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Rencontre exceptionnelle avec Ray Alder dans le contexte de ce projet parallèle North Sea Echoes qui nous offre, au travers d’un premier album écrit et réalisé avec le guitariste Jim Matheos, son compère de Fates Warning, une musique d’une sensibilité rare, dans un style à des années lumières des rivages du prog-metal, démontrant ainsi toute la versatilité de leur art. Une occasion d’échanger avec le légendaire chanteur à propos de ce singulier album qui nous a réellement bouleversé et d’en profiter également pour aborder d’autres sujets connexes, au regard de la longue et riche carrière de l’artiste.

Bonjour Ray, merci de ta disponibilité. Je suis ravi de pouvoir parler avec toi de ce nouveau projet North Sea Echoes qui a donné naissance à ce premier album Really Good Terrible Thingsun disque remarquable, totalement en dehors des sentiers battus et bien loin des codes du prog-metal. Rentrons dans le vif du sujet si tu veux bien : il se trouve que Fates Warning est actuellement en pause. Ce nouveau projet avec Jim est donc votre toute première collaboration depuis 2020. Peux-tu nous dire de quelle manière tu as été amené à retravailler avec Jim ?

RAY ALDER : Cela s’est fait vraiment à l’impromptu. J’étais en train de bosser sur mon second album solo (Ndlr : II ) quand Jim m’a appelé pour me dire qu’il travaillait sur de nouvelles compositions et me demander si ça m’intéressait de participer à ce nouveau projet. Cela m’a tout de suite intrigué et je lui ai proposé de m’envoyer ce qu’il avait déjà écrit, pour me faire une idée de la direction musicale. Ce qu’il a fait aussitôt. Et je dois reconnaître que j’ai été tout de suite emballé et ce, même si trouver des mélodies pour cette musique me paraissait assez ardu car, de mon point de vue, la musique se suffisait à elle-même et ne requérait pas forcément de lignes de chant. C’est d’ailleurs ce que je lui ai dit, tout en précisant que j’allais bien sûr essayer car ce que j’avais entendu me plaisait énormément. J’ai aussi ajouté que j’avais besoin d’un peu de temps avant de revenir vers lui car j’avais pas mal de choses sur le feu et quelques priorités à boucler impérativement. Malheureusement, tout a pris beaucoup plus de temps que prévu de mon côté. Et par conséquent, quand j’ai repris contact avec Jim, il avait déjà pris une autre option et arrêté son choix sur une chanteuse. Je pense qu’il rongeait son frein et avait vraiment envie d’avancer rapidement sur le projet. Toute la partie musique était d’ailleurs déjà terminée à ce moment-là. J’avais clairement loupé le coche et il n’y avait pas grand-chose à dire, à part, « OK, on fera autre chose ensemble une prochaine fois ». Et puis, quelques semaines plus tard, il m’a rappelé. Pour faire court, ça ne fonctionnait pas comme il le souhaitait avec cette chanteuse. Donc, comme j’étais dispo, je lui ai fait super rapidement une proposition pour ce qui allait devenir le titre “Open Book“, histoire qu’il se fasse une idée de ce que je pouvais apporter au projet. Une sorte de test en quelque sorte, juste pour être sûr également que l’on soit, l’un et l’autre, bien alignés en termes d’attentes. Cela m’a pris 4 jours pour écrire la mélodie, ainsi que les paroles et enregistrer le tout. Et le résultat était probant : il était évident que nous étions vraiment sur la même longueur d’onde. Cela nous a donné envie de poursuivre et c’est ainsi que nous avons fini par faire l’album tout entier ! Et ça a été vraiment formidable de travailler de nouveau avec Jim !

Tu as une voix qui a évolué avec le temps, avec désormais encore plus de richesse et de profondeur. Et cette voix se révèle plus que jamais aujourd’hui sur les passages musicaux plus posés, ce qui est juste parfait au regard du style développé sur cet album. Est-ce que c’est une dimension que tu avais à cœur de particulièrement explorer à un moment ou à un autre de ta carrière ?

RAY ALDER : Cette évolution de ma voix, disons que c’est la simple résultante de prendre de l’âge (Ndlr : rires). Bon, disons que lorsque j’ai rejoint Fates Warning, j’avais tout au plus la vingtaine et que j’étais, avant toute chose, un fan invétéré de heavy metal. Donc tu te doutes que ce qui m’intéressait le plus c’était d’aller systématiquement chercher les notes les plus hautes. Et c’est toujours ce que j’ai privilégié avec Fates Warning. Mais comme tout un chacun, au fil du temps mes goûts musicaux ont évolué et je me suis ouvert à une multitude de styles bien différents, tout en conservant bien entendu absolument intacte ma passion pour Fates Warning. J’apprécie beaucoup aujourd’hui, par exemple, des artistes comme Katie Lang (Ndlr : chanteuse et parolière canadienne pop rock, lauréate de quatre Grammy Awards)Hollow Coves (Ndlr : groupe australien d’orientation plutôt folk) ou Sarah McLachlan (Ndlr : artiste canadienne soft-rock). Et j’ai moi-même pris beaucoup de plaisir à aborder des registres plus tempérés. Je pense que tu fais passer globalement plus d’émotions de cette manière que dans le haut de la tessiture. J’ai d’ailleurs envisagé à un moment d’écrire un album solo, complètement en mode acoustique. Avec juste un piano également. Je n’en joue pas donc il aurait fallu pour cela que je collabore avec quelqu’un mais l’idée était là. Donc oui, j’ai toujours pensé que pouvoir écrire tout un album de cette manière serait une très belle expérience. Je me visualise très bien en train de m’asseoir le matin avec ma tasse de café, écouter la musique et poser ma voix sur ce type de partitions. L’idée est très séduisante. Et c’est d’autant plus envisageable que je dispose maintenant d’un home studio, ce qui n’était pas le cas avant la pandémie. Au passage, un home studio est devenu, je crois, une condition sine qua non pour mieux travailler de nos jours.

Est-ce que tu as dû modifier quoi que ce soit dans ta routine professionnelle pour aborder cet album, ne serait-ce que pour travailler sur les mélodies vocales par exemple ? Notamment par rapport à ta méthode de travail sur des albums plutôt typés prog-metal ? 

RAY ALDER : Tout s’est fait très naturellement. Pour chaque titre, je me suis tout simplement imprégné de la musique proposée par Jim pour mieux déterminer quel type de texte pourrait convenir. Avec Fates Warning j’ai toujours  écrit en premier lieu les mélodies (Ndlr : vocales) et seulement ensuite les paroles, sur la base de ces mélodies. Avec North Sea Echoes, j’ai écrit les paroles au fil de l’eau en même temps que les mélodies. Cette approche s’est imposée à moi, naturellement. Cela semblait tout simplement avoir plus de sens, au-delà du pur gain de temps. Donc oui, j’ai abordé cet album d’une manière un peu différente. Tu sais pour moi, écrire des textes c’est généralement une vraie torture. C’est la partie la pire de tout le processus créatif. Pour la simple raison que je suis constamment en train de me remettre en question et de me demander si ce que j’écris a du sens pour l’auditeur, si cela a du sens ne serait-ce que pour moi, si c’est réellement important que cela ait du sens pour l’auditeur etc…Bref je me pose mille questions. Mais avec cet album c’était un peu plus facile je dois dire…

Je ne vais pas te poser de questions sur les textes en eux-mêmes car je sais que, généralement, tu n’aimes pas trop les commenter, probablement pour la raison que tu viens d’évoquer. Mais je dois dire qu’au-delà des mélodies vocales, ce qui m’a bluffé sur ce disque, c’est la qualité de tes textes et l’émotion palpable qui s’en dégage. Tu as toujours eu une facilité pour l’écriture mais j’ai vraiment le sentiment que tu t’es surpassé ici avec des textes qui résonnent profondément, bien loin des clichés et lieux communs. Et quand bien même leur contenu est fictionnel, il en reste une grande authenticité. Donc indépendamment de ce processus douloureux que tu évoques, le résultat est absolument fantastique…

RAY ALDER : Merci. J’essaie généralement de ne pas écrire des textes qui puiseraient dans mes propres expériences. J’essaie plutôt de penser à l’émotion humaine dans sa globalité, à ce que tout le monde ressent de temps à autre. Je pense notamment à ces émotions qui surviennent en nous lorsque nous nous sentons seuls ou que nous avons envie d’être seuls. Il y a comme une universalité du ressenti dans ces moments-là. Et c‘est précisément ce que je voulais capturer ici. Mais je ne voudrais pas que l’on se méprenne sur ma personnalité (Ndlr : rires). D’ailleurs, je vais te raconter ce qui m’est arrivé pendant les vacances de Noël : j’étais au soleil, sur la plage, en train de préparer un barbecue et de descendre quelques bières. Et j’ai accepté de faire une interview à ce moment-là. Le type me dit que les textes de l’album lui semblent vraiment déprimants etc… Je lui ai répondu qu’il s’agissait de ressentis assez communs et que, personnellement, je ne les trouvais pas si négatifs que ça, à défaut d’être enjoués. Et surtout qu’il ne fallait pas y voir une transposition de ma propre vie. D’ailleurs je lui dis «tu vois, je suis là les pieds dans le sable, autour d’un barbecue et j’ai la chance d’être très bien entouréMa vie est plutôt sympa. D’autant plus que j’ai le bonheur de pouvoir faire de la musique. Et il se trouve juste qu’à ce titre, la musique proposée au travers de North Sea Echoes me permet de d’explorer ce type de thèmes. Il ne faut rien y voir d’autre qu’un processus créatif ». (Ndlr : une situation qui fait écho à ce qu’explique Steven Wilson dans son livre Limited Edition of One, lorsqu’il indique qu’il n’est pas « un être mélancolique et déprimé », contrairement à ce qu’une interprétation de ses textes pourrait laisser supposer).

Peux-tu nous en dire un peu plus sur le titre de l’album, Really Good Terrible Things, qui est quelque peu intriguant ?  

RAY ALDER : C’est juste très oxymorique. Jim et moi-même partageons la même approche ; nous notons dans notre téléphone toute idée qui peut nous sembler intéressante à un instant t. Ce qui me permet de toujours avoir à disposition une section notes dans laquelle je peux puiser. Parfois j’y trouve l’inspiration pour un texte, pour un titre de morceau ou pour le titre d’un album. Ici, une fois l’album terminé, lorsque est venu le moment de réfléchir au titre de cet album, nous avons bien sûr commencé par parcourir le contenu des textes et les titres des chansons. Mais rien parmi tout cela ne semblait convenir. Et c’est en jetant un œil aux notes dans mon téléphone que je suis tombé sur ce bout de texte “Really Good Terrible Things”. Impossible de me souvenir d’où ça venait pour être honnête. Mais ça semblait correspondre parfaitement à la musique et aux paroles. Voilà la genèse du titre en quelque sorte.

« J’ai pris beaucoup du plaisir à aborder des registres plus tempérés et je pense que tu fais passer globalement plus d’émotions de cette manière que dans le haut de la tessiture. » – Ray Alder

Le style de cet album est assez unique. Il y avait un titre sur le dernier Fates Warning qui évoquait un peu cette direction musicale mais là, il s’agit d’un album dans son entièreté. Comment décrirais-tu le style de North Sea Echoes à quelqu’un qui n’a jamais entendu parler du groupe ou qui ne connait pas ton travail ?

RAY ALDER : Le titre auquel tu fais référence est “When Snow Falls” je pense. Oui c’est vrai que c’était très différent du reste de l’album (Ndlr : Long Day Good Night). Notamment par sa dimension électronique. Jim et moi-même avons pris beaucoup de plaisir à l’écrire. Ceci étant, même si nous en sommes très satisfaits, je ne pense pas que ce soit l’une des chansons de l’album les plus appréciées par les fans. Pour ce qui est de la musique que tu retrouves sur Really Good Terrible Things j’avais pensé à un moment que Jim pourrait être finalement amené à l’utiliser dans le contexte de son projet solo Tuesday The Sky. Mais pour revenir à ta question, je ne sais pas quelle serait la meilleure manière de décrire avec précision le style de North Sea Echoes. Tiens, d’ailleurs c’est drôle qu’on en parle car je viens tout juste de recevoir des copies de l’album et il se trouve que la maison de disques a apposé un sticker dessus pour cataloguer l’album. Attends une seconde (Ndlr : il se lève et récupère une copie).  Voilà, le sticker dit « rock progressif mélancolique à son apogée » !!! Progressif oui, rock je ne sais pas ! Mais bon, comme il s’agit de Jim et de moi-même je suppose que l’intitulé « rock progressif » a été choisi à dessein ou par facilité. Je dirais plus « ambient ». Mais bon, pour ce qui est du sticker, c’est trop tard (Ndlr : rires).

Cela m’intéressait vraiment d’avoir ton point de vue au regard du style assez unique de cet album. Tu as des titres préférés sur Really Good Terrible Things ?

RAY ALDER : Je les aime tous mais l’un de mes favoris en ce moment est indéniablement “The Mission”. Et c’est d’autant plus paradoxal que ce titre a failli ne pas figurer sur l’album. Nous avions écrit tout l’album et initialement laissé de côté ce morceau car il ne semblait pas trouver sa place parmi les autres compositions (Ndlr : titre au tempo enlevé, en contraste avec le reste du disque). Mais au moment du mastering, soit probablement deux semaines plus tard, j’ai reçu un appel de Jim qui m’a dit « Je pense que l’album est trop court et que ça serait pas mal d’ajouter finalement cette dernière chanson ». Il a fallu aller assez vite pour le retravailler. De mémoire cela a probablement pris une semaine. Quand j’ai entendu pour la première fois la musique écrite par Jim pour cette compo, ça m’a tout de suite fait penser à une ambiance du style espionnage, genre mission secrète. Et j’y ai intégré le thème de la schizophrénie, sans vouloir être négatif ou en parler en mal. Dans ce texte, le protagoniste souffre de schizophrénie, entend des voix et se sent investi d’une mission : il doit faire quelque chose pour sauver le monde. Jim et moi-même avons été très surpris du résultat. Au début ça sonnait un peu comme du Depeche Mode mais ça a pris ensuite une nouvelle dimension. Et c’est maintenant une de mes chansons préférées.

Je voulais mentionner le titre “Unmoved” pour conclure sur cet album. Je lui trouve une dimension très Nick Drake dans l’intro et dans sa tonalité mélancolique…

RAY ALDER : On vient juste d’en sortir la vidéo ! Cette vidéo n’était absolument pas préméditée (Ndlr : effectivement, il n’était pas prévu de sortir ce titre en second single). C’était plus un concours de circonstances qu’autre chose. Cela s’est fait de la manière suivante : je devais faire une session photos avec Jim, je me suis donc envolé pour les Etats Unis puisque je vis désormais en Espagne. Et je dois dire que c’était génial de retrouver Jim que je n’avais pas revu depuis trois ans, en fait très exactement depuis la dernière tournée de Fates Warning (Ndlr : tout l’album a été conçu à distance). Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, fait toutes les photos dont nous avions besoin et aussi bu beaucoup de scotch. C’était très bien ! (Ndlr : rires). Et juste avant de repartir, l’idée nous a été suggérée en dernière minute de faire cette vidéo pour “Unmoved” puisque nous étions ensemble et que Jim avait sous la main sa guitare acoustique (Ndlr : tout le titre étant essentiellement acoustique). Bref, nous nous sommes levés très tôt et avons tourné cette vidéo le matin même de mon vol retour. Je ne sais si c’était la bonne chanson à sortir en second single mais ça procédait d’une démarche 100% logique! C’est pour cette raison en tout cas que nous avons sorti “Unmoved” juste après “Open Book”.

C’est une belle vidéo en tout cas. Je te propose maintenant que l’on s’éloigne un peu de North Sea Echoes et que l’on aborde Redemption. Je crois que Nick (Ndlr : Van Dyk, fondateur de Redemption) t’est extrêmement reconnaissant pour la visibilité que tu as apportée à son groupe. Est-ce que tu peux nous raconter de quelle manière tu as rencontré Nick et a été amené à collaborer avec lui ?

RAY ALDER : Nous nous sommes rencontrés lors d’un concert lorsque j’habitais à Los Angeles. Il m’est tout de suite apparu comme quelqu’un d’incroyablement authentique. Nous avons échangé, sympathisé et bu quelques bières au bar. Il se trouve qu’il était un grand fan de Fates Warning. Et comme nous étions justement en train de répéter au nord d’Hollywood, je lui ai proposé de venir assister à une répétition du groupe. Nous sommes devenus rapidement amis après cela. Sache que ce n’est pas quelque chose que je fais spontanément, je veux dire discuter avec un inconnu comme ça au bar, même dans un concert. Et encore moins l’inviter à une répétition de Fates Warning.  Mais c’est ce qui s’est passé dans ce cas précis. Ensuite, de fil en aiguille, je l’ai aidé à réunir les musiciens pour son premier album de Redemption. Et puis à un moment où c’était plus calme côté Fates Warning, j’ai proposé à Nick de chanter au sein de Redemption. Et voilà comment nous avons fini par enregistrer pas moins de 5 albums au fil des années (Ndlr : entre 2005 et 2016). Par la suite, Fates Warning a fini par être réactivé, albums et tournées à l’appui. J’avais donc besoin de me consacrer de nouveau 100% au groupe. Et c’est la raison pour laquelle j’ai été amené à céder le micro au sein de Redemption. Ils ont continué de leur côté et ça se passe super bien avec Tom Englund  (Ndlr : fondateur et leader de Evergrey)  au chant.

North Sea Echoes

« Cet album n’est ni du Fates Warning, ni une variante de Fates Warning. C’est juste Jim et moi-même, avec une orientation musicale complètement différente et j’espère que les gens écouteront cet album avec une grande ouverture d’esprit. » – Ray Alder

Tom fait un super job, rien à dire. Mais avec tout le respect que je lui porte, je dois avouer que j’aurais adoré entendre ta voix sur le dernier album de Redemption I Am the Storm.

RAY ALDER : Fates étant en pause, peut-être que l’opportunité se représentera de nouveau, qui sait…

Je suis un fan inconditionnel de Fates Warning mais, si tu me le permets, j’ai toujours eu néanmoins la sensation que la musique de Redemption permettait à ta voix de s’exprimer encore mieux et ce, dans toutes ses dimensions ? Est-ce que tu le ressens aussi ainsi ou pas du tout ?

RAY ALDER : Peut-être, effectivement. La musique de Redemption est d’une certaine richesse, ne serait-ce que grâce à l’apport des claviers. Il y a une grande diversité de tons. Plus de passages calmes et très mélodiques également je pense. Une grande dimension prog au final, avec pas mal de parties instrumentales. Ce sont d’ailleurs les moments où je m’éclipsais de la scène pendant les concerts pour aller fumer une cigarette backstage (Ndlr : rires). Cela m’arrivait aussi avec Fates pour être honnête ! Pour revenir à ta question, je pense aussi que Nick a toujours réfléchi aux particularités de mon chant pour, peut-être en quelque sorte, écrire autour de ma voix. Ce qui a du sens. Et l’autre point important est que Nick écrit les mélodies vocales ainsi que les textes. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de gens qui le savent au demeurant. Bien évidemment j’ai toujours eu la possibilité d’ajuster et de changer certaines choses, çà et là. Mais il est évident que Nick a toujours su ce qui fonctionne parfaitement avec ma voix. Et c’est aussi pour cela que Redemption sonne si bien.

Pour rester sur ce sujet, est-ce compliqué pour toi de chanter des textes écrits par quelqu’un d’autre, Nick ici en l’occurrence ?

RAY ALDER : Nick a toujours pris le temps de m’expliquer la signification de ses textes. Et sinon, je m’en faisais ma propre interprétation pour me les approprier. De la même manière que les gens le font à l’écoute des morceaux. On en revient au sujet de l’explication des textes. Généralement ce sont plutôt les journalistes qui posent la question, rarement les fans. A contrario, quand je discute avec les fans ils me livrent plutôt leur propre interprétation. Et parfois, c’en est amusant ! Mais pour moi, écrire des textes, essayer de rester abstrait et éviter le côté trop littéral n’est pas déjà pas évident en soi. Alors, devoir expliquer en plus ce que j’avais en tête, c’est vraiment à l’opposé de ce que je veux faire. Je veux que la personne qui écoute la musique se fasse sa propre opinion. Qui suis-je pour lui imposer une interprétation. Pourquoi gâcher sa propre compréhension et l’idée qu’elle s’en est faite ? J’ai un très bon exemple en tête, un jour j’ai révélé à ma femme le sens d’un texte que j’avais écrit. Sa réaction immédiate a été « Mais pourquoi tu m’as dit ça (Ndlr : rires)J’avais en tête une interprétation complètement différente ». Et même expérience avec Jim qui m’a dit un jour « J’aurais préféré ne pas savoir » !

J’ai énormément aimé l’album que tu as enregistré avec Mark Zonder sous la bannière A-Z. Avec une philosophie très proche de celle d’Asia qui avait consisté, selon les mots du regretté John Wetton, à « couper dans le gras » des débordements prog pour ne garder que la stricte quintessence de la musique. Mark avait affirmé que c’était un projet long terme et qu’il donnerait donc une suite à ce premier album. Des nouvelles de ce côté ?

RAY ALDER : Absolument. On est justement dessus en ce moment ! Nous avons huit chansons de terminées. Je dois encore travailler sur trois autres, ce qui portera l’album à un total de onze titres. Donc l’album devrait être bouclé d’ici à six semaines.

Avec la même équipe sous la houlette de Mark ?

RAY ALDER : Non. Et d’ailleurs, on parlait de lui il y a quelques minutes, sache que Nick Van Dyk nous a rejoint et a contribué au processus d’écriture. Viv (Ndlr : le claviériste français Vivien Lalu) et Joop (Ndlr : le guitariste hollandais Joop Wolters) ne font plus partie de l’aventure. Ne me demande pas pourquoi, je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé. C’est entre Mark et eux. Au final, c’est le groupe de Mark et ce type de décision lui appartient. Il a souhaité continuer avec d’autres musiciens et a choisi entre autres Nick, qui est un de mes meilleurs amis. Mais j’ai bien sûr été très peiné de voir partir Viv et Joop. Tous deux sont des musiciens exceptionnels. Pour ce qui est de la musique, elle a un peu évolué par rapport au premier album, tout en conservant ce principe fondateur des refrains percutants (Ndlr : une vraie réussite sur le premier LP).

Une date de sortie est-elle déjà calée ?

RAY ALDER : Non. Mais, sur la base du rythme actuel des maisons de disque je dirais, pas avant 2025.

Comment as-tu été amené à retravailler avec Mark sur ce premier album de A-Z ?

RAY ALDER : Cela a été un coup de fil à l’impromptu, comme avec Jim. Je crois que ses premiers mots ont été « Hey Ray, j’ai une opportunité business ». Pour ceux qui connaissent Mark, ça c’est tout à fait lui (Ndlr : rires) ! C’était top de se reconnecter après tant d’années (Ndlr : Mark a quitté Fates Warning en 2005).

Ray Alder

« Trouver des mélodies pour cette musique me paraissait assez ardu car, de mon point de vue, la musique se suffisait à elle-même et ne requérait pas forcément de vocaux. » – Ray Alder

Dans le livre de Jeff Wagner sur l’odyssée Fates Warning (Ndlr : Destination Onwards) on apprend que Mike Portnoy, grand fan devant l’éternel de Fates Warning depuis les toutes premières heures, avait été certes ravi que tu rejoignes le groupe à l’époque mais était tout aussi dépité de ne pas avoir mis la main sur toi avant pour Dream Theater

RAY ALDER : Je n’aurai jamais eu la discipline nécessaire pour rejoindre Dream Theater

Mike a monté de nombreux projets par la suite, après avoir quitté Dream Theater. Vous n’avez jamais évoqué de travailler ensemble ?

RAY ALDER : Non. Je l’ai croisé à plusieurs reprises. Je l’ai vu au festival Prog Power à Atlanta notamment. Il y était avec Sons of Apollo. Il avait choisi Jeff Scott Soto pour ce projet, excellent choix au demeurant. Il est maintenant de retour au sein de Dream Theater. Et honnêtement, à mon sens, c’est exactement là qu’il doit être.

Il aura sans doute beaucoup moins de temps pour ses autres projets…

RAY ALDER : J’imagine que ça fait partie du contrat (Ndlr : rires).

Parlons un peu de tes préférences musicales. Tu as évoqué en début d’entretien quelques artistes que tu apprécies, assez différents de la mouvance metal. Mais quels sont les groupes ou artistes qui t’ont fait le plus vibrer à ce jour ?

RAY ALDER : Un de mes albums préférés de ces 30 dernières années est indubitablement l’EP Jar of Flies d’Alice in Chains. J’ai toujours aimé ce groupe. Et j’ai fini par réaliser à quel point cet EP était juste parfait ; la musique est incroyable, les harmonies sont superbes et l’émotion que me procure ce disque est juste insensée. Et peut-être que ce qui est arrivé par la suite à Layne a contribué à envelopper ce disque d’une aura particulière (Ndlr : le chanteur Layne Staley est décédé en 2002 d’une overdose). Quelle fin tragique ! Une des plus belles voix que je connaisse. En dehors de ce disque je ne pourrais pas te dire quelles sont mes préférences parmi tout ce qui est sorti ces dernières années car je n’écoute pas tant de musique que ça. En revanche, j’ai mes classiques comme tout un chacun ; Back in Black d’AC/DCDisintegration de The Cure. Et puis Iron Maiden bien sûr. Et Ghost également.

Lorsque tu portes un regard sur ta carrière, quel est, parmi tous les moments de bonheur, celui qui t’a le plus profondément marqué ?

RAY ALDER : Je pense que c’était tout simplement de rejoindre Fates Warning. Tu le sais peut-être, mais j’ai auditionné une première fois pour Fates Warning sans pour autant être retenu. Ils ont fait un autre choix à l’époque. J’étais dévasté, comme tu peux l’imaginer. Et puis, un mois plus tard, ils m’ont recontacté pour me dire que ça n’avait pas fonctionné avec leur choix initial et ils voulaient savoir si j’étais toujours partant. Difficile d’imaginer à ce stade que plus de 35 ans plus tard je serais toujours ici. Tu sais, je ne me projetais pas spécifiquement à l’époque. J’avais commencé à chanter dans des groupes locaux uniquement pour le plaisir. C’est juste la passion de la musique qui guidait mes pas.

North Sea Echoes

« Nous avons évoqué la possibilité de refaire avec Fates Warning une série de concerts en Europe cette année pour célébrer les 40 ans du groupe. » – Ray Alder

Tu vis aujourd’hui en Espagne. Est-ce que ça veut dire que nous aurons la possibilité de te voir sur des scènes européennes prochainement ? La dernière fois que je t’ai vu en Europe ça remonte tout de même à 2011, c’était avec Redemption à Londres (Ndlr : petite salle confidentielle The Underworld).

RAY ALDER : Je travaille à une série de shows avec mon projet solo en Europe. Rien n’est encore arrêté pour l’heure. Et sinon, nous avons également évoqué avec Jim la possibilité de refaire une série de concerts avec Fates Warning cette année pour célébrer les 40 ans du groupe. Ce ne serait pas une tournée complète mais plutôt quelques shows en Europe. Donc à suivre… Tout dépend des engagements de chacun. Ce n’est jamais simple de trouver un calendrier qui convienne à tout le monde. Bobby joue actuellement avec l’un des plus grands noms de la country (Ndlr : le batteur Bobby Jarzombek accompagne George Strait depuis 2021). Joey joue dans un million de groupes, moins un, ceci dit, depuis peu (Ndlr : le bassiste Joey Vera vient en effet de quitter Mercyful Fate, qu’il avait rejoint en 2019) etc…

Croisons les doigts. Avant de nous quitter y-a-t-il un sujet que tu souhaitais aborder et que nous n’avons pas évoqué dans cet entretien ?

RAY ALDER : Juste une chose. J’entends beaucoup de choses ces derniers temps et je veux juste clarifier un point : North Sea Echoes n’a rien à voir avec Fates WarningNorth Sea Echoes c’est juste Jim et moi-même, avec une orientation musicale complètement différente. Je me doute que certaines personnes vont vouloir immanquablement comparer ce projet avec Fates Warning. Mais je préfère que les choses soient claires car je ne voudrais pas qu’elles soient déçues surtout si elles s’attendent avec cet album à du Fates Warning, ou ne serait-ce qu’à une variante de Fates Warning. J’espère juste qu’elles écouteront cet album avec une grande ouverture d’esprit et prendront du plaisir à découvrir cette autre trajectoire artistique.

Une interview réalisée via Zoom le 2 février 2024 par Stéphane Rousselot.

Tous nos remerciements à Olivier Garnier (Replica Promotion) et Romain Richez (Agence Singularités) pour avoir facilité cette interview.

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