bannière www.bdelanls.fr - Création et refonte de site internet
Blade Runner 2049
4.5TOP 2017

Ne nous mentons pas : trente-cinq ans après sa sortie, Blade Runner reste une œuvre qui balaye bien au-delà de son référentiel sans jamais prétendre à viser plus haut que son culte. Si le film de Ridley Scott connu une sortie de matrice compliquée, échec critique et surtout public à l’appui, son influence n’aura fait que croître sur tout un pan du genre anticipation/cyberpunk et consorts, de Ghost in the Shell (Masamune Shirow) à Dark City (Alex Proyas) en passant par Westworld (Jonathan Nolan), son univers sur-urbanisé établira une nouvelle matrice de l’imaginaire. Tiré du roman de Philip K. Dick « Les Robots rêvent-ils de moutons électriques », le décès de l’auteur juste avant la sortie du film, alors même qu’il s’était enthousiasmé pour l’adaptation de David Webb Peoples et Hampton Fancher, poussera un peu plus les fans à considérer le résultat comme la vision la plus juste, la plus visionnaire du maître. Minority Report ou Total Recall n’accéderont par la suite jamais à ce statut privilégié. Dès lors, l’univers graphique et les interrogations métaphysiques en feront un objet intouchable si l’on excepte les multiples versions remontées par Ridley Scott lui-même. Pour la plupart des exégètes, imaginer une suite était du même acabit qu’un éventuel second épisode de Brazil (Terry Gilliam) ou Thelma et Louise

Pourtant, après de nombreuses pérégrinations (plusieurs ouvrages feront suite au roman originel, une série prequel sera envisagée etc.), une nouvelle plongée dans l’univers crépusculaire du futur-immédiat d’un Los Angeles déliquescent se décidera devant la caméra de Denis Villeneuve, récente coqueluche d’Hollywood depuis les succès de Prisoners (2013), Enemy (2013), Sicario (2015) et Premier Contact (2016). Le choix est brillant. Ridley Scott se contentera du rôle de producteur exécutif, laissant carte blanche au réalisateur canadien. Rare. Mais au fond, la question restait la même : comment se sortir des nombreuses questions laissées en suspend dans le film original, en haut desquelles l’humanité même de Rick Deckard, largement remise en question dans la version de 1992. Un temps laissé en dehors du projet, la participation de Harrison Ford, vieillit, semblait donner une réponse contraire aux dernières pistes proposées. Mais alors, quelle vision allait-on avoir ? La trahison paraissait inévitable d’autant que si Blade Runner est devenu une véritable référence pour nombre d’adeptes de dystopies claustrophobes, le film en tant qu’objet cinématographique propre, en restait une, féconde et tenace, pour Denis Villeneuve qui devait donc triturer cet héritage avec une précaution extrême, afin de ne pas choquer, froisser, ni contrarier qui que ce soit. Mission impossible.

Pour limiter les dégâts, deux décisions fondamentales seront tenues. La présence de l’un des scénaristes originaux (Hampton Fancher) et le choix du chef opérateur Roger Deakins (habitué des frères Coen) qui offre ici des visions d’une sidérante beauté. Ensuite, il fallait prolonger la réflexion philosophique à l’aune des avancées technologiques contemporaines et proposer un postulat à la fois logique et pertinent des événements censés avoir suivis le premier opus. Pour faire bonne mesure, le projet égrainera dans son sillage un dessin animé et deux courts métrages pour expliciter une timeline narrative enrichie.

K: [désigne un chien] C’est un vrai ?

Rick Deckard: Je ne sais pas. Demandez-lui.

Nous voici donc en 2049. Depuis 30 ans, les androïdes Nexus 6 ont été remplacés par la huitième génération, identifiable par leurs implants oculaires. En 2022, un black-out total a plongé le monde dans une crise financière telle que la nourriture s’est raréfiée et la pollution généralisée. Heureusement, Niander Wallace (Jared Leto casté à la place de David Bowie, disparu entre temps), fondateur de la Wallace Corporation, trouvera le moyen de créer génétiquement des aliments, ce qui évitera une famine généralisée. Richissime, le philanthrope rachète la Tyrell et fait fabriquer une nouvelle génération de Repliquants plus contrôlables, plus performants : les Nexus 9. Dans l’ordre des choses, les anciens modèles sont dès-lors voués à être « retirés » par une force d’intervention spéciale reconstituée, les fameux Blade Runner. L’un d’eux, K (Ryan Gosling), opère de façon méthodique et sans fioritures. Mécanique. Sa première mission le mettra sur les traces d’un secret bien gardé, potentiellement dévastateur pour la société.

En prenant à rebrousse pellicules les options visuelles hystériques des grosses productions hollywoodiennes récentes, Denis Villeneuve fait acte de courage et de tempérament. Les effets-spéciaux sont là, certes, mais le travail sur la profondeur de champ, sur la mise en place, les plans séquences et cette sensation, rare, de plonger au cœur de l’intrigue indique une volonté d’inscrire le film à un niveau supérieur. Les références dépassent le simple cadre cinématographique. Le nom du protagoniste, K, est un joli clin d’œil à l’œuvre de Kafka et aux tourments intérieurs de ses héros plongés dans une société paranoïde et impitoyable. On suit notre enquêteur en quête de sens, de destin et d’un passé dont il ne souvient que très partiellement. Le jeu de Ryan Gosling, dont certains critiquent souvent l’impassibilité, s’adapte ici idéalement à l’univers gangrené de Blade Runner 2049. En fin connaisseur de Koulechov et autres théoriciens de la narration visuelle, Denis Villeneuve imprime à Ryan Gosling des émotions qui ruissellent sur l’écran. Son personnage passe alors du flic désabusé à l’enquêteur obstiné, du chasseur à la proie avec le désir universel de savoir d’où l’on vient, où l’on va. Le réalisateur joue sur un rythme prégnant, tel un fascinant buvard, pour reculer la promesse inévitable d’une rencontre avec Rick Deckard (Harrison Ford en forme), héros du premier opus, disparu depuis des lustres. Comme une clé qui délivrerait l’intrigue de ses ressorts, le face à face joue à contre temps, à contre courant. Il imprime également le tempo d’une dernière partie plus brutale, et anticipe une rencontre tendue comme une lame entre le magnat boursouflé de discours new-age et l’ancien Blade Runner à travers un va et vient de clair obscur qui échappe à l’habituel contrôle hollywoodien sur l’image de ses stars.

Ceci posé, on pourra malgré tout être un peu plus critique quant au scénario qui s’économise un peu trop sur le personnage de Wallace (mais après tout, Tyrell n’était pas plus fouillé), en faisant de ce dernier une sorte de démiurge aveugle (les Repliquants sont ses “anges” qu’il souhaite plus humains qu’humains), désarticulé et sans âme. Si le film se veut parfois trop explicatif avec ses réminiscences à la manière de la première version du film initial, difficile pourtant de lui reprocher une antagoniste, Luv (Sylvia Hoeks), fatalement moins charismatique que Roy Batty (Rutger Hauer). Malgré tout, le film invoque une réflexion passionnante sur ce qui fait l’humanité et sur la notion même de libre arbitre, au cœur de l’intrigue. A ce titre, le segment le plus intéressant reste la relation en K et Joy (Ana de Armas), hologramme sentimental, douée d’une personnalité attachante, sacrificielle et amoureuse (à la façon de Her de Charlie Kaufman). Malgré son extrême évanescence, elle s’avère le personnage le plus humain du casting et touche son point d’incandescence lors d’une scène d’amour aussi étonnante qu’émouvante. Les vrais humains sont quant à eux soit désabusés, soit dénués d’empathie ou de compassion… voire carrément ambigus. La question de savoir si Deckard est lui-même un Nexus restera suspendue, tout comme Wallace dont la cécité pourrait venir d’une volonté de ne pas être répertorié… par ses yeux.

K: J’ai des souvenirs, mais je ne peux pas dire s’ils sont vrais.

Dans cette recherche du temps perdu et des sentiments enfouis, réels ou pas, le but ultime de K se retranscrit à l’écran. Ses doutes et ses espoirs. Entre deux, les ambiances se délitent entre une nature morte, un désert, la neige qui tombe en particules élémentaires, magnifiquement tristes. Comme dans ces fameuses « rêveries » qui peuplent la série Westworld aux interrogations si proches, bariolées d’un transhumanisme dépressif, le film s’accroche à creuser sa réflexion comme le personnage de K creuse sa propre mémoire, son existence et le monde qui l’entoure. Les ambiances colorées mais d’un spleen redoutable, comme une finitude que l’on voudrait éviter tout en la sachant inévitable, sont grandioses, jamais grandiloquentes. Il y a du Kubrick derrière tout cela. Du Fritz Lang, également (Metropolis), dans ces visions de la société future à la fois dérisoire, régressive et programmatique.

Le cinéaste connaît ses classiques. Sans jamais se fondre, ni se confondre, il les exploite pour mieux les restituer dans son univers propre. La grande réussite du film se tient là. Parti d’une référence absolue du genre, Blade Runner 2049 exploite les recoins de ses origines et les enveloppe d’une esthétique totalement personnelle. Subtilement dosée, la bande son en impose. Le réalisateur s’amuse même à auréoler une séquence d’un silence assourdissant pour mieux isoler le spectateur dans l’action. La musique co-signée par Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch (après que le compositeur habituel de Villeneuve, Jóhann Jóhannsson, fut remercié) se rapproche ainsi de la B.O. (mythique) de Vangelis, tout en restant à distance respectable. Quelques notes du thème original “Tears in the Rain” se font malgré tout entendre, comme un écho à ce piano symbolique. Dans un Las Vegas dévasté, aboutissement d’une décadence de la civilisation,  Sinatra et Elvis n’ont alors plus qu’à se dissoudre dans un passé qui n’est plus et n’a peut-être jamais été.

Denis Villeneuve livre ici un film choc impressionnant, stupéfiant et imposant (plus de deux heures quarante) qui s’inscrit parfaitement dans son esthétique comme dans ses thématiques de la filiation, de l’identité, de l’héritage. Si Blade Runner avait ce petit quelque chose indéfinissable, imprévisible, qui le transforma en classique instantané du cinéma d’anticipation, du cinéma tout court, Blade Runner 2049 a pour lui sa propre personnalité, plus contemplative et hypnotique, mais non moins fascinante. Le temps fera son œuvre pour déterminer de son importance.

BLADE RUNNER 2049 – DENIS VILLENEUVE

Blade Runner 2049 - Denis Villeneuve (2017)

Titre : Blade Runner 2049
Titre original : Blade Runner 2049

Réalisé par : Denis Villeneuve
Avec : Ryan Gosling, Harrison Ford, Ana de Armas, Robin Wright, Sylvia Hoeks, Mackenzie Davis…

Année de sortie : 2017
Durée : 164 minutes

Scénario : Hampton Fancher et Michael Green, sur une idée d’Hampton Fancher et Ridley Scott, d’après les personnages créés par Philip K. Dick
Directeur de la photographie : Roger Deakins
Musique : Benjamin Wallfisch et Hans Zimmer

Nationalité : États-Unis
Genre : Anticipation
Format : Couleur

Synopsis : En 2049, la société est fragilisée par les nombreuses tensions entre les humains et leurs esclaves créés par bioingénierie. L’officier K est un Blade Runner : il fait partie d’une force d’intervention d’élite chargée de trouver et d’éliminer ceux qui n’obéissent pas aux ordres des humains. Lorsqu’il découvre un secret enfoui depuis longtemps et capable de changer le monde, les plus hautes instances décident que c’est à son tour d’être traqué et éliminé. Son seul espoir est de retrouver Rick Deckard, un ancien Blade Runner qui a disparu depuis des décennies…

Votre avis

Laisser un commentaire