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Cry Macho
3.0Note Finale

Quatre-vingt onze ans et toujours droit dans ses bottes. Depuis quelques années, Clint Eastwood s’est vu affublé de nombreux adjectifs, de monstre sacré à dernier des géants, il n’a pour autant jamais freiné ses envies de tournage qu’il enchaîne sans regarder dans rétroviseur. Toujours au taquet, le réalisateur n’en finit plus de finir dans une coda que certains exégètes auto-proclamés identifiaient déjà avec Impitoyable… en 1992 ! Il faut aussi dire quee le cinéaste affole les compteurs et les logiques mêmes qui prévalent à Hollywood où l’âge n’est jamais un partenaire de choix. Cinquante ans après sa première réalisation (Un Frisson dans la Nuit) et une quarantaine de films plus tard, le réalisateur revient donc derrière et devant la caméra avec Cry Macho.

 

« L’Amérique n’a donné naissance qu’à deux formes d’art spécifiques: le jazz et le western » – Clint Eastwood

 

Les traits marqués, la silhouette longiligne, le corps raidi, aride comme Monument Valley, mais le sourire et le charme intacts derrière son regard bleu acier, celui qui symbolisa avec une ambiguïté marquée le virilisme des années soixante-dix et quatre-vingt, s’en retourne faire un sort à cette image d’Épinal « d’homme fort », de « mâle alpha », qui, à l’heure des bilans, représente finalement bien peu de choses. Clint reste un maître du paradoxal, un artiste du sous-texte, un expert du contre-pied. Le canevas ? Archi-classique. Mike Milo (Clint Eastwood) est un ancien champion de rodéo qui a tout perdu : sa carrière, sa femme et son fils. Il a traversé la dépression, la douleur et l’alcool. L’enfer. Depuis, il vit dans les souvenirs qui le hantent. Face au soleil couchant, le vieux cow-boy sirote sa solitude lorsque son ancien patron lui demande d’aller au Mexique chercher son fils de 13 ans, Rafo, abandonné depuis un bail et qui tourne mal avec ses combats de coqs. Simpliste dirons les grincheux.

 

« Ce que tout le monde aime voir, c’est Clint avec un chapeau de cow-boy, juché sur un cheval » – Tim Moore (producteur)

 

Il est facile de comprendre ce que Eastwood a pu trouver dans la naïveté de cette histoire. Avec Cry Macho, le réalisateur convoque une nouvelle fois les symboles américains : la vieille Chevrolet, le Stetson, la Ford, les grands espaces… Mike comme Clint reste le produit de son éducation, celle de la débrouille, de la modestie. Il bricole, cuisine, répare les voitures, soigne les animaux. Dès-lors, le réalisateur peut tirer le fil narratif de l’étranger venu régler un conflit. Un homme face à des institutions (la police locale), des préjugés (les gringos, les latinos), des groupes plus ou moins hostiles (les mafieux, les villageois). Mike n’est pas un hors la loi, il respecte ses propres règles mais il est anachronique. Lui aussi. A force d’individualisme, thème libertarien récurrent du cinéma eastwoodien, il pense se suffire à lui-même. Fantasme. Avec ce personnage, Clint Eastwood renoue avec le genre qui l’a vu naître à l’écran, pourvoyeur des mythes fondateurs d’une Amérique idéalisée, un néo-western qui retravaille le classicisme de John Ford et de John Huston dans une austérité formelle assumée, portée par la belle photographie de Ben Davis (Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance).

 

« Un des plaisirs de ma carrière est la recherche des choses sous différents angles. Vous voyez les choses différemment aujourd’hui qu’à 30 ans ; vous changez ou élargissez vos pensées en vieillissant. Ou vous revenez sur des choses que vous avez bien ou mal faites, et c’est amusant de l’explorer à un moment différent de la vie. Mais je joue et mets en scène depuis si longtemps que je m’y suis habitué. » – Clint Eastwood

 

Une fois encore, Clint Eastwood filme à hauteur d’homme un personnage profondément humain, un héros du quotidien qui porte les valeurs d’une société qui ne lui rend pas. Le film aborde le vieillissement avec une étonnante tendresse, une sérénité, un apaisement de vieux sage qui le déconnecte immédiatement du paysage cinématographique actuel. En célébrant le temps qui passe, le sommeil et la sieste comme une préfiguration de la mort qui rode, le cinéaste travaille la fatigue du corps, parfois maladroitement, mais avec une simplicité touchante. De quoi remettre la pendule cinéphile à l’heure.

 

« Ce truc de macho est surfait. Les gens essaient juste de montrer qu’ils ont du cran. C’est tout ce qu’ils finissent par avoir. C’est comme tout dans la vie : on pense avoir toutes les réponses, puis on réalise, en vieillissant, qu’on n’en a aucune. » – Mike Milo (Clint Eastwood)

 

En remontant littéralement en selle, l’acteur-réalisateur ne cherche jamais à revenir sur sa propre légende mais s’amuse à creuser le sillon de ses thèmes de prédilection tels que la transmission, l’héritage, la reconquête des choses simples, d’un foyer et d’un destin, accompagné par un jeune garçon pour qui tout est encore possible. Cela rappelle évidemment les voyages initiatiques de Honkytonk Man (1982) ou Un Monde Parfait (1993). Sans prendre de gants, Cry Macho reste loin de ces deux œuvres majeures. La faute à un casting “problématique” – le duo avec le mollasson Eduardo Minett ne fonctionne jamais – mais surtout au script de Nick Schenk (Gran Torino, La Mule) qui a repassé au rouleau compresseur la première version de N. Richard Nash (auteur du roman original) afin de l’adapter les yeux fermés pour l’acteur. Le mythe. Las, si le roman publié en 1975 était ancré dans son époque, le film livre aujourd’hui quelques séquences que certains jugeront amusantes dans le référentiel eastwoodien mais pour la plupart franchement embarrassantes, voire ridicules comme les scènes de séduction et d’action qui s’avèrent au mieux parfaitement anecdotiques. Malgré tout ses défauts, ses trous narratifs, ses raccourcis, ses personnages secondaires et féminins nourris aux clichés et sa crédibilité à fleur de peau, Cry Macho plaît à nous faire observer, une fois encore, Clint Eastwood sur grand écran qui, au détour d’une scène subitement plus grave, mieux troussée, impose quelques réflexions autobiographiques détournées. Quand le jeune Rafo lui assène “Avant tu étais fort, macho“, Clint/Mike se contente de lui répondre “Avant j’étais beaucoup de choses, je ne le suis plus… vouloir être un gros dur, ça ne sert à rien“. Une poignées de scènes dans lesquelles il conserve ce regard lucide vers la face sombre et abîmé du rêve américain, sans jamais détourner les yeux de ceux qui se sont brûler les ailes à trop vouloir l’atteindre avec cette fragilité qui n’exclue pas une lueur d’espoir. Et par dessus tout, la relation avec Marta (excellente Natalia Traven) et sa famille qui déborde de tendresse, dans sa rencontre, sa séparation, ses non-dits en quelques gestes à peine esquissés.

 

« Je cherche constamment ce que je vais faire ensuite. J’aime toujours prendre l’idée de quelqu’un, que ce soit un livre ou une pièce de théâtre, et la développer. Peut-être que d’autres personnes veulent faire quelques films et arrêter, et c’est génial. Peut-être qu’ils ont autre chose qu’ils pourraient faire pour s’occuper. J’aime les films et j’aime les faire. » – Clint Eastwood

 

Tout cela tient du conte tout autant que du film intimiste, et il émane quelque chose d’irréel de cette histoire, comme échappé d’un imaginaire qui collerait à la propre légende d’Eastwood. Un coup de poing et le combat est terminé. Un regard, un sourire et le revoici de nouveau le séducteur irrésistible d’autrefois. On peut l’accepter ou le rejeter. Qu’importe ! Cry Macho se veut moins un (nouveau) film testamentaire qu’une nouvelle leçon sur l’homme libre. Tant sur le fond que sur la forme. Film intimiste qui avance délibérément à contre courant de l’actualité où la paresse s’exprime d’abords par la précipitation, le film prend ici son temps, le perd pour qui ne monte pas en marche, mais donne comme leçon ultime que le réalisateur/acteur ne « sait pas guérir la vieillesse ». C’est ainsi que la mort est évacuée de sa finalité pour englober toute l’existence de Mike. De son chemin vers la rédemption, de son retour parmi les vivants, il n’envisage aucune fatalité. Tout est question de choix : attendre la mort, seul, enseveli dans les souvenirs de ce qu’il fut, ou danser dans les bras de Marta sous la lumière tamisée du désert. Véritable épiphanie, Cry Macho est à ce titre l’un des films les plus personnels de Clint Eastwood.

ENGLISH VERSION

Ninety-one years old and still standing tall. In the last few years, Clint Eastwood has been labelled with many adjectives, from sacred monster to last of the giants, but he has never slowed down his desire to film, which he does without looking in the rear-view mirror. Always on the go, the director never stops finishing in a coda that some self-proclaimed exegetes already identified with Unforgiven… in 1992! It must also be said that the filmmaker is breaking the bank and the very logic that prevails in Hollywood where age is never a partner of choice. Fifty years after his first film (Play Misty For Me) and some forty films later, the director returns behind and in front of the camera with Cry Macho. The marked features, the long silhouette, the stiffened body, as arid as Monument Valley, but the smile and charm intact behind his steel-blue eyes, the man who symbolised with marked ambiguity the virilism of the seventies and eighties, returns to put an end to this epinal image of the “strong man”, of the “alpha male”, which, at the time of the assessment, represents very little. Clint remains a master of the paradoxical, an artist of the subtext, an expert of the counterpoint. The framework? Archi-classic. Mike Milo (Clint Eastwood) is a former rodeo champion who has lost everything: his career, his wife and his son. He has gone through depression, pain and alcohol. All hell broke loose. Since then, he has lived in memories that haunt him. Facing the setting sun, the old cowboy sips his solitude when his former boss asks him to go to Mexico to get his 13 year old son, Rafo, who has been abandoned for a long time and is going bad with his cockfights. Simplistic, say the grumpy.

It’s easy to see what Eastwood could find in the naivety of this story. With Cry Macho, the director once again summons American symbols: the old Chevrolet, the Stetson, the Ford, the great outdoors… Mike, like Clint, remains the product of his upbringing, that of resourcefulness and modesty. He tinkers, cooks, repairs cars, looks after animals. From then on, the director can draw the narrative thread of the stranger who has come to settle a conflict. A man facing institutions (the local police), prejudices (gringos, Latinos), more or less hostile groups (the mafia, the villagers). Mike is not an outlaw, he respects his own rules but he is an anachronism. So is he. By dint of individualism, a recurrent libertarian theme in Eastwood cinema, he thinks he is self-sufficient. A fantasy. With this character, Clint Eastwood returns to the genre that saw him born on the screen, purveyor of the founding myths of an idealized America, a neo-western that reworks the classicism of John Ford and John Huston in an assumed formal austerity, carried by the beautiful photography of Ben Davis (Three Billboards). Once again, Clint Eastwood films a profoundly human character, an everyday hero who carries the values of a society that does not give him back. The film approaches ageing with an astonishing tenderness, a serenity, a wise old man’s appeasement that immediately disconnects it from the current cinematic landscape. By celebrating the passing of time, sleep and naps as a prefiguration of the lurking death, the filmmaker works on the fatigue of the body, sometimes clumsily, but with a touching simplicity. It’s enough to set the cinephilic clock back.

By literally getting back in the saddle, the actor-director never seeks to revisit his own legend but has fun digging into his favourite themes such as transmission, inheritance, the reconquest of simple things, of a home and a destiny, accompanied by a young boy for whom everything is still possible. This obviously recalls the initiatory journeys of Honkytonk Man (1982) or A Perfect World (1993). Without taking the gloves off, Cry Macho remains far from these two major works. The fault lies in the “problematic” casting – the duet with the flabby Eduardo Minett never works – but above all in the script by Nick Schenk (Gran Torino, The Mule) who steamrollered the first version by N. Richard Nash (author of the original novel) in order to adapt it with his eyes closed for the actor. The myth. If the novel published in 1975 was anchored in its time, the film today delivers some sequences that some will consider amusing in the Eastwoodian frame of reference but for the most part frankly embarrassing, even ridiculous, like the seduction and action scenes that are at best perfectly anecdotal. In spite of all its flaws, its narrative holes, its shortcuts, its secondary and female characters fed on clichés and its flimsy credibility, Cry Macho pleases us by making us observe, once again, Clint Eastwood on the big screen who, in the course of a suddenly more serious and better crafted scene, imposes a few diverted autobiographical reflections. When the young Rafo tells him “You used to be strong, macho“, Clint/Mike simply replies “This macho thing is overrated. Just people trying to show that they’ve got grit. That’s about all they end up with. It’s like anything else in life: you think you got all the answers, then you realize, as you get older, you don’t have any of them“. A handful of scenes in which he keeps this lucid look towards the dark and damaged side of the American dream, without ever turning his eyes away from those who have burnt their wings trying too hard to reach it, with this fragility which does not exclude a glimmer of hope. And above all, the relationship with Marta (excellent Natalia Traven) and her family, which overflows with tenderness, in its meeting, its separation, its unspoken words in a few barely sketched gestures.

All this is as much a tale as an intimate film, and there is something unreal about this story, as if it had escaped from an imaginary world that would fit Eastwood’s own legend. A punch and the fight is over. One look, one smile and he is back to being the irresistible seducer of old. You can accept it or reject it. It doesn’t matter! Cry Macho is not so much a (new) testamentary film as a new lesson on the free man. Both in content and in form. An intimate film that deliberately goes against the current, where laziness is first expressed through haste, the film takes its time here, loses it for those who don’t get on, but gives as an ultimate lesson that the director/actor doesn’t “know how to cure old age“. Thus, death is removed from its finality to encompass Mike’s entire existence. From his path to redemption, from his return to the living, he does not envisage any fatality. It’s all a question of choice: to wait for death, alone, buried in the memories of what he once was, or to dance in Marta’s arms under the dim light of the desert. A true epiphany, Cry Macho is one of Clint Eastwood’s most personal films.

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Cry Macho - Clint Eastwood (2021)

Titre : Cry Macho

Réalisé par : Clint Eastwood
Avec : Clint Eastwood, Eduardo Minett, Natalia Traven, Dwight Yoakam, Horacio Garcia Rojas…

Année de sortie : 2021
Durée : 104 minutes

Scénario : Nick Schenk et N. Richard Nash, d’après le roman Cry Macho de N. Richard Nash
Montage: Joel Cox et David Cox
Image : Ben Davis
Musique : Mark Mancina

Nationalité : États-Unis
Genre : Néo-Western

Synopsis : Mike, star déchue du rodéo, se voit confier une mission a priori impossible : se rendre au Mexique pour y trouver un adolescent turbulent et l’amener jusqu’au Texas. Il lui faudra pour cela affronter la pègre mexicaine, la police et son propre passé…

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