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Tenet
4.0TOP 2020

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. Avec, en bandoulière, ses obsessions sur la maîtrise du temps, le nouveau film de Christopher Nolan était attendu comme la panacée des exploitants dans le climat de pandémie actuel et s’annonçait en blockbuster incontournable autour d’un nouveau concept SF-quantique alambiqué. A grand coup d’entropie inversée et de références littéraires (comme le Philip K Dick de A Rebrousse Temps) et cinématographiques  (de Retour vers le Futur à Benjamin Button en passant par Nimitz ou Terminator), Tenet s’amuse à mélanger toute sa science avec des apparats d’intrigue à la James Bond dont Nolan ne s’est jamais caché être un amateur aguerri. Si Inception, dans sa dernière partie, se voulait un hommage au célèbre agent secret, ce nouveau film est sa lettre d’amour – pas forcément limpide – au genre. Sur une intrigue assez simple et linéaire qu’il triture depuis une vingtaine d’années (un milliardaire corrompu et engagé dans le trafic nucléaire planifie la fin du monde, rien que ça), le film déploie, comme souvent chez le cinéaste, ses propres théories internes, avec des indices plus ou moins ténus, parfois relayées lors d’interviews goguenardes durant lesquelles il n’hésite pas à en rajouter pour les adeptes de théories échevelées. Fun.

Le fait est que sur Tenet, titre palindrome plutôt malin mais qui ne résume finalement pas son cheminement, la petite fabrique du storytelling façon Nolan se fait jusqu’au-boutiste, radicale, dans tout ce qu’elle a de plus cryptique. L’écriture n’est pas inédite mais elle se creuse dans un sillon rarement exploré. Beaucoup en ressortiront essorés, déboussolés devant ce petit jeu de marionnettes psycho-philo-pyrotechnique. C’est précisément là que les interrogations ne manqueront pas de se poser entre la possible perte de repères d’un scénariste-réalisateur autour d’un concept trop gros, trop lourd à porter et cette attitude un peu posée qui le place invariablement au centre même de ses vertiges : le public va voir le nouveau Nolan. Point. Comme un contrat qui promettrait toute une surenchère au risque de fracasser ce que le public perçoit et attend de lui. Certains ont évoqué David Lynch dans cet esprit cryptique, alambiqué, sur-interprétable et pourtant à l’exact opposé. Car l’auteur de Mulholland Drive, guidé par ses propres rêveries, n’essaye jamais d’expliciter ce qu’il montre, laissant l’imagination, le fantasme et la poésie emporter ses spectateurs (ou pas). Nolan, lui, est un cartésien pétri de rationalité qui essaye de systématiquement justifier ses choix narratifs par une mise en scène fonctionnelle. Cela donne des plans visuellement impressionnantes (le bâtiment qui se détruit puis se reconstruit, le mur qui avale un personnage, le corps à corps avec un adversaire « inversé ») porté par des personnages à la caractérisation archétypale. C’est avant tout le concept qui l’intéresse. Ses héros ne sont qu’un moyen de tripoter ses lubies et tout ce qui tourne autour du temps,  la manière de l’appréhender, de le contrôler. De l’obsessionnel qui manque peut-être de fantaisie. Qui sait ?

Complexe et métaphysique, tout cet enchevêtrement théorique est dévoilé au fur et à mesure de l’intrigue, ce qui ne permet jamais au spectateur d’assimiler une règle du jeu claire à laquelle se raccrocher. Certes, le film évacue les choses en faisant dire à son personnage scientifique Laura (Clémence Poésy) qu’il faut se laisser porter par les choses, les ressentir, plutôt que les comprendre. Une belle idée, très excitante, que le cinéaste contredira par ailleurs à travers les explications du spectacle parfois démentiel proposé. Pourtant la volonté de retrouver la naïveté d’un « magicien » tel que Méliès devant ses trouvailles, sa foi pour la pellicule ou les effets spéciaux « à l’ancienne » sans avoir recours à l’illusion d’un calcul informatique en dit long sur sa confiance dans le cinéma. Paradoxalement, sa mise en scène, en dehors de sa représentation graphique, pourra être vue comme intrinsèquement spectaculaire mais jamais novatrice. Conséquence, la fameuse scène du 747 est à ce point volontairement tuée dans l’œuf au profit du « concept » que la frustration déborde. Nolan est dans une quête d’un nouveau langage cinématographique détaché de la forme pour mieux démultiplier le fond.

Alors oui, le travail sur le montage est à la fois impressionnant et ambitieux, le casting est impeccable et le rythme haletant malgré des dialogues touffus. Mais à force d’interroger l’intelligence du spectateur, Nolan pousse les potards au-delà des limites. Au risque de les perdre et de se perdre lui-même. Sa volonté manifestement jubilatoire de faire vivre son œuvre après la projection, ce besoin évident de revoir l’objet pour mieux cerner les arcanes à peine esquissés d’une somme de sous intrigues laissées à l’exégèse peut épuiser ; le carré Sator, l’étau temporel, les origine du personnage de Neil, la récurrence du chiffre 10, le nom du protagoniste font partie d’un positionnement unique dans le Hollywood contemporain. Une vision par ailleurs partagée par son frère Jonathan Nolan sur la série Westworld dont le succès repose en grande partie sur sa faculté à interroger son propre public.

Malgré cette volonté de contrôle absolu, qui poussent certains à le comparer paresseusement à Stanley Kubrick quand ce dernier était dans une recherche de nouvelles formes, il faut reconnaître à Christopher Nolan sa grande habileté d’avoir lui aussi convaincu la Warner de lui laisser une totale liberté d’expression. Avec un budget de 200 millions de dollars, sans têtes d’affiche bankables, une histoire chaotique au happy-end amer (coucou le final de Casablanca) et le final cut indispensable, le réalisateur assoit une position hors-norme et s’inscrit dans un créneau désormais désertifié de faiseur de blockbuster estampillé auteur… soit une anomalie, une bizarrerie au sein des majors. Une victoire, aussi. Et si Tenet a parfois du mal à assumer son propre univers, quitte à rester nébuleux voire incohérent, il n’en demeure pas moins une fascinante montagne russe qui nous trimbale de Bombay à Oslo en passant par Londres et la Sibérie. Nulle doute qu’il divisera bien plus que ses films précédents et que les irréductibles accrocs aux voyages héroïques exfiltrés de Joseph Campbell (Le Héros aux Mille Visages) bouderont qu’il ne se contente pas d’enjeux clairs ni d’une péripétie les menant d’un point à un autre sans jouer à saute-mouton dans une spirale. Dans cet enchevêtrement tourneboulé qui pourra lui donner des oripeaux trompeurs de film malade ou meurtri, les expériences de Christopher Nolan tracent leur chemin, à l’endroit, à l’envers, et nous éclairent avec une virtuosité fragile sur son statut de cinéaste star.

ENGLISH VERSION

Why make it simple when you can make it complicated? Christopher Nolan’s new film was expected to be a solution for the cinema industry in today’s pandemic climate, with his obsessions with time control, and was set to be a must-see blockbuster around a new convoluted SF-quantum concept. With a lot of reverse entropy and literary references (such as Philip K Dick’s “Counter-Clock World”) and cinematographic references (from Back to the Futur to Benjamin Button to The Final Countdown or Terminator), Tenet has fun mixing all his science with James Bond style intrigue, of which Nolan has never hidden being a seasoned amateur. If Inception, in its last part, was intended as a tribute to the famous secret agent, this new film is his – not necessarily limpid – love letter to the genre. Based on a rather simple and linear plot that he has been working on for some twenty years (a corrupt billionaire engaged in nuclear trafficking is planning the end of the world), the film unfolds, as is often the case with the filmmaker, his own internal theories, with more or less tenuous clues, sometimes relayed during press interviews during which he doesn’t hesitate to add more for the followers of tricky theories. So fun!

The fact is that on Tenet, a rather clever palindrome title but which doesn’t summarize its narrative path, the Nolan-style storytelling factory is done to the last detail, radical, in all its cryptic aspects. The writing is not new, but here it digs itself into a rarely explored furrow. Many will come out of it spun out of it, disoriented by this little psycho-philo-pyrotechnic puppet game. It is precisely here that questions will not fail to arise between the possible loss of reference points of a writer-director around a concept that is too big, too heavy to carry, and this slightly intellectual attitude that invariably places him at the very center of his dizziness. So be it, the audience will see the new Nolan, like a contract that would promise a whole bidding war at the risk of shattering what the audience perceives and expects of him. Some have evoked David Lynch in this cryptic, convoluted, over-interpretable spirit, and yet the exact opposite. For the author of Mulholland Drive, guided by his own daydreams, never tries to make explicit what he shows, letting imagination, fantasy and poetry carry his spectators away (or not). Nolan, on the other hand, is a cartesian who is full of rationality and who systematically tries to justify his narrative choices through functional staging. This results in visually impressive shots (the building that is destroyed and then rebuilt, the wall that swallows a character, the hand-to-hand combat with an “inverted” adversary) carried by characters with archetypal characterization. It is above all the concept that interests him. His heroes are only a means to fiddle with his whims and everything that revolves around time, the way to apprehend it, to control it. An obsession that perhaps lacks poetry. Who knows?

Complex and metaphysical, all this theoretical entanglement is revealed as the plot unfolds, never allowing the viewer to assimilate a clear rule of the game to hold on to. Certainly, the film evacuates things by making its scientific character Laura (Clémence Poésy) say that one must let oneself be carried by things, feel them, rather than understand them. A beautiful idea, very exciting, that the filmmaker will also contradict through the explanations of the sometimes demented show proposed. Yet the desire to rediscover the naivety of a “magician” such as Méliès in the face of his inventions, his faith in film or “old-fashioned” special effects without resorting to the illusion of special FX says a lot about his confidence in cinema. Paradoxically, his staging, apart from its graphic representation, could be seen as intrinsically spectacular but never innovative. As a consequence, the famous 747 scene is so deliberately nipped in the bud in favor of the “concept” that frustration overflows. Nolan is in a quest for a new cinematic language detached from the form to better multiply the content.

So yes, the work on the editing is both impressive and ambitious, the casting is great and the rhythm breathless despite the dense dialogue. But by dint of questioning the viewer’s intelligence, Nolan pushes the system over the limits. At the risk of losing them and himself. His manifestly jubilant will to bring his work to life after the projection, this obvious need to review the object to better define the barely sketched arcana of a sum of sub-plots left to exegesis can exhaust; the Sator square, the temporal vise, the origins of Neil’s character, the recurrence of the number 10, the name of the protagonist are all part of a unique positioning in contemporary Hollywood. A vision also shared by his brother Jonathan Nolan on the series Westworld, whose success rests largely on his ability to question his own audience.

In his desire for absolute control, which leads some to lazily compare him to Stanley Kubrick when the latter was in search of new forms, we must recognize Christopher Nolan’s great ability to have also convinced Warner Bros. to give him total freedom of expression. With a $200 million budget, no bankable headliners, a chaotic story with a bitter happy-end, and the indispensable final cut, the director takes an unusual position and fits into a now deserted niche of blockbuster maker stamped like an “author”… it’s an anomaly, an oddity within the majors. A victory, too. And if Tenet sometimes finds it difficult to assume his own universe, even if it means remaining nebulous or even incoherent, it is nevertheless a fascinating roller coaster that takes us from Bombay to Oslo via London and Siberia. There is no doubt that it will divide more than his previous films and that the die-hard addicts of Joseph Campbell’s exfiltered heroic journeys (The Hero with a Thousand Faces) will sulk that he is not satisfied with clear stakes or a twist leading them from one point to another without playing leapfrog in a spiral. In this twisted tangle, Christopher Nolan’s experiments trace their path, right side up, upside down, and enlighten us with fragile virtuosity about his status as a star filmmaker rightly admired by Tarantino, Mann and many others.

TENET – CHRISTOPHER NOLAN

Tenet - Christopher Nolan (2020)

Titre : Tenet
Titre original : Tenet

Réalisé par : Christopher Nolan
Avec : John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, Kenneth Branagh…

Année de sortie : 2020
Durée : 150 minutes

Scénario : Christopher Nolan
Montage : Jennifer Lame
Image : Hoyte van Hoytema
Musique : Ludwig Göransson
Décors : Nathan Crowley

Nationalité : États-Unis / Angleterre
Genre : Action / SF
Format : couleur — 35 mm / 70 mm — 2,35:1 — son DTS / Dolby Digital / IMAX 6-Track / Dolby Surround 7.1 / SDDS / Sonics-DDP

Synopsis : Muni d’un seul mot – Tenet – et décidé à se battre pour sauver le monde, notre protagoniste sillonne l’univers crépusculaire de l’espionnage international. Sa mission le projettera dans une dimension qui dépasse le temps. Pourtant, il ne s’agit pas d’un voyage dans le temps, mais d’un renversement temporel…

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