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Voivod - Synchro Anarchy
4.8TOP 2022

Le magazine Sounds avait indiqué en 1988, à la sortie du fabuleux concept album Dimension Hatröss, que le groupe Voivod possédait en lui toute la force du métal et aucun de ses clichés. Un commentaire élogieux empreint d’une incontestable véracité et une spécificité dont ne sera jamais départi le groupe tout au long de ses quarante années d’existence. Voivod c’est un métal d’avant-garde, intégrant des éléments progressifs et des accents hardcore punk, le tout teinté de psychédélisme, avec ce son immédiatement reconnaissable entre mille, grâce à des accords de guitare inventifs, atonaux et dissonants. Une musique puissamment portée par des changements de rythmes surprenants sur lesquels se place un chant aux antipodes des standards du genre. Une bande son parfaite pour des voyages au sein de mondes dystopiques, de planètes en déliquescence, d’univers post-apocalyptiques et dont l’évocation résonne plus que jamais comme autant d’avertissements à l’aube de catastrophes tout aussi irréversibles que sans précédent. Une évidence s’impose, Voivod aura su créer son univers propre et ce, jusqu’à ces pochettes superbement dessinées par le batteur du groupe, artiste graphique d’exception.

Régénéré par un line-up associant désormais aux côtés de ses membres fondateurs deux nouveaux venus que sont le guitariste Daniel “Chewy” Mongrain, qui a eu la lourde responsabilité de succéder au regretté Denis “Piggy” d’Amour, ainsi que le bassiste Dominic “Rocky” Laroche, le groupe canadien était revenu sur le devant de la scène en 2018 avec The Wake, un disque absolument fantastique confirmant la résurrection du seigneur Voivod. La facilité eut été de reconduire la formule du précédent album qui avait été acclamé par les fans comme par la presse. Et pourtant, à contrepied de The Wake qui se voulait très épique, le groupe recentre son propos sur Synchro Anarchy pour plus d’efficacité. La majeure partie des morceaux avoisine les 5 minutes et aucun morceau ne dépasse le cap des 7 minutes. La direction musicale est plus directe, plus brute et avec une rage qui rappelle parfois l’époque Killing Technology. Le groupe se plait également à démultiplier plus que d’accoutumée les changements de rythme tout au long des morceaux, ce qui contribue à renforcer plus encore la sensation d’énergie qui enveloppe tout l’album ainsi que l’esprit prog qui l’anime. C’est aussi un disque d’une grande diversité, ce qui le rend d’autant plus fascinant. En effet, le groupe semble vouloir nous offrir au travers des neuf titres un large panorama des différentes époques de sa carrière. Ainsi, si “Memory Failure” ou “Planet Eaters” font immédiatement penser à Dimension Hatröss/ Nothingface , “Sleeves Off” et le début de “Mind Clocks” renvoient à The Outer Limits alors que “Quest for Nothing” rappelle la rage de Killing Technology et que  “The World Today” évoque irrésistiblement Angel Rat.

Ce nouvel album est surtout très inspiré. La mélodie est mise au premier plan et les morceaux entraînants aux refrains immédiats ne manquent pas. Se dégagent notamment “Synchro Anarchy” ou encore “Sleeves Off” avec cette accélération speed metal sur le refrain qui fait un bien fou. Comment ne pas également retenir le diablement efficace “The World Today” ? Et que dire des envolées tout aussi lyriques qu’énigmatiques qui magnifient les compos çà et là comme sur “Planet Eaters” (« This is the way we have been made, there is the sky to satisfy, our endless needs, billions to feed ») ou sur le final de toute beauté de “Quest For Nothing” (« This one life is the only I have, this whole life I wouldn’t give it away ») qui se conclue sur des accords de mandoline ! Ce sont même les sonorités quasi spatiales d’un groupe qui tutoie le majestueux que l’on retrouve sur “Holographic Thinking“. Tout cela avec la signature unique omniprésente de Voivod, que le groupe se plaît à pousser à son paroxysme sur “Memory Failure” qui clôture superbement l’album.

Voivod est une grande famille comme aime à le rappeler Michel Away” Langevin (cf. notre interview sur ce site). Il n’y a jamais eu au sein du groupe de problèmes d’ego. Et il est fort probable qu’il n’y en ait jamais. Il suffit de les voir sur scène pour le mesurer pleinement.  Et si la cohésion du groupe semble encore renforcée sur ce second album du nouveau line-up, ce disque transpire surtout l’émulation, une émulation qui a permis à Voivod de progresser encore musicalement, tous ensemble. Le travail à la batterie de Away est monumental. La symbiose avec Rocky est juste parfaite. Sa basse ronde (jugez-en par vous-même à l’écoute de l’intro de “The World Today”) est très présente, apporte une réel groove et participe pleinement à la richesse de l’album. DenisSnake” Belanger donne plus que jamais toute la mesure de ses possibilités au chant et nous offre sur cet album de nombreuses variations dans les intonations. Et enfin, le guitariste Chewy, qui nous avait déjà enthousiasmé de par le passé, explose singulièrement ici, que ce soit au travers de ses riffs qui prolongent magnifiquement l’univers de Piggy ou de ses soli inventifs surgis de nulle part (comme sur “Synchro Anarchy” ou sur le dernier solo de “Planet Eaters” ou encore sur celui de “The World Today” que Chewy semble étirer vers l’infini) où l’on reconnaît l’influence Holdsworthienne. La finesse et la précision de son travail sont absolument éblouissantes. Chewy a capturé l’essence même du groupe, nous donnant le sentiment qu’il a toujours fait partie de Voivod tout en apposant cette fois-ci, de manière étincelante, sa propre signature.

Comme toujours avec Voivod les compositions sont comme des espaces de narration qui s’appuient sur de micro scénarii rendant l’écoute encore plus passionnante. Et c’est aussi là, au travers des thèmes mis en exergue, que Voivod se distingue profondément de la multitude de groupes dont la plume ne véhicule que des clichés ou des textes vides de sens. La conscience environnementale du groupe, qui ne date pas d’hier (on se souviendra du message « Stop animal slaughter » dans la vidéo de “Ravenous Medecine” en 1986) est notamment présente sur “Planet Eaters“. Le morceau, qui nous projette dans un futur immédiat avec la perspective de ces voyages touristiques dans l’espace, sonne comme un triste constat désabusé (« Building more buildings, more buildings to build.») à la vue de cette planète bien fragile qui est la nôtre, non sans cette ironie mordante qui rend les messages encore plus percutants (« Select space sightseeing, it’s our world down below »). On peut lire également dans “Paranormalium” une critique des réseaux sociaux (« Multi-million of opinions, magnified twisted visions (…) false information becomes conviction ») et probablement de ce nouveau monde virtuel, le metaverse qui fera très certainement, sous quelques années, partie de notre réalité (« This unknown personality, constantly affecting me, unable to interfere, since I am locked up in this sphere »). Et plus proche de nous, au regard de l’actualité politique et de la montée des extrémismes populistes, quelle qu’en soit la couleur, le titre “Memory Failure” semble nous rappeler au devoir de mémoire  (avec cette effrayante perspective d’une mémoire collective qui s’éteindrait « File system crashed, rebooting your soul ») et nous invite à nous méfier de tous ceux qui tentent de réécrire l’histoire pour servir leurs propres intérêts (« Blackened the names, re-write with control, censored the phrases, remodel heroes ») et ce, au risque de nous faire replonger dans les affres de la barbarie humaine («Have we learned something, repeating the frames of old mistakes, do we play the same barbaric games »). Le groupe ne perd pas pour autant sa foi en l’espèce humaine. Ainsi, “The World Today” défend l’idée qu’il n’appartient qu’à nous de dépasser la prise de conscience afin d’agir pour un monde meilleur (« Involve to evolve, revalue the value, a gage to engage »). Et parfois il suffit de bien peu (« It doesn’t take much for you to crack a smile»). Enfin, sur « Sleeves Off » qui pourrait être complètement autobiographique, Snake nous propose une véritable ode à la vie au-delà du conforme (« No time to waste, no need to brake, no care to age, all to embrace »). Suivre son instinct et poursuivre ses rêves comme une source d’espérance en des temps troublés.

Si The Wake était la preuve tangible de la résurrection du seigneur Voivod, ce chevalier androïde de l’ère post-nucléaire, Synchro Anarchy s’affirme comme celle irréfragable d’un règne sans partage qui n’est pas prêt de prendre fin.

Retrouvez l’interview avec Michel Langevin ⇐

VOIVOD – SYNCHRO ANARCHY

Voivod - Synchro Anarchy (2022)

Titre : Synchro Anarchy
Artiste : Voivod

Date de sortie : 2022
Pays : Canada
Durée : –
Label : Century Media Records

Setlist

1. Paranormalium
2. Synchro Anarchy
3. Planet Eaters
4. Mind Clock
5. Sleeves Off
6. Holographic Thinking
7. The World Today
8. Quest for Nothing
9. Memory Failure

Line-up

– Denis “Snake” Belanger / Vocals
– Daniel “Chewy” Mongrain / Guitar
– Dominic “Rocky” Laroche / Bass
– Michel “Away” Langevin / Drums

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