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Belfast
3.3Note Finale

Kenneth Branagh est décidément un cinéaste déroutant, un animal à part. Le genre “franc-tireur” qui part dans tous sens sans forcément avoir un plan de bataille. Dès la fin des années 80, son déboulé tonitruant de la scène classique aux plateaux de cinéma avec son adaptation du Henry V de William Shakespeare avait donné le frisson à tous les exégètes de la chose et les nostalgiques d’un certain Laurence Olivier dont ils virent rapidement l’ombre d’une succession probablement trop facile. À moins de trente ans, la comparaison porte large et va même effleurer Orson Welles dont il n’épouse pourtant pas les aspects les plus baroques. Mis sur orbite, sa trajectoire n’aura pourtant rien de rectiligne. S’il revient régulièrement aux “classiques” (Beaucoup de Bruit pour Rien, Hamlet, Peines d’amour perdues, Comme il vous plaira), Hollywood s’empare immédiatement du phénomène sans qu’il ne s’en accommode jamais vraiment. Que ce soit le fantastique de Shelley (Frankenstein), le policier facétieux d’Agatha Christie (Le Crime de l’Orient Express, Mort du le Nil), le suspense de Tom Clancy (Jack Ryan), le Disney ripoliné (Cendrillon) ou le MCU dévitalisé (Thor), Branagh ne parvient jamais à être lui-même, son statut relevant plus d’un simple exécutant, et on lui préfèrera des films plus modestes comme “Peter’s Friends” (1992), “Au beau milieu de l’hiver” (1995) ou “All is True” (2018).  Après le naufrage de Artemis Fowl (2020), Kenneth Branagh souhaite revenir à l’essentiel. En mars 2020, il entame l’écriture de Belfast, son projet le plus intime et le plus personnel. Comme un remède, une carte postale du passé, tout se fait très rapidement, le tournage ayant lieu quelques mois plus tard pour s’achever en octobre.

Autobiographie revisitée. Flash-back. Belfast suit, l’itinéraire de Buddy, gamin de 9 ans en 1969 (l’âge de Branagh à la même époque) qui cherche un sens à la vie, à sa vie, dans les rues de Belfast, meurtries par le conflit entre catholiques et protestants. Entre les deux communautés les heurts se multiplient. La situation empire de chaque côté des barricades. La question de rester coûte que coûte ou partir et se déraciner va alors se poser. Dilemme. Tensions. Les ficelles du récit initiatique sont là : la famille, le premier amour, la religion, le bien, le mal, la mort et ces petits moments de bonheur. La vie quoi ! En posant sa persona dans la petite histoire, au centre de la grande histoire d’un pays fracturé, Branagh ne cherche pas à faire un film politique et encore moins engagé. C’est aussi sa limite. En ne voulant que capter des petits moments de vérité, ces parcelles de souvenirs authentiques avec une extrême délicatesse, le réalisateur ne passe pas à côté de son sujet, mais, peut-être à côté du vrai sujet. Celui qui aurait habillé le film de ses oripeaux dramatiques, voire tragiques, afin de convoquer d’autres émotions à la hauteur des enjeux.

En passant de la couleur au noir et blanc, le regard sur la passé devient dès-lors sur-explicite, mais la photographie de son chef opérateur attitré Haris Zambarloukos dépasse l’effet de style un peu appuyé quand la couleur réapparaît autour d’un film au cinéma ou d’une pièce de théâtre, comme si ces deux autres « mondes » se révélaient au jeune héros fasciné dans toutes leurs dimensions, tous leurs éclats. Un peu facile pour les cœurs de pierre mais l’opératique devrait réchauffer les plus fleurs bleues. D’ailleurs, si la réalisation bouge pas mal dans les premiers moments du film, avec ses mouvements circulaires, ses ralentis, le film devient par la suite plus posé avec de nombreux plans fixes. Une pause dans le temps. Branagh joue alors de la lumière, allant jusqu’à surexposer parfois une image filmée en 35 millimètres non par coquetterie mais pour son aspect plus authentique, la scène de l’hôpital est une bulle d’émotion, de ces visages qu’il scrute pour y puiser l’émotion, du dépouillement des décors en intérieur dans lesquels il se concentre à composer significativement les cadres. Le temps se rythme alors au fil des chansons de l’incontournable Van Morrison (dont une spécialement composée pour le film : « Down to Joy ») et de la bande originale du comparse Patrick Doyle sur ces moments de vie, un peu de danse, du foot, un enterrement festif.

Sur une trame narrative usée jusqu’à la corde (« Hope and Glory » de John Boorman, « Les 400 Coups » de François Truffaut et plus récemment « Roma » de Alfonso Cuarón ont portés le genre au sommet) les acteurs attrapent la balle au bond. Si le choix d’un enfant est toujours une gageure – rares sont les films avec un gamin qui ne frôle pas l’insupportable – Jude Hill est ici une véritable et belle révélation aux expressions touchantes qui sait tout autant porter ses dialogues avec un aplomb impressionnant face au duo Judie Dench et Ciaran Hinds qui composent des grands-parents magnifiques d’humanité et d’affection. Et les parents donnent le change que ce soit Jamie Dornan (bien loin de la trilogie niaiseuse de Fifty Shades of Grey) ou Caitriona Balfe en mère courage au sourire lumineux. Oui, la famille est au centre. Protestants ? Qu’importe ! En vivant dans cette rue, comme un enclos, une entrave, parmi des familles catholiques avec qui ils forment une communauté fragile, le film ouvre la voie et se hisse dans la catégorie « feel-good movie », peut-être trop sucré malgré l’ombre de la peur, celle de la violence urbaine, celle, sociale, du chômage, du manque d’argent, d’un futur inconnu, incertain.

Dans ce terrain de jeu, même les « méchants » ne font jamais vraiment peur. Car à force de vouloir tout lisser aux bons sentiments, malgré la grisaille, les nuages et la pluie, le film perd en intensité ce qu’il gagne en tendresse. Pas la tendresse forcée. Mal fagotée. Non, la vraie tendresse, filmée  à hauteur d’enfant, avec une candeur déconcertante. Belfast baigne alors dans une nostalgie saine et parvient à capter quelques précieux moments suspendus : une main effleurée, le câlin au grand-père malade, la détresse de devoir tout quitter, même ceux qu’on aime, un bouquet de fleurs et un au revoir plein de promesses mais si déchirant pour ceux qui restent.

ENGLISH VERSION

Kenneth Branagh is definitely a confusing filmmaker, an animal of his own. The kind of “maverick” who goes off in all directions without necessarily having a battle plan. At the end of the 1980s, his thunderous arrival from the classical stage to the cinema with his adaptation of William Shakespeare’s Henry V gave a thrill to all the exegetes of the genre and to those nostalgic for a certain Laurence Olivier, whose succession they quickly saw as probably too easy. At less than thirty years of age, the comparison is broad and even touches on Orson Welles, whose most baroque aspects he does not, however, share. Once in orbit, his trajectory will not be straightforward. Although he regularly returned to the “classics” (Much Ado About Nothing, Hamlet, Love’s Labours Lost, As You Like It), Hollywood immediately seized on the phenomenon without him ever really coming to terms with it. Whether it’s Shelley’s fantasy (Frankenstein), Agatha Christie’s facetious detective story (Murder on the Orient Express, Death on the Nile), Tom Clancy’s thriller (Jack Ryan), Disney’s rip-off (Cinderella) or the devitalized MCU (Thor), Branagh never manages to be himself, his status being more that of a mere performer, and we will prefer more modest films like “Peter’s Friends” (1992), “In the Bleak Midwinter” (1995) or “All is True” (2018).  After the failure of Artemis Fowl (2020), Kenneth Branagh wants to get back to basics. In March 2020, he began writing Belfast, his most intimate and personal project. Like a remedy, a postcard from the past, everything was done very quickly, with filming taking place a few months later and finishing in October. Autobiography revisited. Flashback. Belfast follows the itinerary of Buddy, a 9 year old boy in 1969 (Branagh’s age at the same time) who is looking for a meaning to life, to his life, in the streets of Belfast, scarred by the conflict between Catholics and Protestants. The clashes between the two communities increase. The situation worsens on both sides of the barricades. The question of whether to stay or to leave and uproot oneself is raised. Dilemma. Tensions. The strings of the initiation story are there: family, first love, religion, good, evil, death and those little moments of happiness. Life itself! By placing his persona in the small story, at the centre of the big story of a fractured country, Branagh does not try to make a political film and even less committed. This is also his limit. By only wanting to capture small moments of truth, these bits of authentic memories with extreme delicacy, the director does not miss his subject, but perhaps the real subject. The one that would have dressed the film in its dramatic, even tragic, garb in order to summon other emotions that are equal to the stakes. By switching from colour to black and white, the look at the past becomes over-explicit, but the photography of its appointed cinematographer Haris Zambarloukos goes beyond the slightly supported stylistic effect when colour reappears around a film in the cinema or a play, as if these two other “worlds” were revealing themselves to the fascinated young hero in all their dimensions, all their brilliance. A little easy for the stony-hearted, but the operatic should warm up the most blue-flowered. Moreover, if the direction moves quite a bit in the first moments of the film, with its circular movements and slow motion, the film then becomes more sedate with numerous still shots. A pause in time. Branagh then plays with light, sometimes overexposing an image filmed in 35 millimetres, not out of coquetry but for its more authentic aspect. The hospital scene is a bubble of emotion, of these faces that he scrutinises to draw emotion from them, of the stripped-down interior settings in which he concentrates on composing significant frames. Time is then set to the rhythm of the songs of the inescapable Van Morrison (including one specially composed for the film: “Down to Joy”) and the soundtrack of the comparse Patrick Doyle on these moments of life, a little dancing, football, a festive funeral. On a well-worn narrative (“Hope and Glory” by John Boorman, “Les 400 Coups” by François Truffaut and more recently “Roma” by Alfonso Cuarón have taken the genre to the top), the actors catch the ball in the air. If the choice of a child is always a challenge – rare are the films with a kid who doesn’t border on the unbearable – Jude Hill is here a true and beautiful revelation with touching expressions who knows how to carry his dialogues with an impressive aplomb facing the duo Judie Dench and Ciaran Hinds who compose magnificent grandparents of humanity and affection. And the parents give the change whether it is Jamie Dornan (far from the silly trilogy of Fifty Shades of Grey) or Caitriona Balfe as a courageous mother with a bright smile. Yes, family is at the centre. Protestant? Who cares? By living in this street, like an enclosure, a hindrance, among Catholic families with whom they form a fragile community, the film opens the way and raises itself to the category of “feel-good movie”, perhaps too sweet in spite of the shadow of fear, that of urban violence, that of social unemployment, of lack of money, of an unknown, uncertain future. In this playground, even the “bad guys” are never really scary. Because by trying to smooth out everything with good feelings, despite the greyness, the clouds and the rain, the film loses in intensity what it gains in tenderness. Not forced tenderness. Badly wrapped up. No, real tenderness, filmed at the level of a child, with a disconcerting candour. Belfast is bathed in a healthy nostalgia and manages to capture a few precious suspended moments: a touch of the hand, a hug for the sick grandfather, the distress of having to leave everything, even those you love, a bouquet of flowers and a goodbye full of promise but so heartbreaking for those who remain.

Belfast (2022)

Titre : Belfast

Réalisé par : Kenneth Branagh
Avec : Jude Hill, Jamie Dornan, Caitriona Balfe, Ciarán Hinds, Judi Dench…

Année de sortie : 2021
Durée : 130 minutes

Scénario : Kenneth Branagh
Montage: Úna Ní Dhonghaíle
Image : Haris Zambarloukos
Musique : Patrick Doyle

Nationalité : Royaume-Uni
Genre : Comédie dramatique

Synopsis : Été 1969 : Buddy, 9 ans, sait parfaitement qui il est et à quel monde il appartient, celui de la classe ouvrière des quartiers nord de Belfast où il vit heureux, choyé et en sécurité. Mais vers la fin des années 60, alors que le premier homme pose le pied sur la Lune et que la chaleur du mois d’août se fait encore sentir, les rêves d’enfant de Buddy virent au cauchemar. La grogne sociale latente se transforme soudain en violence dans les rues du quartier. Buddy découvre le chaos et l’hystérie, un nouveau paysage urbain fait de barrières et de contrôles, et peuplé de bons et de méchants....

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