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Whiplash
4.0TOP 2014

Tambour battant

Film assez peu sympathique, tendu comme un barbelé, cerclé de manipulations psychologiques sur fond de jazz au millimètre, Whiplash est le Grand Prix du dernier festival de Sundance. Sans jamais vouloir séduire et à grand renfort de claustrophobie étouffante baignée de couleurs chaudes, ce duel pervers situé dans un conservatoire de Manhattan entre Terence Fletcher, ersatz du sergent instructeur Hartman de Full Metal Jacket (Stanley Kubrick), et Andrew, élève introverti aspirant à devenir le nouveau Buddy Rich, donne évidemment lieu à de monumentales joutes oratoires et musicales. En partant du principe que Charlie « Bird » Parker s’était quasiment reçu une volée de cymbale lorsqu’il était jeune, humiliation à tel point traumatisante qu’il parti s’entrainer un an avant de revenir jouer un solo génialissime et construire sa légende, la logique du film et celle de Fletcher s’avère implacable : pousser dans ses retranchements l’aspirant, le tout au son d’une partition idéal nommée « Whiplash », traduire « coup de fouet ». La relation SM entre les deux protagonistes (les codes vestimentaires du professeur en marqueur testostérone) joue alors sur la perversité d’un père fouettard de substitution totalement voué à la musique, absolutiste jusqu’au trauma, quand le père biologique se fait (trop) protecteur et (trop) peu ambitieux pour son fils unique.

Et ces deux corps s’entrechoquent dans un enchainement de musique virtuose transformant ce qui pouvait être une sorte de Chorus Line pour batteur prépubère en véritable terrain miné par les brimades physiques (séance de claques), psychologiques et morales. En plaçant le spectateur au centre des débats, faisant recommencer des répétitions jusqu’à la rupture pour des raisons parfois quasiment abstraites, le jeune réalisateur et scénariste Damien Chazelle, dont c’est ici le deuxième film, nous entraîne dans un jeu du chat et de la souris dont on ne sait pas forcément qui tient vraiment la corde et les codes. En s’inspirant de son passé d’apprenti batteur, le cinéaste développe ici un court métrage déjà récompensé au Sundance Festival, ce qui lui permit de financer cette version longue, et lui insuffle un peu d’air extérieur. Une vie de famille sans aspérité, une relation amoureuse impossible puisque Andrew ne vise que sa propre réussite… nécessairement solitaire. Plutôt que de jouer sur la ligne du rêve américain et du travail justement récompensé, Chazelle entraine alors son personnage principal dans une course à la reconnaissance, ad nauseam. Des blessures physiques à force de répétitions et de vitesse exigées, le corps se meurtri autant que l’esprit se vice de trahisons, de bassesses et d’arrogance affichée, le tout enfoncé à coup de massue par un Fletcher prenant un malin plaisir à torturer son élève.

Dans le rôle du méchant de sévices, J.K. Simmons est impressionnant de justesse. Taillé dans le granite, le visage sculpté à la serpe, il retrouve cet air menaçant et illuminé qu’il donnait de néo-nazi de la série Oz. Surtout, sa présence menaçante envahit le terrain de jeu avec une subtilité et une puissance rare. Miles Teller, massif et bluffant, lui donne la réplique sans céder un pouce de terrain. Rare. A l’image de l’affiche, les deux acteurs bouffe littéralement le film de leurs rapports de force, transformant le reste de la distribution en silhouettes passagères ou de circonstance. Avec une réalisation nette et efficace, jamais trop tape à l’œil, sachant mettre à profit un instrument rarement filmé (« L’homme au bras d’or » de Otto Preminger avec Frank Sinatra) dans ce qu’il a de tribal, de physique, exigeant du sang et des larmes, Damien Chazelle se concentre sur cet affrontement chauffé à blanc à coups de champs-contre champs électriques. En ressort un film viscéral, jouant avec une vraie subtilité du rapport classique entre haine et fascination.

Droit dans ses bottes, Fletcher ne déviera donc pas de ses convictions à pousser au-delà de leurs limites les potentiels nouveaux Charlie Parker ou Buddy Rich. Mais à quel prix ? Un bref moment, il semble pourtant vaciller sur ses certitudes. Lorsqu’il apprend le destin tragique de l’un de ses anciens élèves, l’armure semble se fendre. Mais même dans cette scène, étonnante au regard du reste du film, Fletcher refuse de se remettre en question en travestissant la réalité. La tentation d’évacuer toute culpabilité ? À voir. Même si le film sous-tend que le jazz ne serait, finalement, qu’une histoire de pure technique et de vitesse, ce qui est évidemment très réducteur mais d’un strict point de vue dramaturgique et cinématographique bigrement efficace, il faut reconnaître la volonté d’aller titiller le film d’horreur dans la représentation des supplices. Et à l’image de Terrence Fletcher, figure tellurique, manipulateur, encore et toujours, le film joue d’une morale ambiguë. La condamnation d’une méthode destructrice (la beauté a-t-elle un prix à payer ?) est ainsi mise en perspective par un final explosif et osé. Cette petite réserve narrative ne doit malgré tout pas occulter la réussite d’un film fascinant et malsain. Un bel uppercut dans la gueule.

WHIPLASH de DAMIEN CHAZELLE

Whiplash de Damien Chazelle (2015)

Titre : Whiplash

Réalisé par : Damien Chazelle
Avec : Miles Teller, J.K. Simmons, Paul Reiser…

Année de sortie : 2014
Durée : 106 minutes

Scénario : Damien Chazelle
Image : Sharone Meir
Musique : Justin Hurwitz
Montage : Tom Cross

Nationalité : États-Unis
Format : Couleur
Synopsis : Andrew Neiman est un jeune batteur de jazz de 19 ans. Il vient d’intégrer le prestigieux Shaffer Conservatory de New York, l’une des meilleures écoles de musique du pays. Aspirant à devenir le nouveau Buddy Rich, il est repéré par le très exigeant Terence Fletcher, enseignant et chef d’orchestre à Shaffer. Andrew s’entraîne avec acharnement pour accéder aux attentes toujours plus inaccessibles de Fletcher. Sous prétexte de pousser ses élèves au-delà de leurs limites, ce dernier alterne les conseils amicaux et les déchaînements d’injures, n’hésitant pas à aller jusqu’à la violence physique. Fletcher raconte pour se justifier l’histoire de Charlie Parker, le futur « Bird » : alors qu’il était adolescent, il participe à un set avec Jo Jones qui lui lance une cymbale à la tête sous prétexte d’un jeu particulièrement décevant. Parker, dépité, rentre chez lui et s’entraîne pendant un an avant de réapparaître et de devenir l’un des meilleurs musiciens de jazz de l’histoire.

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