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Dune
4.3TOP 2021

Il est arrivé. Enfin ! Lancée il y a quatre ans par Denis Villeneuve, la nouvelle adaptation de Dune, le best-seller culte mais réputé « inadaptable » de Frank Herbert, n’avait rien d’un coup de Krys dans le silence. Les pontes de la Warner devaient malgré tout trembler des genoux à l’évocation de cet univers maudit au cinéma qui avait largement de quoi leur mettre la pendule à l’envers. Pourquoi ? Les vrais savent.

Flash-back. Dans les années 70, Dune est une marotte des fans de space-opéra, de science-fiction et de trips hallucinés avec son mélange guerre de clans, d’écologie et de mythologies (Beowulf, Arthur etc.) qui le plaçait dans le sillage d’un Tolkien plus que de tout autre modèle futuriste déposé. Un véritable marqueur de la pop culture qui inspirera nombre d’icones à travers les époques, de Star Wars à Game of Thrones. Au mitant des seventies, Alejandro Jodorowsky porté par ses déglingués El Topo (1970) et La Montagne Sacrée (1973), devenus les étendards des séances de minuit créées pour l’occasion, fantasme d’adapter le roman et se fait épauler par le sémillant producteur Michel Seydoux. Ils essayent de réunir le budget suffisant pour un délire visionnaire. L’occasion de proposer l’anti vieux monde dans un recueil de plusieurs centaines de pages et croquis, un truc qui sentait l’autre rive, bordé par les visions d’un artiste sans limites. Le casting devait réunir Mick Jagger, Orson Welles, Salvador Dali, Alain Delon sur des musiques de Magma, Pink Floyd Tangerine Dream et Mike Oldfield mais le projet est trop gros, trop fou et finalement mis au placard par les décideurs engoncés. Mais tout n’était pas à jeter. Pour toute la partie créative, Jodorowsky s’était entouré d’une équipe hors du commun : Jean Giraud (qui n’était pas encore Moebius), H.R. Giger, Chris Foss ou encore Dan O’Bannon qui sortait à peine du tournage de Dark Star le premier film fauché de son pote John Carpenter. Des noms encore inconnus qui n’allaient pas tarder à cartonner à l’écran grâce à la récupération maline de Ridley Scott pour son futur Alien. Mais ceci est une autre histoire. En attendant, Dune tombe dans les oubliettes. Jodorowsky ronge son frein et recycle avec Moebius ses idées dans la bande dessinée L’Incal.

Quelques années plus tard, les droits de Dune sont rachetés par l’exubérant producteur italien Dino de Laurentiis qui s’est alors entiché de science-fiction. S’il envisage un Flash Gordon peinturluré porté par Federico Fellini (ce sera finalement Mike Hodges sur la musique désormais célèbre de Queen), il propose à Frank Herbert d’adapter lui-même son roman et propose la réalisation à Ridley Scott qui sort tout juste du triomphe de Alien. Mais le projet patine et le réalisateur qui vient de perdre tragiquement son frère ainé préfère se plonger dans un nouveau projet intitulé Blade Runner. C’est Rafaella de Laurentiis, la fille de Dino, qui propose alors l’idée à David Lynch qui était encore tout décoiffé par le succès de Elephant Man. Seul hic, la SF n’est pas son truc. Mais s’il refuse Le Retour du Jedi (1983), le voici titillé par l’univers mystique de Frank Herbert, dans lequel il entrevoit de quoi nourrir ses obsessions et son imaginaire fantasmatique. Lynch s’entend d’ailleurs très bien avec l’écrivain mais évidemment le script est énorme. Touffus. Complexe. Le jeune réalisateur souhaite un film de quatre heures ou deux films pourquoi pas. Inconcevable. Les très gros budgets de plus de trois heures ne sont plus greenlightés depuis l’échec retentissant des Portes du Paradis de Michael Cimino (1981) et la faillite de United Artists. Il faudra trancher. Condenser. Réduire. Lynch plie mais pense encore pouvoir sauver les meubles. Le casting surprend, du jeune premier Kyle McLachlan au chanteur Sting en passant par Jurgen Prochnow, Max Von Sydow ou Dean Stockwell et le choix de Toto et Brian Eno pour la musique détonne. Le tournage au Mexique dure six mois et devient rapidement un cauchemar logistique. L’équipe doit en effet partager une partie du matériel avec une autre production De Laurentis en cours dans les environs : Conan le Destructeur de Richard Fleisher. John Dykstra, fondateur de Industrial Light & Magic (ILM) le studio de Georges Lucas, quitte le navire, faute de budget alloué. Les techniciens tombent malade les uns après les autres. C’est la débandade. Le montage réduit les espoirs de Lynch à néant. Dino de Laurentiis cède tout au studio et massacre le film, le réduisant de trois heures trente à trois heures puis deux heures et quart. Mutilé, le film recourt à des raccourcis, des artifices narratifs et une voix off explicative. L’objet est zébré de moments improbables, mais trop abstrait pour les non connaisseurs du roman. L’accueil critique est un désastre. Le public évite le film (sauf en France, éternelle bizarrerie) et en fait un échec commercial. Pour Lynch l’expérience est traumatisante. Il renie son film. Demande à mettre le pseudo Alan Smithee lors de la diffusion télévisée. Il jure qu’on ne l’y reprendra plus et ne veut plus en parler. Pourtant, avec le temps et le recul, son film et ses aspérités baroques, finiront par gagner leurs galons de d’œuvre malade et culte.

Pour la peine, Dune est une fois encore remisé au placard. Il faudra attendre une bonne dizaine d’années pour subir une mini série aussi excitante qu’un banc de cabillauds. Et puis plus rien. Plus rien jusqu’à Blade Runner 2049. Le principe même d’une suite au classique de Ridley Scott avait de quoi mettre le boxon. Et le film ne s’en privera pas. Clivant. Echec au box-office. Fin de la franchise espérée pour Warner. Du coup, lorsque Denis Villeneuve est approché par le duo Legendary Pictures / Warner et qu’il déboule dans les bureaux ouatés des dirigeants, tout ce beau monde gesticule poliment. On pouvait déjà entendre les boutons de manchette cliqueter sur les bureaux rutilants. Dune reste un monument impossible à retranscrire. Fin de l’histoire. Mais c’était le même refrain pour Le Seigneur des Anneaux (Peter Jackson) et les effets spéciaux se sont tellement améliorés… alors le réalisateur serre les dents, propose deux films, une série et l’univers étendu qui va avec. Il joue gros. L’échec public de Blade Runner 2049 pèse dans la balance mais la Warner se laisse convaincre et lui donne carte blanche avec comme seule contrainte de ne pouvoir faire qu’un seul film en attendant les résultats au box-office. La malédiction impose la prudence de la loi du marché.

Villeneuve sait qu’un nouvel échec serait extrêmement préjudiciable pour la suite de sa carrière à Hollywood. En vrai fan de David Lynch (dont on retrouve les stigmates au fil de sa carrière et notamment dans Enemy), il sait le poids des choses. Et le culte du livre s’ajoute encore au simple fait de s’attaquer à une œuvre fondatrice. Villeneuve a découvert à l’adolescence l’univers foisonnant et intrigant de Frank Herbert et ses études de biologie ont rapidement fait le lien avec les penchants écologiques de l’écrivain. Pour autant, travailler au plus près la matrice d’une œuvre qui possède une influence aussi fondamentale et déterminante sur son genre, et plus encore, n’a rien d’une gageure. Roman précurseur et visionnaire, Dune aura travaillé les mythes fondateurs pour en devenir un à son tour dans sa vision allégorique d’un monde en devenir. Et plus que jamais, cette histoire peut se lire à l’aune du monde actuel. Malheureusement. Epaulé par Jon Spaights (Prometheus) et Eric Roth (Forrest Gump, Revelations, Munich), Denis Villeneuve souhaite un film qui parle à tous. S’il trouve le Lynch trop cryptique, trop étriqué, sa version doit prendre le temps nécessaire pour immerger le spectateur et déployer ses enjeux.

Voici donc la trajectoire chaotique de Paul Atréides (Timothée Chalamet), un adolescent peu préparé à succéder à son père, le Duc Leto (Oscar Isaac), nous bazarde en 10191 de la planète Caladan vers Arrakis, monde désertique occupé par l’ennemi Arkonen. Sur ce postulat simple, voire simpliste, le film peut dès lors brasser ses échos humanistes, géopolitiques, religieux et écologistes. De l’histoire ne parlons pas, il est trop tôt et la découverte doit participer au principe même de la narration choisie. Même si certains éléments du roman sont mis de côté (l’Empereur, la Guilde) dans cette première partie, au risque de paraître trop linéaire ou classique, Denis Villeneuve s’est offert les moyens monumentaux qui manquèrent à Lynch. Ici, le réalisateur canadien choisi d’époustoufler son récit concentré sur la filiation et paradoxalement l’intime. Dune est avant tout une quête identitaire, un film qui creuse la persona du héros, sa vocation, ses conflits intérieurs, ses doutes, ses espoirs, la quête folle d’un absolu qui déborde le mythe arthurien. Pour encadrer ce voyage initiatique si cher à Joseph Campbell, le réalisateur fait dans le monumental ambitieux avec ses côtés brutalistes, spectaculaires, impressionnants. Evidemment, les allergiques au style Villeneuve ne se réconcilieront pas avec le réalisateur tant l’architecture « froide » de sa réalisation s’impose ici comme une note d’intention. Filmer cette fresque épique avec une foi inébranlable dans la force de ses images portées par la photographie sublime de Greig Fraser, de ses décors, vaisseaux (ces ornithoptères qui font rêver), costumes et une interprétation solide des comédiens. Les pisse froids pourront évidemment trouver Timothée Chalamet triste figure, sans grand charisme, là où le héros, précisément, doit réveiller sa force intérieure dans le tragique d’une histoire qui lui prend tout. Conçu pour le grand écran, le film transpire le cinéma, que l’on apprécie ou non ses choix esthétiques. Nous sommes plus du côté de l’illustrateur Wojtek Siudmak que de Moebius et les fans de Metal Hurlant pourront rechigner à ne pas s’y retrouver totalement. Débat infini. Le spectacle est à la fois euphorisant et d’une totale frustration pour n’avoir qu’un morceau du roman, laissant toute l’aventure entre les mains d’un succès inconnu, incertain. Car, à l’instar de ce qu’il avait fait avec Blade Runner 2049, les partis pris de Denis Villeneuve ne vont pas tous dans le sens d’un blockbuster habituel. Pas de place pour l’humour ni les couleurs pimpantes, nous voici transporté dans l’intrigant, le tangible de l’attaque d’Arrakeen à l’apparition d’un ver des sables. Le monde qui se créé touche au réel, se référence dans la démesure comme avec ce gigantesque tapis oriental de la délégation de l’Empereur sur Caladan, se fragmente au plus profond lors du rituel incandescent du Gom Jabbar. La question serait de savoir s’il s’agit d’un film d’auteur à gros budget ou le contraire. Quadrature du cercle. Dune est un film hors norme, parfois assourdissant sous la partition d’un Hans Zimmer plus inspiré qu’à l’accoutumé mais pas moins tapageur, qui brasse les thèmes du roman à l’aune d’une époque qui les font plus prégnants encore. Certes, la solennité avec laquelle le réalisateur rend hommage au roman qui a marqué sa jeunesse, et qui l’a en parti construit, ce respect du texte, peut manquer de folie, d’échappé belle. Mais le résultat n’écrase rien et colle à l’esprit du texte. D’aucuns diront que le résultat n’a pas de personnalité, que le budget engagé, les personnes impliquées, auraient pu donner l’envie de dépasser le cadre des figures imposés, de préférer l’émotion pur à l’incarnation. Pourtant, il faut saluer ce film comme une indéniable réussite narrative, d’avoir rendu intelligible une histoire si complexe, même dans ses longueurs et la répétition de rêves aux allures publicitaires. Même si la trajectoire n’est pas rectiligne, Denis Villeneuve joue la carte des aspirations humaines à la place du seul barnum son et lumière contractuel. A ce petit jeu, le duo ducal LetoJessica interprété par Oscar Isaac et Rebecca Ferguson valorise le parti-pris de ne pas tout miser sur la grandiloquence et de conserver la petite voix intérieure d’une destinée qui se construit à l’écran. Tout cela “ne fait que commencer“. Tant mieux.

ENGLISH VERSION

So there is the chaotic story of Paul Atreides (Timothée Chalamet), a teenager unprepared to succeed his father, Duke Leto (Oscar Isaac), takes us in 10191 from the planet Caladan to Arrakis, a desert world occupied by the Arkonian enemy. On this simple, even simplistic, premise, the film can then stir up its humanist, geopolitical, religious and ecological echoes. Let’s not talk about the story, it’s too early and the discovery must be part of the very principle of the chosen narrative. Even if certain elements of the novel are put aside (the Emperor, the Guild) in this first part, at the risk of appearing too linear or classic, Denis Villeneuve has offered himself the monumental means that Lynch lacked. Here, the Canadian director chooses to blow away his story, which focuses on filiation and, paradoxically, intimacy. Dune is above all a quest for identity, a film that delves into the persona of the hero, his vocation, his inner conflicts, his doubts, his hopes, the mad quest for an absolute that goes beyond the Arthurian myth. To frame this initiatory journey so dear to Joseph Campbell, the director goes for the ambitious monumental with its brutal, spectacular and impressive sides. Obviously, those allergic to Villeneuve’s style will not be reconciled with the director, as the “cold” architecture of his direction is a note of intent. Filming this epic fresco with an unshakeable faith in the strength of its images carried by Greig Fraser’s sublime photography, its sets, ships (those ornithopters that make you dream), costumes and a solid performance by the actors. Some people will obviously find Timothée Chalamet a sad figure, without much charisma, precisely when the hero must awaken his inner strength in the tragedy of a story that takes everything from him. Conceived for the big screen, the film transpires cinema (cinema-cinema like Sergio Leone would say), whether or not you appreciate its aesthetic choices. We are more on the side of the illustrator Wojtek Siudmak than Moebius and Metal Hurlant fans may balk at not being able to find themselves in it completely. Endless debate. The show is both euphoric and utterly frustrating to have only a piece of the novel, leaving the whole adventure in the hands of an unknown, uncertain success. For, like what he did with Blade Runner 2049, Denis Villeneuve’s biases are not all in the direction of a usual blockbuster. No place for humor or bright colors, here we are transported into the intriguing, the tangible of the Arrakeen attack to the apprition of a sand worm. The world that is created touches the real, is referred to in excess as with this gigantic oriental carpet of the Emperor’s delegation on Caladan, fragments to the deepest during the incandescent ritual of Gom Jabbar. The question would be whether this is a big-budget auteur film or the opposite. Squaring the circle. Dune is an out of the ordinary film, sometimes deafening under the score of a more inspired Hans Zimmer than usual, but no less boisterous, which mixes the themes of the novel with the yardstick of an era that makes them even more prevalent. It is true that the solemnity with which the director pays tribute to the novel that marked his youth, and which partly built him up, this respect for the text, may lack madness, escape. But the result does not overwhelm anything and sticks to the spirit of the text. Some will say that the result has no personality, that the budget committed, the people involved, could have given the desire to go beyond the framework of imposed figures, to prefer pure emotion to incarnation. However, this film must be hailed as an undeniable narrative success, for having made such a complex story intelligible, even in its length and the repetition of dreams that look like advertising. Even if the trajectory is not straight, Denis Villeneuve plays the card of human aspirations instead of just contractual sound and light show. In this respect, the duo Leto-Jessica, played by Oscar Isaac and Rebecca Ferguson, emphasise the decision not to bet everything on grandiloquence and to keep the small inner voice of a destiny that is being built on screen. It’s all “just beginning”. That’s great.

Dune - Denis Villeneuve (2021)

Titre : Dune

Réalisé par : Denis Villeneuve
Avec : Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Josh Brolin, Zendaya…

Année de sortie : 2021
Durée : 155 minutes

Scénario : Eric Roth, Jon Spaihts et Denis Villeneuve
Montage: Joe Walker
Image : Greig Fraser
Musique : Hans Zimmer

Nationalité : États-Unis
Genre : Science-Fiction

Synopsis : L’histoire de Paul Atreides, jeune homme aussi doué que brillant, voué à connaître un destin hors du commun qui le dépasse totalement. Car s’il veut préserver l’avenir de sa famille et de son peuple, il devra se rendre sur la planète la plus dangereuse de l’univers – la seule à même de fournir la ressource la plus précieuse au monde, capable de décupler la puissance de l’humanité. Tandis que des forces maléfiques se disputent le contrôle de cette planète, seuls ceux qui parviennent à dominer leur peur pourront survivre…

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