bannière www.bdelanls.fr - Création et refonte de site internet

Le duo constitué de Geoff Downes et Chris Braide est de retour avec un nouveau diamant intitulé Celestial Songs, enveloppé dans ce splendide écrin que constitue le fabuleux artwork de Roger Dean. Notre dernière rencontre avec Downes Braide Association datait de 2021 dans le contexte de l’album Halcyon Hymns, un disque célébré unanimement comme une réussite absolue par la presse spécialisée. Nous avions alors échangé avec Geoff Downes et il nous semblait tout à fait pertinent de recueillir cette fois-ci les propos de son alter-ego, Chris Braide, un artiste au parcours extrêmement intéressant et résolument éclectique.

Merci beaucoup Chris d’avoir accepté cette interview. Très heureux de pouvoir échanger avec toi dans le contexte de ce nouvel album de DBA. En 2021, c’est avec Geoff que j’avais eu la possibilité d’évoquer l’album Halcyon Hymns qui est demeuré un de mes disques de chevet, très certainement l’un des meilleurs albums de 2021 en ce qui me concerne. Pour commencer, je te propose de revenir un peu en arrière pour planter le décor : comment t’es-tu retrouvé à travailler avec Trevor Horn pour le projet Producers (Ndlr : groupe formé en 2006 par Trevor avec un album à son actif et regroupant les musiciens Steve Lipson, Laurel Creme, Ash Soan et Chris Braide) ?

CHRIS BRAIDE : C’est assez compliqué. Mais, pour faire court, j’ai fait la connaissance de Steve Lipson (Ndlr : guitariste anglais et producteur, entre autres, de Annie Lennox, Propaganda, Frankie Goes to Hollywood, Will Young, Jeff Beck etc.). Je connaissais des gens qu’il connaissait et, de fil en aiguille, un type que nous connaissions tous les deux, une sorte d’ami commun, m’a dit « vous vous entendriez très bien tous les deux, vous devriez vous parler ». Nous avons eu une conversation téléphonique, à la suite de laquelle nous avons commencé à travailler ensemble sur un certain nombre de projets, des trucs assez pop majoritairement. Et effectivement, le courant est très bien passé entre nous. C’était au début des années 2000. Pendant toutes ces sessions studio, Steve ne cessait de m’inciter à reprendre mon travail en tant qu’auteur-compositeur à titre perso, activité que j’avais un peu mis de côté pour privilégier mon activité de production ou d’écriture pour les autres. Et il m’a dit que Trevor aimerait énormément s’impliquer dans un tel projet. J’ai dit : “top, je suis partant”. Et il est évident que je ne pouvais pas refuser. Il s’agissait tout de même de Trevor Horn mais aussi de Laurel Creme de 10cc (Ndlr : groupe anglais qui de 1972 à 1978 a accumulé pas moins de 5 albums qui ont tous fini dans le top 10 anglais). C’était un projet très amusant. On s’est tous très bien entendus. Mais malheureusement, ça a été de courte durée parce que j’ai très rapidement déménagé vers les Etats-Unis. Nous allons d’ailleurs ressusciter ce projet cette année.

C’est une excellente nouvelle ! Il y avait un projet de deuxième album à l’époque, n’est-ce pas ? (Ndlr : l’unique album de Producers s’intitule Made in Basing Street)

CHRIS BRAIDE : Oui, et qui n’a jamais vu le jour hélas. On va rééditer le premier album mais avec les mixages originaux. Comme j’étais parti pour les Etats-Unis et que je ne faisais plus partie intégrante du projet, ils ont mis à bord à l’époque un nouveau chanteur pour certains titres. Donc là, on va sortir le mix original avec quelques chansons qu’on avait écrites pour ce fameux deuxième album qui n’a jamais vu le jour.

J’ai hâte de découvrir cet album ! J’ai évoqué Producers car j’ai cru comprendre que c’était grâce à ce projet que tu as fait la connaissance de  Geoff Downes…

CHRIS BRAIDE : Exact. Juste avant mon départ pour les Etats-Unis, Trevor m’a appelé un jour et m’a dit « écoute, nous allons ressusciter les Buggles pour un unique show. Est-ce que ça te dirait d’être un Buggle pour une nuit ? » (Ndlr : rires).  Tu te doutes que j’ai tout de suite accepté ! On a joué dans un endroit qui s’appelle le Supper Club (Ndlr : en Septembre 2010 à Londres – on peut trouver quelques vidéos de cette soirée sur Youtube, notamment une excellente version de “Plastic Age” précédée de quelques mots de Trevor Horn) et c’était une soirée très sympa dans le cadre d’un événement caritatif, donc pour une très bonne cause. On a eu quelques jours de répétition et c’est comme ça que j’ai rencontré Geoff. Nous avons tout de suite été sur la même longueur d’ondes, à l’instar de ma rencontre avec Steve Lipson dont je te parlais juste avant. Je lui ai dit « C’est vraiment dommage, on vient à peine de faire connaissance, on a passé un excellent moment… Mais malheureusement je pars pour les US ». Geoff m’a aussitôt demandé la date de mon départ. Je lui ai répondu pour la fin de l’année. Et là, il m’a dit « Ce n’est pas un problème du tout parce que je serai moi-même là-bas en Janvier pour bosser sur l’album Fly from Here de Yes ». Donc tout s’est enchaîné immédiatement. Je suis parti pour les US. Geoff est arrivé environ un mois plus tard et nous avons commencé à travailler sur le premier album de DBA.

Quelle était votre intention artistique quand vous avez commencé à collaborer ? Quel était votre plan, si plan il y avait ? 

CHRIS BRAIDE : Eh bien, pour être honnête je n’aurais jamais pensé que nous en serions aujourd’hui au stade du cinquième album. Je veux dire que notre démarche était d’abord motivée par l’envie de nous amuser en studio. J’avais un studio à Los Angeles. Geoff m’a rejoint. Nous avons utilisé des boîtes à rythmes et des synthés, avec l’envie d’expérimenter. Et franchement ça a été un vrai bonheur. Mais il n’y avait pas vraiment de plan. D’ailleurs il s’est passé pas mal de temps entre le premier et le deuxième album, pas mal d’années en fait. Mais quand tu prends du plaisir à faire quelque chose, tu n’as qu’une envie, celle de recommencer. C’est une chose naturelle. Donc nous voilà cinq albums plus tard. Mais ça, personne n’aurait pu l’envisager, et surtout pas nous !

Tu as évoqué des boîtes à rythmes et des synthés. Tu as un background musical très large et très éclectique, de la new wave à la pop en passant par le progressif. J’ai d’ailleurs écouté ton projet Hello Leo que j’ai beaucoup aimé. Dans toutes ces influences, quelles sont celles qui en tant qu’artiste t’ont le plus marqué ?  

CHRIS BRAIDE : Pour commencer, Yes, les Wings avec Paul McCartney, ces « vrais » groupes des années 70. Kate Bush également. Tu sais, j’aime la musique progressive mais ce n’est pas l’étiquette prog en elle-même qui m’attire. J’aime plus que tout que la musique soit aventureuse, qu’un album te propose un voyage.  Il faut que j’y trouve de magnifiques mélodies avec, à l’intérieur une couleur pop. Et d’ailleurs Yes était fantastique à ce titre, surtout dans les premiers temps. Si tu prends un titre comme “Close to the Edge“, tu trouves dans ce morceau de superbes mélodies pop, une multitude de petits moments pop fantastiques. Donc, pour en revenir à ta question, voilà les groupes que j’aimais. Et je rajouterais Talk Talk, avec cette également capacité à écrire une musique aventureuse (Ndlr : « expansive » est le terme anglais exact utilisé par Chris) et XTC, qui ces dernières années, ont été re-catalogués prog.

« Je dis toujours aux gens que pour comprendre l’essence de DBA, il faut écouter en priorité les albums qui revêtent une pochette réalisée par Roger Dean. » – Chris Braide

Exact. Tears for Fears également. Tous ces groupes ont été ramenés sous les feux de la rampe (Ndlr : notamment grâce aux remix de Steven Wilson).

CHRIS BRAIDE : Oui, c’est un autre bon exemple. Tous ces groupes pop ambitieux aux rythmiques entêtantes avec de véritables hymnes au synthé. Ça j’adore vraiment. Et ça a beaucoup influencé DBA. Tu retrouves l’esprit de ces groupes dans notre musique. Et je pourrais rajouter Genesis bien sûr (Ndlr : comme la superbe intro de “Holding up the Heavens” en témoigne).

La musique de DBA a évolué au fil du temps, partant de quelque chose de très électronique, intégrant ensuite d’autres musiciens pour une dimension plus organique et s’orientant vers un style un plus prog. Qu’est-ce qui a motivé cette décision de faire évoluer la musique de DBA dans cette direction ?

CHRIS BRAIDE : L’idée d’enrichir la musique en remplaçant les machines par de vrais musiciens a été une progression naturelle. Tu finis par te lasser de te retrouver en studio pour programmer des boîtes à rythme. Ça manque de vie. Les machines ne te parlent pas, ne te répondent pas et ne t’offrent aucun retour. Et nous nous sommes aussi un peu lassés de ce son en général. Je préfère de vrais instruments. Et ça a toujours été le cas. Mais tu peux avoir cette propension à te laisser aller à cette facilité d’utiliser des machines, surtout si tu es seul en studio avec toutes les possibilités d’aujourd’hui. Et puis tu vois, quand j’ai travaillé avec Ash Soan (Ndlr : qui fait partie de l’English Rock Ensemble de Rick Wakeman) sur le projet Producers, je me suis dit que ça serait une hérésie de ne pas l’avoir sur nos albums. C’est un batteur fantastique. Il insuffle une vraie vie aux morceaux. Il leur donne vraiment de la profondeur. Et puis, avec la même idée on a intégré un vrai bassiste, Andy Hodge, qui est un excellent musicien. Et enfin, ce guitariste extraordinaire qu’est Dave Bainbridge. Donc, tu sais, entendre par exemple ces chansons que nous avions écrites pour ce qui est devenu Skyscraper Souls, avec de vrais musiciens, c’était bien évidemment incomparable et tellement mieux.  Je dis toujours aux gens que, pour comprendre l’essence de DBA, il faut écouter en priorité les albums qui revêtent une pochette réalisée par Roger Dean. Cela étant, les deux autres albums (Ndlr : Pictures of You en 2012 et Suburban Ghosts en 2015) comportent aussi des moments que j’aime beaucoup. “Dreaming of England” par exemple.

Le titre “Sunday News Suite” me vient aussi immédiatement en tête… Un titre véritablement épique !

CHRIS BRAIDE : Sunday, oui, définitivement. Et c’est d’ailleurs la toute première chose que nous avons faite ensemble avec Geoff. Ce titre donnait déjà à l’époque une idée de ce que nous allions développer par la suite. Mais oui, pour revenir à ta question, à un moment ça nous a semblé tout à fait naturel de construire un vrai groupe, plutôt que d’avoir juste deux types enfermés dans un studio (Ndlr : rires).

Parlons maintenant de ce nouvel album Celestial Songs. Comment l’avez-vous abordé au regard du succès de Halcyon Hymns ?

CHRIS BRAIDE : Certaines de ces chansons proviennent d’idées développées pendant les sessions de Skyscraper Souls. L’album Halcyon Hymns a vraiment un son très différent, notamment de par la forte présence de la douze-cordes. Ça donne une tonalité très pastorale à la musique, presque folk même. En tout cas très organique. Et très particulière au point que cela rend cet album un peu unique. Donc je voulais préserver cette unicité plutôt que de tenter de reconduire l’expérience avec Celestial Songs. Donc, à contrario, l’idée sur ce nouvel album était de lui donner une dimension plus électrique. Ce qui explique que Dave soit plus présent sur cet album avec des solos fantastiques, il n’y a pas d’autre mot. Le son est donc un peu plus rock que sur l’album précédent, même si on retrouve dans ce disque une grande diversité de tons. “Look What You Do“, le titre qui ouvre l’album, par exemple, évoque pour moi ce que les Wings ont pu faire en 1974. Dans Halcyon Hymns il y a un côté presque Peter Gabrielsque que j’ai adoré mais que je ne voulais tout simplement pas répéter. Nous voulions passer à autre chose.

Downes Braide Association (2023) - 4

« Le son de Celestial Songs est un peu plus rock que sur l’album précédent, même si on retrouve dans ce disque une grande diversité de tons. » – Chris Braide

C’est vraiment ce qu’on ressent à l’écoute de l’album. Notamment le fait que vous ayez décidé de donner beaucoup plus d’espace à Dave pour s’exprimer sur Celestial Songs… 

CHRIS BRAIDE : Oui, et c’est très excitant pour moi parce que parfois, en tant que chanteur, tu veux juste avoir un peu d’espace avec ta propre voix. Mais c’est vraiment agréable également de laisser d’autres personnes briller également.

Tu as évoqué “Look What You Do”. Une fois passé l’intro c’est un morceau mélancolique mais doux. Pourquoi l’avoir choisi pour ouvrir l’album ?

CHRIS BRAIDE : Je suppose que l’intro, la narration de Barney, dans cette sorte de prélude que Geoff a écrite, semblait assez cinématographique. Et j’ai pensé que c’était une bonne façon d’entrer lentement dans l’album, avant qu’il ne s’ouvre et ne prenne son envol. Plutôt que d’attaquer de manière frontale ! Donc, ça m’a semblé être une bonne idée à l’époque, mais je suppose que l’album aurait aussi pu démarrer par “Clear Light” parce que c’est un titre épique et percutant. Mais j’aime bien que ça démarre ainsi. Ça me plait cette sorte de douceur qui nous fait entrer dans l’album progressivement. English Settlement de XTC, qui est l’un de mes albums préférés des années 80 démarre par “Runaways“, une compo de Colin Moulding. Et j’ai toujours pensé que c’était un morceau très particulier pour ouvrir un album. On aurait pu s’attendre à ce qu’ils commencent avec “Senses Working Overtime” et là, tu aurais été directement dans le cœur de l’album. Mais il y a quelque chose dans ce titre “Runaways“, comme une grande respiration initiale qui ouvre superbement l’album. Donc, c’est un peu ça, inconsciemment, que j’avais en tête.

Il y a également sur cet album un titre co-écrit avec Francis Dunnery (Ndlr : “Keep on Moving”). Comment t’es-tu retrouvé à travailler avec l’ancien leader de It Bites ? 

CHRIS BRAIDE : Très simplement. J’étais à Los Angeles à l’époque. J’ai demandé à Francis de jouer de la guitare sur un morceau que je produisais pour un autre artiste. On travaillait ensemble de manière très itérative et réactive tous les jours par zoom. J’écoutais ce qu’il proposait, l’incitait à essayer autre chose, il me renvoyait sa nouvelle proposition etc… Il m’a envoyé plein de choses que je n’ai pas forcément intégrées car tu n’utilises jamais tout. Et je me souviens lui avoir dit « Tu avais fait quelque chose l’autre jour que je n’ai pas utilisé mais c’était top. Est-ce qu’on pourrait développer cette idée et écrire quelque chose autour de ça ? » Il m’a donc renvoyé ce passage, à partir duquel j’ai écrit un titre. Sa réaction a été immédiate. Il a adoré. Tu vois, ça c’est vraiment magique. Nous n’avions pas particulièrement l’intention d’écrire une chanson ensemble mais ça s’est fait comme ça, à partir d’une étincelle, un court moment d’inspiration, ce qui est toujours la meilleure façon d’écrire, je pense. Franchement c’était du bonheur.

Est-ce que It Bites a eu une influence musicale sur toi en tant qu’adolescent à l’époque ?

CHRIS BRAIDE : Oh, absolument oui. Une grande influence !

C’est intéressant parce que It Bites a probablement été l’un des deux premiers à trouver un très bon équilibre entre la pop et le prog.

CHRIS BRAIDE : Oui, en effet. J’étais un grand fan et j’ai trouvé ça très intéressant quand le troisième album est sorti (Ndlr : Eat Me in Saint Louis). Je me suis dit que c’était génial d’avoir un groupe qui jouait selon ses propres règles. Ils avaient commencé avec une pop très subtile mais sans grande prise de risque. Puis ils ont évolué vers plus de prog et ensuite, vers quelque chose de presque plus métal d’une certaine manière. C’était assez fascinant à voir. Et je pense que c’est ce que les artistes devraient toujours faire, proposer une évolution d’un album à l’autre. Et c’est justement pour ça qu’on a fait quelque chose de différent de Halcyon Hymns. Je pense que ce serait très ennuyeux de toujours faire le même album. Et ça ne peut pas fonctionner de vouloir reproduire à l’identique ce que tu as écrit à un instant précis et qui bénéficiait de l’inspiration du moment. Un album ça ne se manufacture pas ! Pour en revenir à It Bites, c’était presque un groupe différent pour chacun des trois albums

C’est une question éternelle ; un artiste doit-il se préoccuper des attentes de son public ou écrire selon ses envies, qui peuvent constamment évoluer

CHRIS BRAIDE : Oui, et je pense que tout en respectant le cadre de la signature sonore d’un projet, il y a toujours de la place pour du changement ou, du moins, un degré d’évolution d’un album à l’autre. Je pense que si les fans aiment le son qui t’est propre, ils t’accompagnent tout au long du voyage et demeurent enthousiastes. Clairement, moi je l’étais en tant que fan. J’étais excité quand un son changeait légèrement « Waou, ils font ça maintenant… ». Donc, j’espère que les fans de DBA ressentent la même chose et ressentiront Celestial Songs comme une évolution

Je suis totalement d’accord avec toi. La référence à « Bruce’s Dreams » dans le texte de “Keep on Moving”,  c’est une référence à Prefab Sprout (Ndlr : groupe de pop rock anglais du début des années 1980) ?

CHRIS BRAIDE : Oui, c’est ça. Bien vu (Ndlr : sourire). Je ne suis pas certain que tout le monde comprenne la référence car c’est juste un extrait du texte de “Cars and Girls” (Ndlr : Février 1988). J’ai un version démo de “Keep on Moving” où je chante qu’écouter “Cars and Girls” évoque en moi une multitude de souvenirs. Et puis je me suis dit que c’était trop évident (Ndlr : rires). « Listening to Bruce’s dreams » c’est un peu plus obscur, mais les fans les plus hardcore comprendront la référence.

Downes Braide Association (2023)

« J’ai été tellement subjugué par la beauté du résultat obtenu sur Skyscraper Souls que je me suis dit à l’époque qu’il fallait que nous intégrions plus encore le travail de Barney dans notre musique. » – Chris Braide

Ce titre “Keep on Moving” est empreint d’une grande nostalgie, une certaine nostalgie de l’Angleterre. Comme l’est bien évidemment Halcyon Hymns. Ou tout simplement comme l’est aussi “Dreaming of England”, au titre explicite, dont tu parlais tout à l’heure. Est-ce d’avoir vécu si longtemps aux US ? L’Angleterre t’a manqué ?

CHRIS BRAIDE : Je pense que oui. Halcyon Hymns a été écrit aux Etats-Unis. Et “Keep on Moving” aussi, même si effectivement nous venons d’en terminer l’enregistrement en Angleterre. Donc oui, j’étais très nostalgique de mon pays natal pendant ces onze années passées aux Etats-Unis.  Mais c’est drôle et assez ironique d’ailleurs ; j’avais la nostalgie de l’Angleterre quand j’étais aux Etats-Unis et une partie de moi-même a désormais la nostalgie des Etats-Unis, maintenant que je suis rentré au pays. Tu écris ce que tu ressens. Je pense que c’est comme ça que j’ai toujours écrit et je fais en sorte d’exorciser ces ressentis dans une chanson pour essayer de m’en débarrasser d’une certaine manière.

Au-delà des titres plus mélancoliques, j’ai également le sentiment d’une dimension très positive dans Celestial Songs.  “Will To Power” en est un bon exemple. Et je pense aussi bien sûr à “Beyond the Stars” qui sonne comme une invitation à vivre pleinement chaque jour et à ne pas regarder en arrière. Peux-tu nous parler plus en détails de ce titre ?

CHRIS BRAIDE : Ce texte est très lié à la notion de mortalité et à la manière d’y faire face. C’est l’idée qu’il faut vivre sa vie et essayer d’en tirer le meilleur parti car, d’une manière ou d’une autre, inéluctablement nous devrons un jour la quitter. Et sans vouloir paraître trop négatif, la réalité est que, ces dernières années, j’ai perdu des gens autour de moi, plus ou moins proches. Pas seulement à cause de ce qui s’est passé avec la situation de la pandémie. Mais tout simplement parce que c’est la vie et qu’il en va ainsi. Plus tu vieillis et plus la disparition d’êtres proches s’accélère. Avec une plus grande fréquence. Et quand j’ai écrit ce titre je pensais à mes enfants et à ma femme. C’est une manière de leur dire que je veux rester à bord de ce train avec eux aussi longtemps que possible, car ce que nous vivons ensemble est une aventure fantastique. Je ne sais pas quand je finirais par descendre de ce train mais je veux rester le plus longtemps possible à bord parce que c’est génial et que cette vie est un véritable cadeau. Et je ne sais pas ce qui se passera après, mais j’espère que ça ressemblera à l’artwork réalisé par Roger Dean pour cet album !

C’est ce sentiment d’acceptation de la situation qui confère à la composition une dimension positive, à partir de laquelle on porte un regard différent sur les choses…

CHRIS BRAIDE : Je pense que oui. Même dans l’album Halcyon Hymns, qui était assez mélancolique, notamment par exemple avec “She’ll be Riding Horses(Ndlr : écrit en souvenir d’un être cher disparu), tu trouvais des moments très positifs comme “Love Among the Ruins“, un titre qui se veut avant tout un hommage à une période somme toute formatrice de la vie plutôt qu’un simple souvenir empreint de nostalgie. Idem avec le monologue à la fin de “Remembrance” sur lequel Barney est juste incroyable. Mais c’est vrai que le ton de Halcyon Hymns était très ancré dans la nostalgie. Et je ne voulais pas répéter ce sentiment de manière trop lourde sur ce nouvel album. Même si tu peux arguer qu’un titre comme “Keep on Moving” aurait eu tout à fait sa place sur Halcyon Hymns (Ndlr : nous partageons tout à fait cet avis, cf la chronique de l’album). Sentiment sans doute renforcé par le fait que ce soit le seul titre du disque sur lequel nous ayons un peu utilisé la douze-cordes. Mais, globalement, Celestial Songs trouve sa source dans l’adversité dont nous avons tous dû faire preuve au cours de ces trois ou quatre dernières années, au regard des épreuves que nous avons dû traverser. “Will to Power ” l’illustre bien avec cette idée que, certes, l’environnement est anxiogène avec tout ce qui nous tombe dessus constamment, ces guerres perpétuelles en direct via la télé, les blocages perpétuels et tout le reste, mais qu’on peut tous s’en sortir et surmonter tout cela.

Tu as mentionné Barney tout à l’heure. La fin de “Beyond the Stars”, tout comme la fin de “Remembrance”, toutes deux portées par la voix de Barney sont réellement extraordinaires. J’ai le sentiment que Barney apporte une dimension supplémentaire à la musique. Comment vous est venue l’idée de faire appel à Barney ?

CHRIS BRAIDE : C’est une rencontre très intéressante. Barney travaillait pour un label dont je produisais l’album d’un des artistes.  Je correspondais avec lui régulièrement par email dans le contexte de ce projet et j’avais tout de suite été impressionné par la qualité littéraire de ses emails, toujours magnifiquement formulés. Un jour, je n’ai pas pu m’empêcher de lui en faire part en lui demandant, s’il écrivait à compte d’’auteur, en dehors de ce poste qu’il occupait pour le label. Il m’a répondu par l’affirmative et a partagé avec moi quelques-uns de ses poèmes. On s’est ensuite rencontrés et il s’est avéré qu’il avait cette voix géniale (Ndlr : il l’imite avec cette profondeur dans la voix et ce remarquable accent anglais). Oui, oui, il parle vraiment comme ça, de manière tout à fait naturelle et sans aucun effort (Ndlr : rires). J’adore son utilisation de la langue anglaise et la façon dont il s’exprime. Donc je lui ai proposé de lire certains extraits de ses poèmes sur Skyscraper Souls. Ça a fonctionné tout de suite et ça constituait aussi pour nous une progression naturelle. J’ai été tellement subjugué par la beauté du résultat obtenu que je me suis dit qu’il fallait que nous intégrions plus encore cette dimension dans notre musique. Donc pour Halcyon Hymns nous lui avons donné la possibilité d’être encore plus présent et de vraiment faire ce dont il avait envie, sans le brider.  Je me souviens qu’il m’envoyait des propositions en me demandant si c’était OK ou s’il devait apporter des corrections et, à chaque fois, je ne lui répondais « Rien à modifier, c’est tout simplement parfait » ! Il est vraiment remarquable et a apporté, comme tu le dis, une dimension supplémentaire à la musique de DBA. Il fait partie intégrante du son DBA, à mon sens

Je suis également très sensible à sa poésie. Au point de m’être procuré son livre Bucolicism – Poems and Fragmenta, qui reprend certains des textes déclamés sur les albums de DBA. D’ailleurs, une remarque, on ne trouve pas ses textes dans le livret des albums… Ce qui fait que tu peux passer complètement à côté de la qualité de sa prose si tu ne maîtrises pas parfaitement l’anglais

CHRIS BRAIDE : Oui, c’est vrai. Je n’y ai pensé que récemment et donc après coup parce que, justement, quelqu’un d’autre m’a fait la même remarque, me disant que ça aurait été top d’avoir les textes de Barney dans le livret. Je crois qu’à l’époque je n’y avais pas du tout réfléchi. Tu sais, tu fais ton truc de ton côté, j’écrivais par exemple les paroles des textes, indépendamment de la prose de Barney, et les envoyais mécaniquement au label pour qu’ils soient intégrés à l’artwork. On fera sans doute différemment à l’avenir

Peut-être une dernière question sur l’album en lui-même. “Hey Kid” est très minimaliste et intime, avec beaucoup d’ironie dans le texte. D’où t’es venu l’inspiration pour cette chanson ?

CHRIS BRAIDE : C’est un texte que j’ai écrit alors que je vivais encore aux États-Unis, avec des enfants en bas âge. Nous avons fini par décider de ne pas les envoyer à l’école. Ils ont été scolarisés à domicile avec un tuteur car toutes les cinq minutes il y avait dans les news ces histoires atroces de fusillades dans les écoles. La Californie est un endroit fantastique où j’ai vécu et travaillé. Mais je ne voulais pas envoyer mes enfants à l’école là-bas car c’était tout simplement terrifiant. Et on se demande comment cela peut arriver à notre époque. Mais c’est une réalité.  On te fait croire que c’est rare mais ce n’est pas le cas et ça, ça me consterne. Il fallait que j’écrive sur ce sujet. Avec une dimension un peu sarcastique évidemment. En intégrant toute cette langue de bois, du style « Bravo, tu es armé, quel héros ». Tu sais, un certain nombre de personnes vénèrent les armes à feu aux Etats-Unis. Et il est impossible d’avoir un débat avec elles. Même avec tes proches amis qui défendront le principe de la possession des armes à feu jusqu’au bout, en arguant qu’il en va de la liberté. Donc j’ai abdiqué, décidé d’écrire un titre à ce sujet et de passer à autre chose.

Downes Braide Association

« Nous avons un processus d’écriture qui nous permet de stimuler notre inspiration et de créer une émulation très saine entre Geoff et moi-même… Pour la première fois et grâce à Halcyon Hymns, je sens qu’il y a une véritable attente de la part du public concernant ce cinquième album de DBA. » – Chris Braide

Je voudrais maintenant revenir à la manière dont tu collabores avec Geoff. Il se trouve que vous êtes tous les deux compositeurs et, qui plus est, claviéristes. Y a-t-il une sorte de séquencement naturel entre vous deux pour écrire un morceau de musique ?

CHRIS BRAIDE : Oui, en général, tout part souvent de Geoff qui commence par me faire parvenir différentes idées. Il peut s’agir d’une intro ou d’une progression d’accords autour desquelles je construis ensuite les morceaux. Geoff initie vraiment l’écriture, m’inspire et déclenche en moi le processus créatif. Je pense notamment à certains morceaux de piano de Halcyon Hymns, les titres plus classiques vers la fin de l’album : c’est Geoff qui m’a envoyé ces partitions qui m’ont servi de base pour écrire les titres, par-dessus.  Mais il y a d’autres exemples, comme “Will to Power” que nous évoquions tout à l’heure. C’est Geoff qui a écrit cette intro très emphatique et presque cinématographique. J’ai quant à moi écrit tout le reste du titre, jusqu’au break qui est en revanche de Geoff. Donc certaines compositions sont parfois des assemblages. Nous avons écrit beaucoup de nouveaux titres également pour cet album (Ndlr : indépendamment du matériel provenant des sessions de Skyscraper Souls). Avec un processus qui varie pas mal mais qui nous permet de toujours stimuler notre inspiration. Cette manière de fonctionner crée de l’émulation entre nous. Et sans paraître prétentieux nous invite à nous impressionner mutuellement. C’est à la fois très sain et très positif

Au début de ta carrière tu as écrit pour toi-même ; puis y est revenu avec DBA et également sur ton projet This Oceanic Feeling (Ndlr : avec Lee Pomeroy et Ash Soan). Mais sur l’ensemble de ta carrière tu as surtout écrit un nombre incalculable de tubes pour des artistes très mainstream. Avec le recul, est-ce que tu as pu ressentir, je ne sais pas si c’est le bon mot, une quelconque frustration de ne pas chanter toi-même ces morceaux ?

CHRIS BRAIDE : Je vois ce que tu veux dire. On m’a d’ailleurs déjà posé cette question. Mais en toute honnêteté, non, jamais. Prenons par exemple “Unstoppable” que j’ai écrit pour Sia et qui a eu un succès énorme, au point de devenir un hit mondial, ce qui m’a permis au passage de m’acheter une maison, c’est dire… Je serai bien entendu reconnaissant pour toujours envers ce titre. Mais le fait est que ma contribution a été de créer ce titre en studio et je n’ai pas eu à devoir faire, ensuite, le tour du monde pour le promouvoir. Et ça me va très bien. J’ai eu la chance d’être dans cette situation pendant plusieurs années, avec cet exutoire créatif pour le compte d’artistes fantastiques comme Sia, mais sans cette lourde contrainte d’assurer des périodes de promotion interminables. C’est déjà en soi une chose fantastique. Je n’ai vraiment pas à me plaindre. Et surtout ça m’a permis de continuer à avancer et à travailler sur plusieurs autres de mes centres d’intérêt, comme le jour suivant m’atteler à un projet de Marc Almond ou bosser avec Kate Pearson des B-52’s. Franchement j’ai adoré cette période, intense et folle sur des projets très éclectiques

Très prolifique effectivement. En parlant de projets, sur quoi travailles-tu en ce moment, si cela n’est pas indiscret ?  

CHRIS BRAIDE : Je travaille en ce moment sur quelque chose pour David Guetta. Nous sommes de bons amis et n’avons jamais cessé de collaborer. Il apprécie mes chansons et les booste en leur donnant un maximum d’amplitude musicale dans ces versions que tu peux entendre comme le titre “Flames” (Ndlr : enregistré par le duo David Guetta – Sia en 2018). Je travaille aussi sur un film aux États-Unis pour le compte de la société avec laquelle je collabore depuis environ huit à dix ans. Et sinon, avec Geoff nous avons également écrit une dizaine de nouvelles chansons pour un prochain album… J’ai toujours un ou des projets en cours. Je ne m’arrête jamais complètement, j’aime trop ça. Dès que je n’ai pas quelque chose à faire, je tourne un peu en rond et ça me rend dingue (Ndlr : rires) !

J’ai cru comprendre que tu allais contribuer au concert en hommage à John Wetton (Ndlr : Asia, UK, King Crimson, Uriah Heep, Roxy Music etc…) le 3 août prochain au Trading Boundaries de Londres (ndlr : là où a été enregistré le Live in England de DBA).

CHRIS BRAIDE : Oui, en revanche ce sera par vidéo. La chanson de John qui me tient le plus à cœur est “The Smile Has Left Your Eyes“. J’ai toujours aimé cette chanson et nous l’avons déjà reprise lors de nos propres concerts de DBA. J’adore la version du disque mais j’ai également vraiment aimé lorsque Asia en a fait une version acoustique pendant leurs tournées. Et donc, la version que Geoff et moi proposons ressemble plus à cette version acoustique qu’il a faite avec John. Donc oui, j’adore cette chanson. Mais je les aime toutes ! “Only Time Will Tell“, ça aussi c’est une sacrée compo !

Un dernier mot avant que l’on ne se quitte ?

CHRIS BRAIDE : Juste dire que je suis pleinement concentré sur ce nouvel de DBA.  Je pense que les gens qui ont aimé Halcyon Hymns  auront du plaisir à découvrir ce nouvel album Celestial Songs. D’ailleurs, je voulais juste te signaler à ce sujet que c’est la première fois que nous sortons un coffret siglé DBA. Je viens tout juste d’en recevoir un exemplaire. C’est un très bel objet, c’est donc très excitant et très enthousiasmant. La couverture est magnifique (Ndlr : il me montre le coffret et effectivement la pochette est encore plus belle en grand format, mettant en exergue l’artwork de Roger Dean) ! Je crois qu’après le succès de Halcyon Hymns, il y a pour la première fois une véritable attente de la part du public concernant le cinquième album de DB

C’est un très bel album qui recevra, j’en suis sûr, l’accueil qu’il mérite.  Merci beaucoup de cet échange et de ta disponibilité. Et plein de réussite pour tous ces autres grands projets en cours. Au revoir Chris

CHRIS BRAIDE : Au revoir.

Une interview réalisée via Zoom le 1er août 2023 par Stéphane Rousselot.

Votre avis

Laisser un commentaire