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Rencontrer Steve Hackett est toujours un plaisir. Toujours affable, le guitariste ne laisse jamais percevoir une once de mégalomanie malgré sa carrière ébouriffante. De Genesis à GTR en passant par une discographie solo prolifique, Steve était en visite à Paris pour la promotion de son nouvel opus : The Night Siren. Une invitation au voyage digne de ses plus grandes réalisations. L’occasion était trop belle pour ne pas se retrouver !

Steve Hackett - The Night Siren (2017)

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The review in english

Bonjour Steve !

Steve Hackett : Bonjour asseyez-vous… désolé, je tousse, j’ai mal à la gorge depuis un séjour en Serbie, un tournage vidéo avec pleins de fumeurs… j’ai une gorge serbe maintenant (il prend une grosse voix … qui dégénère en quinte de toux)

 

Tout le monde ici considère que ton dernier disque, « The Night Siren », est probablement ton meilleur depuis très longtemps…

Steve Hackett : Oh Merci, content que vous l’aimiez… J’ai vraiment pris plaisir à faire ce disque, et je pense que je vais aussi prendre plaisir à le jouer. On a fait un concert récemment où on a joué 3 titres de ce disque, et le rendu live était vraiment bon. On a joué “Behind The Smoke“, “El Nino” et “In The Skeleton Gallery“… ce sont peut-être les meilleures de l’album.

 

J’aime beaucoup “Inca Terra” également et ce côté world musi…

Steve Hackett : (enthousiaste) Oui !

 

On a le sentiment qu’en écoutant le disque, on voyage d’un pays à un autre, un peu comme le tour du monde en 80 jours…

Steve Hackett : Oui, c’est l’idée, réellement. Il y a cette idée de voyage. Ma femme Jo et moi adorons voyager, visiter de nouveaux endroits. Bien sûr en tant que musicien, on a l’opportunité de voyager, mais pas seulement. Au Pérou par exemple, la première fois que j’y suis allé c’était en tant que touriste, avant d’y jouer.

Est-ce que tu utilises ces séjours comme source d’inspiration ? le folklore local ce genre de choses ?

Steve Hackett : Oui ça arrive, plein d’endroits, donc plein d’influences… Parfois j’entends les instruments locaux avant de visiter… le truc avec le Pérou c’est que tout le monde connait la musique péruvienne, le son du Charango ou de la flûte de pan, je joue du Charango sur ce morceau…Immédiatement on visualise les Andes et son atmosphère. On a ça dans “Inca Terra” qu’on a enrichi au fur et à mesure que le morceau avançait. C’est une progression, dans le sens ou on a ajouté un orchestre, on démarre gentiment avant d’enrichir la chanson, comme si on était emporté par un courant… l’idée est aussi de sortir des sentiers battus. Il y a au Pérou cette croyance sur les trois mondes,  le mode inférieur, celui du milieu et le monde supérieur… Le serpent, le puma et le condor… C’est très semblable à un autre endroit qu’on a visité récemment : le Cambodge et la Thaïlande. Ils ont le même type de croyance et de vision du monde… C’est ce genre de choses qui a influencé la musique qu’on a fait avec ce disque. Jo a écrit les paroles d'”Inca Terra“,  on a trois chanteurs différents et beaucoup d’instruments différents sur ce titre, ce titre passe par plusieurs états, un peu comme une chrysalide qui se transforme, c’est un titre très cinématique, presque World Music. Bien sur la guitare y tient une part importante, mais plus comme un instrument invité que comme un instrument soliste, tiré par des violons, les flûtes et le reste de l’orchestre… Le rythme est amené par de la clarinette basse sur ce morceau ( il chante la ligne rythmique ), on a plein de sons de basse différents, pris dans l’orchestre pour asseoir la rythmique de cette chanson, et le groupe qui joue avec les instruments électrique par-dessus, c’est vraiment une combinaison de tout ça.

 

Trois chanteurs sur ce titre, mais sur l’ensemble de l’album, la liste des invités et des contributions est assez impressionnante…

Steve Hackett : Oui c’est juste, mais il y en a avec qui je travaille de temps en temps, comme les musiciens hongrois par exemple.

 

Les Kovacs ?

Steve Hackett : Exactement, ils jouent de la trompette, du violon et du Didgeridoo. Avec eux on a démarré presque a capella… puis on a rajouté la batterie… Mais l’idée était de jouer à contre temps avec la batterie, et cela a donné une musique semblable à ce qu’on entend en Islande…”Fifty Miles From The North Pole“. On a essayé de rendre en musique ces grands paysages, les aurores boréales, ce contraste entre le froid extrême et la chaleur des volcans. L’Islande est surement l’endroit le plus froid ou je ne sois jamais allé, mais c’est un endroit fascinant.

Steve Hackett

Est-ce de là que vient la photo de la pochette de l’album ?

Steve Hackett : Oui c’est une aurore boréale islandaise. La photo vient de là-bas.

Ce n’est pas le premier album de ta carrière qui incite au voyage. Je me souviens de titres aux senteurs brésiliennes par exemple…à une autre époque. Tu voyages désormais beaucoup plus qu’avant avec Jo ?

Steve Hackett : (il opine et acquiesce tout au long de la question) Oui, quand elle était enfant, elle avait un globe une mappemonde et disait à ses parents qu’elle voulait visiter tous les pays de ce globe terrestre. On a la chance en tant que musicien de bouger dans plein d’endroits différents, dans l’année qui vient par exemple, pour la première fois on va jouer en Australie, Nouvelle-Zélande, Jakarta, Singapour, Hong-Kong… tous ces endroits sont inspirants et on en reviendra forcément avec une influence quelconque. On a la chance de pouvoir satisfaire tous deux nos envies : pour moi jouer dans le plus d’endroits différents et pour Jo de visiter le plus d’endroits… des souvenirs, littéraux et symboliques en quelque sorte, ce genre de choses qui colore ta musique… C’est aussi ce qui s’est passé avec The Night Siren. 20 musiciens de pays différents, Israël, Palestine jouant ensemble, on a parlé du Pérou déjà ou de l’Islande, Gulli Briem, un des batteurs est islandais… Suède, avec Nad Sylan, Troy Donockley et ses cornemuses irlandaises, qui donne un côté celte à “In Another Life“, Malik Mansurov d’Azerbaïdjan, qui joue du tar, un instrument à cordes local. On avait déjà collaboré sur Wolflight. J’essaie de me rappeler tout le monde, mais il y a tellement de personnes de tellement d’endroits sur ce disque, de ce point de vue, c’est vraiment un disque de world music… il y a du monde d’énormément de pas, jouant ensemble, unis, sans arrière-pensées politique ou religieuse… La musique a ceci qu’elle gomme les barrières et les frontières. J’aime travailler avec des personnes d’horizons différents comme cela, tous ces talents réunis…

Il y a quelques années par exemple j’étais au Brésil et un des moments les plus intéressants a été l’enregistrement de percussions brésiliennes. Au cours de ma carrière j’ai joué avec des batteurs brillants, qui avaient tous des kits plus imposants les uns que les autres… L’approche brésilienne est toute autre : un homme : un tambour, et le but est de tirer autant de sons différents que possible du même tambour. C’est une vraie leçon… Quand je joue de la guitare, je dois aussi essayer de faire la même chose. Si on passe à l’intro de “Anything But Love“, par exemple, la guitare est utilisée comme une guitare flamenco la caisse de la guitare est utilisée en percussion aussi (il chante le rythme), avec plusieurs rythmes différents en fonction des doigts de l’emplacement sur la caisse… pour créer cette ligne rythmique qui porte le morceau. Je pense que tu ne peux pas avoir ce feeling si tu n’es pas immergé dans la culture, si tu ne l’as pas vu ou entendu avant, tu ne peux pas l’inventer. On vit dans des pays ou on ne comprend pas vraiment le rythme, l’utilisation, la fonction du rythme. J’ai écrit cette mélodie sans réellement comprendre le rythme, jusqu’à ce que je me rende dans les pays d’où j’ai tiré l’inspiration de ces rythmes. C’est un tout cohérent, qu’on ne peut pas séparer.

Parfois le rythme se niche ou tu ne l’attends pas. Un jour Gary est arrivé avec des genres de couvert métalliques qui pendaient à l’intérieur d’un cadre et il a commencé à en jouer, rapidement sur un morceau plutôt lent… C’était…intéressant mais je ne pouvais rien en faire… Jusqu’à ce qu’il me dise : “il faut utiliser ce rythme de façon très douce, lente, comme des chuchotements, comme des bruits d’ambiance qu’on trouverait dans une jungle, comme des bruits d’insectes“… et finalement c’est ce qu’on a fait. Tout cela a participé à changer mon idée sur le rythme et ce que le rythme peut apporter à un morceau.

On se demandait aussi, en terme d’inspiration, ce que t’avais apporté de (re)tourner avec les morceaux de Genesis ces dernières années, si cela avait influé sur ton processus créatif et comment ?

Steve Hackett : C’est vrai que ces trois dernières années je n’ai quasiment joué que du Genesis, je voulais vraiment revenir à ces morceaux de la période ‘classique‘ de Genesis. Mais j’ai fait deux albums de Genesis Revisited si tu te souviens (ndlr : et comment !) séparés de 10 ans, avec beaucoup plus d’invités sur le deuxième c’est vrai. J’ai trouvé que le meilleur moyen de réapprendre cette musique pour la jouer live était de la réenregistrer, et de le faire avec des moyens modernes, très différents de ceux de l’époque. On a beaucoup utilisé les ordinateurs, pour cataloguer les partitions, les arrangements, pour centraliser tout ça. Mais tu sais la musique qu’on faisait à l’époque était assez complexe, un peu comme celle que je continue à écrire aujourd’hui. Si on continue sur les rythmes, il y a beaucoup de rythmes en contretemps par exemple sur “Dancing With The Moonlit Knight“, parfois il faut changer car tu te rends compte que le rythme fonctionne mieux à contretemps… Je me souviens que cette musique également a été écrite à une période où il y avait peu de médias qui s’intéressaient au groupe, on ne passait pas à la radio ou sur des stations un peu confidentielles, des trucs d’étudiants un peu intellectuels…On n’avait pas de contraintes et ça nous a libéré de carcans orientés radio, c’est pour ça qu’on nous a qualifié de progressifs. Honnêtement, on essayait juste de faire une musique pleine de surprises, on ne cherchait pas à rentrer dans le style progressif… “Supper’s Ready” par exemple, ce long morceau, qui est en fait plein de petits thèmes, de vignettes,  il n’y a pas vraiment de thème central à ce morceau, pas de couplet/refrain, juste…

Steve Hackett

Une histoire ?

Steve Hackett : Une histoire, exactement. C’est l’idée, le fait de raconter une histoire qui était important. C’est ce que ma femme Jo m’a dit qu’elle aimait dans la musique de Genesis. Le premier album de Genesis qu’elle a découvert lorsqu’elle avait 15 ans était “Wind & Wuthering“, et elle m’a dit avoir été transportée dans un autre mode par cette musique. A la fin des années 70 et jusqu’au milieu des années 80, la musique était très dépendante des maisons de disques, il y avait peu de liberté pour les artistes, toutes voulaient LE hit-sigle et rien d’autre…a part si tu étais signé par un label très spécialisé, comme de jazz ou de musique acoustique… Aujourd’hui je pense que l’influence de cette musique, de cette période du groupe à laquelle j’ai participé  est dans la façon de travailler et dans l’approche. Il n’y a plus de Single, de Hit-parade et on essaie de considérer notre musique comme un classique potentiel pour les années à venir. De plus on ne tente plus de sortir un hit quand on a l’âge que j’ai aujourd’hui (il sourit), et on sait qu’on a l’expérience pour faire aussi beaucoup plus.

Ce qu’attend mon public, c’est de ne pas s’ennuyer, une musique un peu aventureuse qui lui raconte des histoires, je me sens finalement aujourd’hui dans le même esprit qu’à l’époque de Genesis, sans contraintes. Embarquons le public dans des aventures musicales autour du monde ! J’essaie de faire des choses qui sortent de l’ordinaire, de fusionner l’énergie d’un instrument avec un autre, de mixer les cultures. J’ai essayé de faire un album qui unifie les gens, les cultures, c’est aussi continuer, faire perdurer l’esprit de Genesis je pense. J’aime le fait aussi qu’en réenregistrant ces titres de Genesis, j’ai essayé de les sublimer, de les améliorer selon ma vision… On aurait pu se contenter de réenregistrer à l’identique, mais on a par exemple choisi de refaire des sections de claviers avec un vrai orchestre, sur “Blood on the rooftops” par exemple, à la place de synthés et de Mellotron, bien que les claviers d’aujourd’hui puissent avoir un son merveilleux.

C’est la même approche qu’utiliser des instruments locaux, folkloriques au lieu de samples ou de sons synthétiques.

Steve Hackett : Quand c’est possible oui je préfère les vrais instruments. Mais, parfois il est bon de mixer, la différence entre un sample et le vrai jeu peut être ténue… Si on prend l’exemple de l’enregistrement d’une batterie, on peut trouver un son de caisse claire parfait à un moment et moyen à un autre. Le sample te permet aussi de découper l’enregistrement pour garder les meilleurs morceaux. Ca a aussi de bon côtés, et j’utilise les deux. Et ça nous arrive également de trafiquer les sons à l’aide de l’informatique. Pour le chant également… sur un des morceaux, on a un chœur d’enfants… enfin quelque chose qui ressemble à un chœur d’enfants car en réalité c’est Amanda (ndlr : Lehmann) et moi qui chantons et c’est ensuite travaillé à l’ordinateur. J’ai trouvé que c’était le meilleur moyen d’imiter un chœur d’enfant : chanter très doucement en falsetto et retravailler le résultat numériquement.

C’est une des raisons pour lesquelles parfois il n’y a pas de vrai batteur sur certains titres mais de la batterie programmée ? Sur cet album également ?

Steve Hackett : Parfois oui, mais sur ce disque j’ai trois excellents vrai batteurs aussi : Gary (ndlr : O’Toole, batteur live habituel), Gulli Briem.

D’Islande

Steve Hackett : Exactement, il jour dans le groupe Mezzoforte,  et Nick D’Virgilio, qui a joué brièvement avec Genesis à une période.

Et Big Big Train ? Comment vous êtes-vous rencontrés à propos ?

Steve Hackett : Et bien je l’ai vu avec le Cirque du Soleil au Royal Albert Hall à Londres. Je l’ai trouvé vraiment très bon, on a discuté et on s’est dit que ce serait intéressant de travailler ensemble, cela fait un moment qu’on s’était fait cette promesse. Je lui ai envoyé la démo de “Martian Sea“. Je voulais un esprit un peu sixties, un peu fou, à la Mitch Mitchell ou Keith Moon… et il m’a fait exactement  ce que j’espérais, fort, virtuose… comme je disais, nous avons 3 batteurs et Roger. Roger King est celui qui programme les batteries…Tu vois on utilise vraiment toutes les possibilités qui s’offrent à nous, parfois ensemble, parfois dans des morceaux séparés…

Il y a même un titre sans batterie aucune… le dernier…

Steve Hackett : Oui, et “Other Side Of The Wall” également qui est très orchestral

Pourquoi avoir terminé le disque sur ce titre “The Gift” ?

Steve Hackett : Quand on a fait le disque précédent, “Wolflight“, la version qui est sortie au japon avait des titres bonus. Les japonais veulent toujours des titres bonus que le reste du monde n’a pas (il sourit). Donc l’idée était de faire la même chose ici.

Tu joues un peu comme Jeff Beck sur ce morceau…

Steve Hackett : Et je trouve que  Jeff Beck joue comme sur “The Lamb Lies Down On Broadway” ! Si tu réécoutes “The Lamb” tu vas  trouver beaucoup de guitare ou de claviers solos, sans accompagnement, jouant ensemble… Et j’utilise une guitare qui appartenait à Gary Moore pour la petite histoire… ça c’est pour la guitare-connection (il sourit). A tiens, au fait, j’avais demandé à Jeff Beck s’il aurait été intéressé pour rejoindre GTR… Tu le crois ? (tout le monde rit) Donc on avait cette guitare du regretté Gary Moore sur “The Gift“, elle a un son fantastique.

Est-ce qu’on t’a déjà contacté pour écrire une musique de film ? Ta musique est très évocatrice, très cinématique : elle pourrait très bien illustrer des images…

Steve Hackett : Oui, je pense que c’est parce que j’adore les orchestres, les grandes formations. Et aussi parce je pense qu’une musique cinématique aide à avoir du succès, du moins dans le style qui est le mien. Tout ce que je peux dire, c’est qu’à l’époque de Spectral Mornings, j’ai été contacté par le consortium PRS for music (ndlr : Performing Right Society), quasiment 300 professionnels du cinéma voulaient utiliser ma musique sans me verser de droits…sauf un qui faisait un film sur un survivant de l’holocauste. Je devais donc écrire une musique pour ce  film. On a signé le contrat un vendredi et … il voulait le résultat le lundi suivant. En d’autres terme, j’avais le week-end pour écrire une partition complète de musique de film… (rires) Un peu difficile, non ?

Beau défi !

Steve Hackett : N’est-ce pas ? Donc j’ai passé le week-end à fouiller dans mes archives, et a retravailler des compos déjà existantes, qu’elles soient sorties ou non d’ailleurs… Comme des ébauches de morceaux qui auraient pu finir sur des titres très orchestraux. Le lundi, j’ai fourni ce qui était demandé, et la production était contente du résultat…Je pense que ce n’était pas mauvais, mais je n’avais rien composé d’original, c’était juste un collage de passages, de démos, de titres déjà écrits. C’était pour HBO, et je n’ai jamais travaillé pour Hollywood. Trevor Rabin, est très bon dans cet exercice, il a écrit beaucoup de bande originales de film, mais je pense que pour réussir dans ce domaine, tu dois vivre là-bas, être près  des producteurs… et de mon côté je suis tellement occupé avec mes propres tournées… Très franchement je pense qu’il est trop tard pour Hollywood pour me découvrir (rires). Maintenant s’ils veulent utiliser quelque chose déjà écrit … pourquoi pas ?

On posait la question, parce qu’un titre come El Nino par exemple est …

Steve Hackett : (il coupe) très filmique, n’est-ce pas ? C’est comme la rencontre d’un orchestre, d’une tribu et d’un groupe de rock ce morceau. Et le mix 5.1 surround de ce titre est très intéressant de ce point de vue (ndlr : sur la version bluray) , et certainement meilleur que le mix stéréo. Le son te vient de partout autour de toi, c’est très réussi… Et on a aussi de la clarinette basse (il chante le passage), qui donne un relief très intéressant et inhabituel, c’est vrai que ça serait parfait pour un film.

Pourquoi avoir appelé l’album The Night Siren ?

Steve Hackett : C’est un titre qu’on a choisi avec Jo, on trouvait que cela ferait un bon titre pour le disque. L’idée est celle d’un réveil de la conscience collective. Quand la politique a échoué, on peut avoir l’espoir que la musique fasse quelque chose. Je pense que tous les musiciens qui tournent beaucoup, qui voyagent beaucoup sont aussi des ambassadeurs de la paix. C’est l’idée, aussi j’espère, que le monde ne va pas sombrer dans le populisme, ou le nationalisme. “Behind The Smoke“, par exemple, parle des réfugiés, mais pas seulement des réfugiés que l’on voit aujourd’hui, c’est aussi parler de ma famille, ou de la famille de Jo. On est tous deux issus de familles de réfugiés, la mienne de Pologne, à la fin du dix-neuvième  et Jo, de Pologne et d’Allemagne, à la même période qui ont atterri en Angleterre. L’asile politique devrait rester sacré. A la fin de la seconde guerre mondiale, ou pendant l’ère communiste, tous les réfugiés étaient accueillis… Aujourd’hui il semble y avoir un choix, un tri… une soi-disant raison économique. On prend les réfugiés qualifiés et pas les autres. On voit les enfants dans les camps, dans le froid, sans eau ni nourriture… (pensif et grave). Je me souviens en 1989 quand on avait fait Rock Against Repatriation, pour les boat-people vietnamiens, j’avais passé un an à travailler sur le projet, et les gens dans les ambassades nous disaient que les gens étaient fatigués d’avoir de la compassion et que les pays de l’ouest étaient en train de changer de mentalité, de se renfermer sur eux-mêmes, ça n’a fait qu’empirer depuis. C’est désespérant quand tu y réfléchis… et tout ce que je veux montrer avec ce disque, c’est que des personnes très différentes, de tous les pays du monde peuvent travailler ensemble en harmonie totale. Ce disque a été forgé dans un esprit d’unité. “The Night Siren” est un signal d’alarme, car j’ai peur que nous allions vers une sorte d’Armageddon. Le problème est que nos dirigeants sont de plus en plus irresponsables. Ils ne réfléchissent pas à une sorte d’intérêt global, international, et pourtant c’est ce qu’ils devraient faire.

On a rencontré Steve Hogarth and Steve Rothery à l’automne dernier, et ils tenaient exactement le même discours. Ils parlaient des mêmes thèmes dans leur dernier album.

Steve Hackett : Oui malheureusement, beaucoup d’artistes ont cette sensibilité… peu de politiques. On avait déjà abordé ces thèmes dans Wolflight mais moins en profondeur que dans cet album-ci. En fait peu de chose ont changé depuis la fin du dix-neuvième siècle. Il y a eu les deux guerres mondiales et on pense tous être plus intelligents aujourd’hui, mais on oublie le passé, on oublie ce que l’histoire nous enseigne… C’est la loi des mouvements de foules et des manifestants  qui prévaut.

Tu considères que c’est un disque pessimiste ou sombre ?

Steve Hackett : Oui, je pense qu’il est pessimiste. Et je pense aussi que c’est aux personnes, en tant qu’individus d’allumer la bougie de l’espoir plutôt que de se révolter contre l’obscurité. De toute façon on ne pourra pas compter sur nos dirigeants pour cela, ils ont baissé les bras, on doit se prendre en main seuls. Je suis complètement anti-Brexit : c’est une idée horrible, c’est la fin de l’Europe telle qu’on la connait aujourd’hui si d’autres pays suivent. C’est une décision complètement irresponsable. Je n’ai pas voté pour ça… J’ai travaillé en Europe depuis que je suis professionnel, c’est devenu simple de travailler en Europe : on peut voyager librement, je me souviens qu’au début de nos tournées on restait longtemps aux frontières avec les contrôles, il fallait se déshabiller, tout justifier, expliquer. Potentiellement c’est ce qui va se reproduire… Ça ne me plait pas, c’est un retour en arrière de plus de quarante ans.

Le futur est sombre.

Steve Hackett : Le futur est très sombre, oui, très sombre. C’est la limite de la démocratie, les gens ont choisi…On n’a pas beaucoup de choix, totalitarisme ou démocratie… C’est facile aussi d’influencer les gens quand on contrôle les médias. On peut orienter la presse. En Angleterre, Rupert Murdoch, par exemple, il contrôle tellement de médias, c’est facile d’influencer, d’orienter le choix des gens dans ce cas précis. Il a influencé le gouvernement pour faire ce référendum, cette idée terrible, et fait le forcing auprès de la population. Le problème est qu’aucun politique n’a eu le courage de se mettre en travers de sa route et de refuser ce choix, d’expliquer que ce serait une très mauvaise chose pour l’Angleterre de quitter l’Europe. La City gère 60 milliards de livres, que va-t-il se passer si cette économie s’en va ? Y-aura-t-il des sanctions contre le pays, si l’Angleterre n’honore pas ses dettes ?

On ne sait pas …

Steve Hackett : Non, on se sait pas, mais je n’aimerais pas parier … J’aurais tant voulu que l’Angleterre reste en Europe et montre la voie, dirige cette Europe … Que tout le monde travaille main dans la main, beaucoup de belles choses auraient pu voir le jour.

Peut-être qu’on a les gouvernements qu’on mérite.

Steve Hackett : (très anglais) Et bien pas en ce qui me concerne (rires). On peut le reprocher à pas mal de pays, je pense surtout qu’on n’a pas le leadership à la hauteur des enjeux, à la hauteur de tout ce qu’il y a à accomplir. Je ne suis peut-être qu’un naïf, un pauvre musicien naïf et pas un économiste. Il y avait la paix en europe depuis des décennies et cette paix est en train d’être menacée si on ne fait rien

C’est la fin d’une ère, je pense.

Steve Hackett : Absolument, c’est la fin d’une ère et le début d’un âge sombre.

Reparlons musique, ce disque, “The Night Siren” est bourré de guitares, je me demande si ce n’est pas un de tes disques ou il y en a le plus, il y a des soli partout. Est-ce une réaction ? Une sorte de rage envers cette période que nous vivons ?

Steve Hackett : Yeah, c’est possible en effet. La première chose que j’ai enregistrée d’ailleurs est le solo qui est à la fin de “Anything But Love“, c’est le titre qui démarre en flamenco. Quand tu fais un disque et que tu es un songwriter, tu passes beaucoup de temps à construire les morceaux, c’est comme un gâteau, tu pâtisses le gâteau …et le solo c’est la cerise sur le gâteau. Parfois tu peux exorciser des choses en travaillant et à la fin il ne te reste rien, pas d’idée pour cette cerise sur le gâteau. J’ai commencé par les solos et en pensant à l’esprit libre des sixties, sur deux cordes… J’ai fait les choses à l’envers en somme et construit les chansons plus tard. Faire d’abord en sorte que les solos fonctionnent. Je peux toujours me débrouiller ensuite pour la chanson qui ira autour, mais pour les solo, il n’y a pas de recette. Qu’est-ce qu’un bon solo ? Quelle est la recette d’un bon solo ? Je n’en sais rien.

Comment trouves-tu certains nouveaux sons ? Le solo à la fin de “Behind The Smoke” est juste incroyable. On y entend des notes qu’on n’a jamais entendu sortir d’une guitare de Steve Hackett auparavant.

Steve Hackett : C’est vrai.

Steve Hackett

C’est juste de l’inspiration ou tu as une méthode de travail pour trouver de nouvelles choses ?

Steve Hackett : Et bien, j’ai pensé à la musique arabe et à la musique de film romantique. Et j’ai essayé de trouver une thématique. C’est un voyage de l’ouest vers l’est ce disque. Au début du disque c’est un solo de guitare que tu entends, et quand tu arrives à la fin, c’est le même thème mais très orchestré, plus lent, plus majestueux. Avec tout l’orchestre jouant ce que la guitare seule faisait au début. On utilise des recettes de musique classique et de films, ce qui est typique de la musique de Genesis d’une certaine période également. Juste l’idée d’une belle mélodie, une qui te transporte, et un arrangement pour l’accompagner… On en peut trouver des milliers d’exemples dans la musique classique, les symphonies et tout le reste. Je pense que c’est vraiment un bon album et j’étais très fier du résultat lorsqu’il a été terminé. On en a déjà joué trois titres sur scène en même temps que des titres de Genesis.

« Finalement ce qu’il te faut pour durer ce n’est pas uniquement l’argent c’est le temps. Le temps de faire les choses… »

On va célébrer les 40 ans de Wind & Wuthering sur cette tournée, en jouant la plupart des titres de ce disque et de cette période. Tu vas jouer « Inside and Out » ?

Steve Hackett : Oui c’est juste, c’est un très bon morceau et le groupe en fait vraiment une très belle version. Il y a de belles parties de guitares à jouer, plusieurs électrique, un peu de 12 cordes… J’aime vraiment ce morceau. Il aurait dû être sur l’album…donc il est dans le show.

Donc cette tournée garde le même concept que la précédente ? avec une moitié Genesis et une moitié de des compositions plus récentes ?

Steve Hackett : Oui, il y a aura un premier set solo, un entracte et un set ‘Genesis’ ou l’inverse, on verra (sourires).

Qui te rejoindra sur scène cette fois ?

Steve Hackett : Et bien c’est le groupe habituel avec Nick Beggs.

Nick revient ? Comment as-tu choisi Roine Stolt pour le remplacer sur la tournée précédente ?

Steve Hackett : Nick n’était pas disponible, Lee Pomeroy n’était pas disponible et Nad Sylvan m’a dit que Roine jouait de la basse et qu’il aimerait surement venir partager la scène avec nous. J’ai Ok, je pense qu’il est juste surqualifié pour ça, c’est un grand guitariste comme tu le sais.

Il a démarré comme bassiste.

Steve Hackett : Apparemment oui, il est brillant.

Nous n’avons pas parlé de Roger King, Il semble être l’architecte de ta musique, au moins depuis le 1er Genesis Revisited.

Steve Hackett : Oui tout à fait

Comment vous êtes-vous rencontrés et comment avez-vous grandi ensemble en vous enrichissant mutuellement ?

Steve Hackett : C’était un musicien de la scène locale de Twickenham où j’ai passé beaucoup de temps. Il faisait des musiques de film en même temps que des morceaux rock. Il a travaillé sur  Chiffhanger, Au nom du père par exemple, des trucs à gros budget. Roger était donc un bon musicien, puis il a évolué vers le classique, il a joué de l’orgue dans une cathédrale également, et c’est en plus un bon ingénieur. C’est un fan de Bach, de Stravinski, il avouait ne pas aimer les romantiques classiques… C’était baroque ou moderne, ensuite il a appris le piano classique et a commencé à jouer du Chopin…et c’était très difficile pour lui car le toucher était très différent de ce dont il avait l’habitude, plus lent, plus doux… C’est drôle, hein ? On a une complicité tous les deux. Jo peut avoir une idée, j’en parle à Roger et ensuite on commence à arranger, ça se passe entre nous trois : ceci fonctionne, ceci peut fonctionner, cette intro est trop longue… Au départ sur ce disque d’ailleurs, les intro étaient vraiment beaucoup plus longues, on a eu peur de perdre l’auditeur, les intros ont été bien raccourcies, rendues moins ésotériques, plus accessibles aussi parfois. Comme tu dis il y a beaucoup de guitares sur ce disque, plus que sur les précédents je ne sais pas… Si tu le dis, c’est probable. La guitare n’est qu’une partie de ce que je fais, à chaque fois que j’ai fait des albums de pure guitare, c’était des albums acoustiques, presque classiques. Je n’ai jamais fait d’albums de rock instrumentaux, pas complètement du moins.

Blues albums ?

Steve Hackett : Un album de blues, oui j’ai fait ça en effet. Je pense que j’aurais pu faire mieux d’ailleurs, j’aime presque autant l’harmonica que la guitare. Le blues est très puissant, mais je pense que si tu recherches, l’harmonie, les accords, une certaine forme de musique ce n’est pas vers le blues qu’il faut aller. Mais c’est très une musique très évocatrice.

Il y a trois ans, lors du concert de Paris, il y a eu un problème avec le clavier de Roger sur l’intro de « Watcher of The Skies » et tu nous as joué un blues pour faire patienter.

Steve Hackett : Oui c’est vrai, mais je ne sais pas si le groupe serait à l’aise pour jouer du blues. Rob pourrait, c’est un jazzman, mais je n’arrive pas à imaginer Nick Beggs jouer du blues. Le blues ne s’apprend pas, tu dois grandir avec.

Il est trop extravagant !

Steve Hackett : Les musiciens qui n’ont jamais joué de blues placent tous les breaks aux mauvais moments ! Tu vois ce que je veux dire ? Ça ne serait pas cool de faire ça à Nick, c’est un musicien tellement drôle ! Mais je ne pense pas qu’il ait beaucoup d’albums de blues chez lui.

Steve Hackett

« Il y a toujours cette alchimie incroyable entre nous cinq, qui nous fait avancer et explorer des territoires où nous n’étions pas allés… »

Pour terminer, est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur John Wetton.

Steve Hackett : (triste et grave) Oh oui, absolument… On a beaucoup joué ensemble. Je pense que l’esprit de John est toujours vivant. John était un type très doux, j’espère qu’il est juste parti à un autre endroit. J’aime à pense que lorsqu’on disparait, notre énergie va ailleurs. Un type très doux très gentil mais  surtout c’était un ami personnel.  A chaque fois qu’on jouait ensemble, je pensais à des amis travaillant ensemble, plus que des musiciens. Il avait un grand sens de l’humour, on se faisait rire mutuellement, c’était important. On prenait soin de nous mutuellement.  Je pense qu’il était très talentueux et je suis très fier de l’avoir connu. C’est une période vraiment difficile, j’ai parlé à sa femme, Lisa, récemment. C’est une grande perte, mais il cristallisait tant d’amour de tant de monde, elle a reçu beaucoup de soutien et de marques d’affection… John était tellement apprécié…par tant de gens. Je n’ai pas pu assister à ses funérailles, j’étais loin à ce moment… C’est très dur de perdre quelqu’un comme lui, mais on n’a pas d’autre choix qu’accepter. J’étais un grand fan de sa voix, je me souviens dans les années 70, on s’est rencontrés à l’époque où il était dans King Crimson. Je les avais vus faire Larks Tongues In Aspic live, après le concert, j’étais retourné en ville, dans un club et John est arrivé. “Hey je viens de voir ton concert !!! , Hello moi c’est John“. On est devenus amis à cette période, on a bossé avec Pete Banks pour son premier disque solo… Beaucoup sont partis… Pete Banks, Chris Squire… Il y a une vidéo sur YouTube de la dernière fois que j’ai joué à Cruise To The Edge, Chris Squire était sur scène et John Wetton…et on a joué All Along The Watchtower, c’était extraordinaire. Je pensais à Chris en faisant l’album, je me demandais s’il aurait aimé telle ou telle démo… et il me répondait : fais plutôt comme çi, comme ça…Je sais que ce sera pareil avec John. Ils continueront à m’influencer. Leurs esprits  sont présents en moi, ce sont de grandes pertes pour le monde musical. L’année  a été épouvantable n’est-ce pas ?

Il nous reste à conclure en te remerciant et en te souhaitant le meilleur pour la suite.

Steve Hackett : Merci à vous, à bientôt !

Une interview préparée et réalisée par Stéphane Mayère, Jean-Marie Lanoë et Cyrille Delanlssays le 6 février 2017
Remerciements : Valérie Reux
Traduction : Stéphane Mayère

Photo by Tina K

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