires).

« J’ai vraiment essayé de faire en sorte que cet album soit surprenant de bout en bout, afin que l’on ne s’ennuie jamais tout au long de l’écoute » – Steven Wilson

Il y a quelques années, nous avions échangé ensemble dans le cadre d’une interview. Tu m’avais dit être un grand fan de cinéma et, entre autres, des films de David Lynch. Je voulais savoir si le cinéma était une source d’inspiration pour toi pendant le processus d’écriture.

STEVEN WILSON : J’ai toujours vu mes albums comme un film. Et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai souhaité que cette expérience, aujourd’hui, se fasse dans le noir, comme si tu regardais un film au cinéma, isolé et absorbé par un univers sensoriel différent. Comme on devrait le faire avec n’importe quel grand film, d’ailleurs ! Et l’autre dimension que j’aime également avec le cinéma, c’est que, dans un film, l’ambiance change constamment. Dans une première scène, les personnages sont heureux et tout va bien. Dans la deuxième scène, il se passe quelque chose de dramatique. L’ambiance change, elle devient subitement sombre. Et il y a peu de disques qui, à l’instar d’un film, suivent de tels déroulés. La musique a tendance à être soit joyeuse, soit mélancolique, soit agressive. En ce qui me concerne, j’aime l’idée que la musique soit capable d’exprimer ces changements d’humeur de la même manière qu’un livre ou un film peut le faire. Ces différentes ambiances, le bonheur, la joie, la tristesse, la colère, tu peux toutes les mélanger, les intégrer l’espace d’un album. C’est une manière très cinématographique de penser. J’ai toujours envisagé la musique ainsi. Depuis les tous premiers albums que j’ai entendus à la maison. Ainsi que je le mentionne dans mon livre, Dark Side of the Moon a été l’un des premiers albums que j’ai entendus, car mon père le passait tout le temps. Et c’est un excellent exemple d’album d’une grande diversité ; le son change constamment, l’humeur change constamment, ainsi que les tempos et les dynamiques. Et encore une fois, c’est quelque chose de très analogue au cinéma, ou en tout cas au cinéma que j’aime. D’ailleurs tu as peut-être perçu certaines des références musicales à Blade Runner sur la fin de l’album

Oui, et j’ai pensé à Lost Highway pendant “Impossible Tightrope”.

STEVEN WILSON : Excellent. Je suis d’accord, même si ce n’était pas de manière consciente pour le coup. Mais ce sont des choses qui ressortent, j’en suis sûr. Et donc, mon vocabulaire est autant influencé par le cinéma que par la musique.

Sur The Future Bites, il était beaucoup question de consumérisme. Sur cet album, tu traites d’une multitude de sujets et même certains qui sonnent très revendicatifs

STEVEN WILSON : Certaines chansons, comme celles que j’ai l’habitude d’écrire, sont très nostalgiques. Tu sais, cette nostalgie de mon enfance, la nostalgie d’une autre époque. Et donc il y a des chansons qui font référence à cette dimension sur l’album. Il y a aussi des chansons comme “Actual Brutal Facts”, qui est l’avant-dernier titre, bien plus hip-hop, d’un point de vue rythmique. C’est un morceau très énervé qui porte un regard acéré sur notre monde. Et qui renvoie à The Future Bites, d’une certaine manière au travers de cette notion de célébrité moderne. La célébrité des temps modernes c’est quelqu’un qui est célèbre pour ne rien faire d’autre que d’être présent sur les réseaux sociaux. Je pense que la diversité des textes vient en partie du fait que les chansons ont été écrites pendant la période de confinement, et également écrites sur une longue période. Ceci explique qu’elles partent dans toutes sortes de directions différentes. L’un des autres grands changements dans ma vie depuis que j’ai écrit The Future Bites, c’est que je me suis marié et que j’ai la responsabilité de deux enfants, même ce ne sont pas les miens. Encore une fois, ce n’est pas quelque chose que j’ai forcément consciemment intégré dans ma musique, mais je suis sûr que c’est là et que cela a eu un impact sur mon processus d’écriture. Ce serait étrange d’ailleurs si cela n’avait pas été le cas. Donc, oui, The Future Bites était, comme tu l’as dit, très spécifiquement focalisé sur une dimension de notre monde actuel et notamment ce style de mode de vie que l’on essaye de nous imposer. The Harmony Codex est peut-être un disque plus complaisant dans le sens où il parle plus de moi, de ma place dans le monde, de ma vie, et de ce que je ressens à propos de certaines choses. Mais l’ironie de la chose est que, plus on est centré sur soi-même au travers des textes, plus ils deviennent universels parce que nous partageons tous cette sorte d’expérience globale d’une manière ou d’une autre. Et des sujets comme la nostalgie de l’enfance sont forcément très universels. Et tu retrouves toujours cela dans ma musique. J’ai une grande nostalgie de l’enfance, ce qui est assez ironique parce que je n’ai pas vraiment apprécié cette phase de ma vie à l’époque. Mais maintenant, quand je me tourne vers mon passé, je me dis « quelle belle période c’était ». Tu sais, je vois les deux enfants de ma femme et je me dis : on ne réalise jamais à quel point c’est une période extraordinaire de sa vie. On ne le réalise que lorsque cette période est désormais révolue … chœur d’un côté de la pièce et un autre de l’autre côté. Ce sont des choses que je n’aurais peut-être pas faites si je n’avais pas pensé en termes d’amplitude audio spatiale. Cela sonnera très bien en stéréo, mais ça prend bien sûr une plus grande dimension lorsque tu peux les positionner autour, au­ dessus et derrière l’auditeur. Donc, cette approche a définitivement impacté le processus d’enregistrement, c’est vrai.

Sur certains titres tu es crédité à de nombreux instruments. Est-ce que c’est lié au fait qu’à certains moments tu n’as tout simplement plus forcément envie de devoir expliquer ce que tu attends des autres musiciens et que c’est plus simple de t’en charger toi­ même?

STEVEN WILSON : Oui. Je pense que si j’entends quelque chose dans ma tête, un son ou une texture, et que ce n’est pas quelque chose qui nécessite une capacité technique extraordinaire pour le reproduire, c’est plus simple de le jouer moi-même. Si j’ai besoin d’une certaine dextérité technique sur l’instrument en question alors bien sûr, je m’adresserai à quelqu’un qui a le niveau requis. Mais s’il s’agit simplement de créer une partie de la palette sonore, il suffit de louer l’instrument et d’en jouer de manière rudimentaire, de l’échantillonner ou d’utiliser une bibliothèque d’échantillons existante. Tu sais c’est très facile de nos jours. Une grande partie de ces sons sont facilement disponibles alors qu’ils ne l’étaient pas auparavant. Mais tu sais, j’ai toujours été quelqu’un qui cherche l’inspiration pour aller de l’avant et continuer à créer en utilisant de nouveaux instruments. Changer le vocabulaire musical et changer la palette musicale constamment. Ce que j’avais dit à l’époque au sujet de The Future Bites, c’est qu’à un moment j’ai commencé à m’ennuyer avec la guitare, parce que je suis très limité en tant que guitariste. Je ne peux plus rien faire pour me surprendre à la guitare. Je ne suis tout simplement pas assez bon pour cela. C’est alors que j’ai commencé à me tourner vers d’autres instruments et que j’ai trouvé l’inspiration en abordant un nouvel instrument en béotien complet, du style « Je ne sais pas comment jouer de ça, mais ça sonne bien ». Et évidemment, travailler avec des synthétiseurs analogiques est très intuitif. Il te suffit de l’allumer et, quasi immédiatement, ça génère des trucs de dingues qui peuvent t’inspirer, ce qui n’est pas possible avec une guitare. Avec une guitare il faut toujours faire un accord ou jouer une note et j’en suis arrivé à un point où cela ne m’inspirait plus du fait de mes capacités très limitées. Cela dit, il y a plus de guitare sur cet album que sur le précédent, alors je laisse les auditeurs se perdre en conjectures (Ndlr: rires)

Steven Wilson (2023)

« J’aimerais que les gens sortent de l’écoute de ce disque en se disant qu’ils ne savent pas de quel genre il s’agit, mais que c’est d’abord et avant tout un disque de Steven Wilson » – Steven Wilson

Est-ce le premier de tes albums solo que tu mixes en Dolby Atmos ?

STEVEN WILSON : Non, nous avons aussi mixé The Future Bites en Atmos. C’était littéralement ma première expérience en Atmos. Donc ça a  été  réalisé  à  l’époque avec un ingénieur de chez Dolby parce c’était tout nouveau pour moi. Au cours des trois années qui se sont écoulées, j’ai beaucoup appris. J’ai réalisé de nombreux mixages Atmos pour d’autres et j’ai senti que le moment était venu pour moi d’essayer de placer la barre plus haut avec cette technologie. Dans les années 70 on disait souvent que, pour vraiment tester la performance de ta chaîne hifi, il fallait écouter le vinyle de Dark Side of the Moon. A l’époque du CD évidemment, la référence est devenue Brothers in Arms de Dire Straits. Et je me suis dit que The Harmony Codex pourrait devenir le type même de disque que l’on utiliserait pour tester la qualité d’une chaîne hifi et découvrir pleinement la puissance du Dolby Atmos. Non pas parce que c’est fou, non pas parce que les sonorités virevoltent dans toute la pièce, mais tout simplement parce que c’est une manière très enthousiasmante de vivre cette musique. Donc, en réponse à ta question, je crois c’est vraiment la première fois que j’ai l’impression d’avoir toutes les connaissances, tous les outils et toute l’expérience pour faire quelque chose qui mette vraiment la barre plus haut avec cette technologie, après avoir passé plus de trois années à travailler ce sujet.

Et cela a changé ton approche de la musique ? Ta façon d’écrire de la musique ?

STEVEN WILSON : Pas l’écriture mais le processus d’enregistrement. Côté écriture, le processus démarre avec un synthé, un piano ou une guitare, comme toujours. Mais quand j’ai commencé à enregistrer la musique, j’ai davantage réfléchi au design sonore et à tous ces petits détails, qu’il s’agisse d’un synthé modulaire, d’un effet sonore ou de chœurs. Et il y a d’ailleurs beaucoup plus de chœurs sur cet album. Il y en a toujours eu sur mes albums, mais ici, il y a de nombreuses séquences simultanées.

Il y aura-t-il des titres mis à disposition avant la sortie de l’album ?

STEVEN WILSON : Oui c’est prévu. Mais je dois reconnaître que c’est un sujet qui me taraude depuis plusieurs années, notamment le fait d’annoncer un album avec une date de sortie si loin dans le futur. Tout le monde le fait. Récemment c’est arrivé avec l’album de Peter Gabriel. Peter sort des singles depuis plus de 9 mois ou presque. Avec le risque que cela érode l’effet de nouveauté et que le public finisse par se désintéresser de l’album à venir. Je l’ai constaté également avec le dernier Porcupine Tree. Nous avons proposé une chanson six mois avant la sortie de l’album, c’est beaucoup trop tôt ! Je pense que lorsque tu annonces quelque chose aujourd’hui, tu ne parviens à maintenir l’attention des gens que pendant 24 heures et encore, c’est un maximum. C’est la conséquence de la vitesse à laquelle le monde évolue, du nombre de personnes sur les réseaux sociaux et de la quantité de musique disponible, sans parler des films, des senes télévisées, etc. Honnêtement, j’aurais adoré sortir cet album sans aucun « single ». Et te dire, voilà, l’album est là. Mais la maison de disques, avec raison, s’y est opposée en me disant « Tu ne peux pas faire ça, il y a de nombreux fans qui aiment encore les produits physiques, ils ne vont pas se contenter du streaming ». Nous avons donc opté pour un compromis de quatre semaines. Nous allons annoncer l’album à la fin du mois d’août. Il sortira à la fin du mois de septembre. Et pendant ces quatre semaines, un nouveau titre accompagné d’une vidéo sera proposée chaque semaine. Évidemment, le plus compliqué a été de choisir ces morceaux car aucun titre en soi ne peut laisser présager de ce à quoi le public doit s’attendre avec l’album… Comment représenter un tel album avec une seule chanson ? Donc, nous allons sortir quatre chansons avec des intervalles très courts et elles seront toutes très différentes. Pour ce qui est des trois premières, nous avons retenu “Economies of Scale”, puis “Impossible Tightrope” et ensuite “What Life Brings”. Chacune représentera un aspect différent de l’album. Ainsi, lorsque l’album  sortira  quatre semaines plus tard, les gens auront, je l’espère, une idée de cet album très éclectique, et nous espérons que tout le monde y trouvera quelque chose qui lui donnera envie de l’écouter. Cela a toujours l’un des plus gros problèmes, si ce n’est ce n’est le plus gros, pour moi, de savoir comment illustrer un album en une chanson de quatre minutes. Et ça ne s’arrange pas (Ndlr: rires). Surtout quand les gens ne prêtent vraiment attention à ce que vous annoncez que pendant les premières heures qui suivent l’annonce. Et quoi que tu dises ou publies à ce moment-là, le public ne saura rien de plus jusqu’à ce que l’album soit réellement disponible. Je reconnais que je le fais moi-même. Par exemple, un nouveau groupe que j’aime beaucoup vient d’annoncer un nouvel album, j’ai écouté immédiatement le premier single et ensuite je suis allé directement sur Amazon pour précommander l’album, et honnêtement, ensuite je m’en suis désintéressé et ça sera le cas jusqu’à la réception de l’album. Et je pense que beaucoup de gens sont comme ça, surtout quand il y a une centaine d’albums qui sortent chaque semaine. Tu vois, j’annonce mon album, le jour suivant Radiohead annonce le sien, et le jour d’après c’est au tour de Sigur Ros d’annoncer le sien, etc. Je pense qu’il n’est guère possible de garder l’attention des gens sur ce que tu fais pendant plus d’une journée. J’aime beaucoup l’approche de certains artistes plus mainstream, par exemple Taylor Swift ou Beyonce. Tout d’un coup ils te disent : « Je viens de finir un nouvel album, le voici. Vous pouvez l’écouter aujourd’hui. Vous pouvez commander le vinyle et il sortira dans neuf mois, mais en attendant, voici l’album ». Et si cela ne tenait qu’à moi, j’aurais pu faire la même chose, mais la maison de disques m’en a dissuadé. Nous avons donc opté pour un compromis de quatre semaines.

Et tu sortiras aussi un vinyle ?

STEVEN WILSON : Absolument, oui. Un double vinyle, un Blu-ray et une cassette. Il faut proposer une cassette de nos jours. Donc, quatre formats différents. J’aime toujours les produits physiques. Je suis ce genre de personne qui n’écoute rien tant que je ne peux pas tenir l’objet entre mes mains. Je suis de la vieille école tu sais (Ndlr : rires). Et je comprends très bien que beaucoup de mes auditeurs soient comme moi. Ils n’écouteront pas l’album en streaming, ils voudront le tenir dans leurs mains. Et tu sais c’est toujours un grand bonheur pour moi, dans le processus de création d’un disque, ce moment où le premier vinyle arrive et où je peux le tenir dans mes mains. Je n’éprouve pas cette même satisfaction quand quelque chose est juste disponible en streaming. Donc, oui, je suis toujours très attaché au produit physique et à la fabrication d’un produit physique de la plus haute qualité possible.

Et le mixage Atmos ne sera disponible que sur le DVD, sur le Blu-ray, je veux dire?

STEVEN WILSON : Il le sera également sur les plateformes de streaming. Il sera donc disponible sur Apple, Tidal, et Amazon. Spotify n’a pas encore adopté le spatial sound, mais je pense qu’ils devront le faire rapidement parce que si Apple progresse tellement d’un point de vue audience c’est en partie grâce à ce procédé. Je pense que 17% des flux d’Apple sont en mode spatial sound ou binaural sound. C’est incroyable. Le monde entier est en train de s’y mettre. C’est nettement plus tridimensionnel que le bon vieux mode stéréo. Je pense donc que ce procédé va s’inscrire dans le temps cette fois-ci, parce qu’évidemment, de nombreux autres formats audio dans le passé – quadriphonique dans les années 70, 5.1 dans les années 90 – n’ont tout simplement pas décollé. Mais je pense que la différence, cette fois-ci, c’est d’abord le soutien massif d’entreprises comme Apple et Amazon, et ensuite le fait que n’importe qui, avec une paire d’écouteurs, peut écouter de l’audio spatial.

Une seule écoute c’est court mais on a vraiment l’impression avec ce disque que tu transcendes beaucoup de styles. Et que tout ce à quoi tu as pu toucher de par le passé, via tes différents groupes ou projets solos, s’assemble ici pour former un tout.

STEVEN WILSON : Je le ressens comme cela également, oui.

Au point de se demander dans quelle direction tu vas aller ensuite, même si c’est un peu tôt…

STEVEN WILSON : C’est une bonne question. Je disais tout à l’heure que d’une certaine manière ce disque n’essaie pas d’être quoi que ce soit en particulier. Son ambition est juste d’intégrer les éléments de l’univers de Steven Wilson et donc d’avoir sa propre marque de fabrique. Pour ce qui est de la suite, je ne sais pas exactement encore. Je ne veux pas y penser maintenant. Je suis juste très fier de cet album. Je ne veux pas me laisser prendre au piège de me sentir obligé de répéter quelque chose. Je peux quand même te dire que j’ai une idée en tête sur le genre d’album que je voudrais faire ensuite. Et ce serait quelque chose de complètement différent de celui-ci. Mais l’avenir nous le dira. Il est important pour moi que chaque disque du catalogue ait une raison d’être. Le disque n’existe pas simplement parce que je suis musicien et que je dois faire un autre disque qui plaira aux fans. Quand je regarde chaque disque de mon catalogue, je sais précisément pour quelle raison je l’ai fait. Et c’est intéressant, car l’une des questions que l’on me pose parfois en interview, peut-être par des personnes qui ne connaissent pas très bien l’ensemble de mon œuvre, si je peux l’appeler ainsi de manière prétentieuse, est la suivante : « Quel album recommanderiez-vous à quelqu’un qui ne vous a jamais écouté à ce jour? ». Je réponds toujours que pour recommander un album, il me faut connaître les goûts musicaux de cette personne. Si elle aime le rock prog old school des années 70, je lui suggérerais The Raven that Refused to Sing. Si elle déteste ce style, bien sûr je ne recommanderais surtout pas ce disque (Ndlr : rires). Si elle aime plutôt la pop, je lui dirais d’écouter The Future Bites. Si elle aime le métal, je lui dirais d’écouter certains des albums de Porcupine Tree. Tu sais, j’aime le fait que, d’une certaine manière, j’ai maintenant dans mon catalogue des choses très diverses et que tout le monde ou presque y trouve quelque chose à son goût. Et c’est ensuite une porte d’entrée vers d’autres choses car il y a un fort continuum dans mon répertoire.

Steven Wilson (2023) - 2

« Mon seul objectif était d’essayer de faire un album qui existe en dehors de l’idée de genre musical je laisserai le public juger si j’y suis parvenu ou non. » – Steven Wilson

Pour en revenir à l’écriture, combien de temps consacres-tu réellement à l’écriture de la musique ? Parce que j’ai l’impression qu’il y a énormément de travail sur les textures.

STEVEN WILSON : Je vais peut-être te surprendre mais la réalité est que je ne sais pas écrire de la musique. Fort heureusement, avec la technologie informatique et l’enregistrement numérique, notre époque permet d’approcher la musique d’une manière très différente, c’est-à-dire qu’on enregistre beaucoup de choses sans aucunes limites. Si j’avais enregistré à l’époque sur des bandes analogiques, 16 canaux ou 8 canaux, cela aurait été plus compliqué. J’aime l’idée de pouvoir partir dans plusieurs directions au cours du processus d’enregistrement et de demander à différents musiciens d’essayer des tas de choses. Mon processus d’assemblage devient alors très intuitif, ce qui, une fois de plus, est peut-être analogue au monde du cinéma. Certains réalisateurs ont tendance à filmer des heures et des heures de séquences. Puis ils réalisent leur film dans la salle de montage. Je pense que je suis un peu comme ça. Pour poursuivre l’analogie, je filme énormément puis je construis mon film, mon album, au cours du processus de montage. Et cela peut parfois prendre beaucoup de temps car j’expérimente, j’essaie différentes choses, je me remets en question avant de parvenir à la scène finale qui est exactement ce que je souhaite. Je crois que j’ai beaucoup de chance, en tant que musicien, de travailler à l’ère de l’enregistrement sur ordinateur. Je ne pense pas que je pourrais faire ces enregistrements dans des conditions autres…

Pourtant tu travailles depuis plus de 30 ans maintenant.

STEVEN WILSON : Oui, j’ai commencé à enregistrer des disques au milieu des années 90, juste à l’aube de la technologie de l’enregistrement informatique. Et à l’époque, c’était assez primitif par rapport aux normes d’aujourd’hui. Néanmoins, même à l’époque, je n’ai jamais travaillé avec des bandes analogiques. D’une certaine manière, j’aurais aimé apprendre parce que la seule chose que je n’ai jamais eu le loisir ou la nécessité d’aborder. Si tu me mets dans un studio comme celui­ ci (Ndlr : il montre l’équipement qui nous entoure), avec cet équipement analogique, je serais bien incapable de faire quoi que ce soit. Qu’est-ce que je suis censé faire avec ça ? Je n’en ai pas la moindre idée. Je n’ai jamais appris. Je ne saurais même pas comment l’allumer (Ndlr rires). Mais j’aimerais vraiment le savoir, parce que l’ironie du sort, c’est que j’ai fini par remixer beaucoup d’albums classiques des années 60, 70 et 80 qui ont été enregistrés sur des appareils comme celui-ci. En tant que musicien professionnel, je suis en quelque sorte arrivé à l’âge adulte avec la toute première génération d’enregistrements séquencés sur ordinateur et j’adore ça. Je ne pourrais pas faire un disque dans un contexte différent.

Tu as dans cet album deux titres écrits avec d’autres personnes “Economies of Scale” avec Adam Holzman et “Rock Bottom” avec Nlnet Tayeb. Ce qui est un peu surprenant lorsque l’on comprend ce désir que tu as d’écrire seul, pour ne pas avoir à faire de compromis, et qui a conditionné en partie ce choix d’une carrière solo.

STEVEN WILSON : C’est vrai mais dans ces deux cas ce ne sont pas de vraies collaborations. Je vais expliquer pourquoi. Tout d’abord, la collaboration avec Adam… Adam m’a envoyé une boucle de synthétiseur modulaire qui m’a inspiré et j’ai écrit ma chanson en partant de cette boucle modulaire bizarre qui va jusqu’au bout de la chanson. Donc Adam devait être crédité car cest vraiment le déclencheur de la chanson. Mais je n’ai pas écrit la chanson stricto sensu avec lui. Ensuite, pour ce qui est du titre avec Ninet, c’était quelque chose qu’elle m’avait joué dans un style particulier, elle l’avait fait presque comme une sorte de truc indie grunge. Mais dès qu’elle l’a joué, je l’ai imaginé comme une sorte de thème de James Bond, une composition à la « John Barry », toujours cette référence au cinéma (Ndlr: rires). Avec une orchestration et beaucoup d’harmonies vocales. Je lui ai demandé si elle serait OK que l’on prenne son morceau mais avec l’idée sonore que j’avais en tête, complètement différente de la sienne. Elle a accepté, a adoré le rendu et nous avons décidé que ce morceau serait parfait sur ce disque. C’est sa chanson mais filtrée au travers de ma sensibilité et de ma production. Ma version est pleine de cordes, de cuivres, d’orchestrations pompeuses, vraiment grandiloquentes (Ndlr : rires). Et je me suis dit que ça serait top si Ninet chantait sur ce titre. Elle une voix qui colle parfaitement avec cette idée d’un thème à la James Bond. Ça fonctionne parfaitement dans le contexte de l’album.

Tu as parlé des films et de la façon dont ils t’inspirent. Pourrais-tu envisager un jour d’écrire la bande originale d’un film ?

STEVEN WILSON : J’adorerais. Mais personne ne me l’a jamais proposé…

Vraiment ? C’est étrange…

STEVEN WILSON : Oui, je sais. On me le dit souvent. Tu sais c’est drôle, j’ai eu un tas de réunions à Los Angeles, il y a environ 10 ans, avec des superviseurs de musique pour des films. Et l’une des personnes que j’ai rencontrées m’a dit quelque chose qui me semble logique et qui explique peut-être pourquoi on ne m’a jamais demandé de faire une bande originale de film. Elle m’a dit : « L’un des problèmes avec ta musique, c’est qu’elle est très cinématique et qu’elle sonne comme déjà finie. Elle sonne déjà comme un film à part entière et ce n’est pas ce que veulent les réalisateurs. Ils veulent presque une musique vierge de personnages et de sentiments, afin de pouvoir ensuite la rendre vivante à partir de leurs propres images ». Ceci dit, j’aimerais vraiment bosser sur un film et je pense que si j’avais l’opportunité de m’asseoir avec le réalisateur et de et créer de la musique spécifiquement pour quelque chose, je suis convaincu que je pourrais faire du bon travail. C’est un peu dans le haut de la liste des choses que je n’ai pas encore faites et que j’aimerais faire avant d’être trop vieux (Ndlr : rires).

J’ai lu dans la biographie de Mark Kelly qu’il avait souhaité travailler avec toi et t’avait envoyé à l’époque des idées musicales… Est-ce que cette collaboration pourrait voir le jour?

STEVEN WILSON : Je ne suis pas sûr de retravailler un jour sur ce type de projets. C’était dans les années 90 et c’était assez drôle car Mark m’a effectivement sollicité, mais également Steve Hogarth et aussi, comme tu le sais, Fish. J’ai fini par travailler avec Fish parce que je pense qu’il avait plus besoin de moi que les deux autres. Fish cherchait réellement quelqu’un pour créer tout un monde musical pour lui. Et en fait, j’ai vraiment aimé faire cet album (Ndlr : Sunsets on Empire) parce que nous avons essentiellement réinventé le son de Fish et que j’ai écrit la musique et l’ai produite enfin. Bref un projet dans sa globalité. Je pense que Mark avait lui déjà une idée très précise de son album. Donc, à ce moment-là, l’idée de faire un album avec Fish s’est imposée à moi comme la plus intéressante, d’un point de vue créatif. J’ai fait également quelques travaux de production à cette époque. J’ai travaillé avec une artiste norvégienne, j’ai aussi travaillé avec Opeth et j’ai réalisé peu après que je n’étais pas fondamentalement intéressé par le métier de producteur. Je suis plus intéressé par ma propre musique. Et je me suis davantage tourné vers le mixage que vers la production. Je préfère donc maintenant des projets où tout est enregistré, où toutes les décisions ont déjà été prises mais où je peux encore marquer la musique de mon empreinte si c’est nécessaire. C’est moins contraignant. Je n’ai pas besoin de rester assis pendant une semaine à écouter le bassiste jouer la même chanson. Je n’ai d’ailleurs tout simplement pas la patience pour cela. Je l’ai à peine avec ma propre musique. Et c’est pourquoi je travaille avec des musiciens extraordinaires qui réussissent tout parfaitement du premier coup. Donc pour répondre à ta question, je pense que j’ai déjà décidé que la production n’est pas ce que je veux faire à moins qu’il ne s’agisse bien sûr de mes disques.

Une interview réalisée le 10 juillet 2023 par Stéphane Rousselot & Cyrille Delanlssays

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