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Un Chien Andalou
5.0Chef-d'œuvre

Avec Un Chien Andalou, le critique nombriliste peut se tripoter tranquillement. Avec son récit disloqué, son surréalisme éclatant, éclaté, son choc des images qui évite, muet oblige, le poids des mots, l’exégète a ici une occasion rare de se polir l’interprétation à géométrie variable. À sa décharge, le premier film du génial Luis Buñuel, écrit par le non moins furieusement barré Salvador Dalí, donne dans la surenchère visuelle comme un écho direct à l’œuvre de ce dernier : objets évanescents, hermaphrodite, ânes morts sur des pianos-métaphores de la bourgeoisie, fourmis (symbole récurrent de la putréfaction chez le peintre), suicides, œufs dégoulinants (comme le Paradis perdu qui se répand), séminaristes, érotisme, blasphème, mise en abime, sans oublier l’inoubliable découpage oculaire à la lame de rasoir. En réalité, et pour les plus sensible, il s’agit en réalité d’un œil de bœuf. Merci pour lui. Bref, le film repose sur une narration tordue, une poésie de l’image qui pourra tout autant fasciner que révulser. Quelque chose de purement instinctif, qui vient des tripes plus que la tête. Un trip reptilien décidé pendant les fêtes de Noël en 1928, chez Dalí à Cadaquès. sur un coin de table.

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« Nous étions en telle symbiose qu’il n’y avait pas de discussion. Nous travaillions en accueillant les premières images qui nous venaient à l’esprit et nous rejetions systématiquement tout ce qui pouvait venir de la culture ou de l’éducation. Il fallait que ce soient des images qui nous surprennent et qui soient acceptées par tous les deux sans discussion » – Luis Buñuel

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La mythographie du peintre tourne à plein dans ce cauchemar éveillé, suivi de près par le jeune réalisateur de 29 ans. Buñuel rêva de cet œil, d’un nuage effilé, Dalí de cette main pleine de fourmis. Les deux amis, sur la même longueur d’ondes biscornues et dystopique, écrivent cette succession de collisions imagées en six jours, le temps des vacances. Un Chien Andalou devient alors une fascinante suite de carambolages conceptuels, d’idées, de fantasmes morbides inégalés à l’époque, passant miraculeusement les barrières de la censure… et du groupe surréaliste lui-même. Mené par André Breton, ces derniers étaient très méfiants vis à vis du film et de son étiquette. C’est lors d’une projection privée que Luis Buñuel joua son entrée dans la fraternité, misant la possible destruction du film. Pour mettre toutes les chances de son côté, il alla jusqu’à sonoriser lui-même le film en se tenant derrière l’écran pour y jouer des disques de Wagner et de tangos argentins. Il racontera plus tard avoir rempli ses poches de cailloux pour les jeter sur le parterre surréaliste dans le cas où le verdict de ces derniers lui serait hostile ! Le jeune cinéaste le savait, il jouait alors la destruction de son film et sa renommée avec. Mais la réaction des surréalistes fut à ce point enthousiaste qu’ils préférèrent le désigner cinéaste “officiel” du groupe. Rien de moins !

À la lisière du parlant, Luis Buñuel entrait donc de pleins pieds dans le cinéma. Le film fut projeté le 1er octobre 1929 au Studio 28. La légende était en route : malaises, avortements et des dizaines de dénonciations au commissariat ! Le scandale plut évidemment aux surréaliste mais paradoxalement, ils voyaient dans son succès une tâche indélébile, intolérable. C’est ainsi que les deux auteurs se chargèrent eux-mêmes de l’exécution sommaire et sans procès du qu’en dira-t-on dans un texte sans appel publié dans la revue Mirador.

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« Un chien andalou a eu un succès sans précédent à Paris; ce qui nous soulève d’indignation comme n’importe quel autre succès public. Mais nous pensons que le public qui a applaudi Un chien andalou est un public abruti par les revues et “divulgations” d’avant-garde, qui applaudit par snobisme tout ce qui semble nouveau et bizarre. Ce public n’a pas compris le fond moral du film, qui est dirigé directement contre lui avec une violence et une cruauté totales.  » Luis Buñuel & Salvador Dalí dans la revue Mirador du 29 octobre 1929

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Onirisme, quand tu nous tiens ! Alors, évidemment, le critique ne manquera pas d’interpréter, de surinterpréter les choses à sa manière. D’autant plus volontiers que Buñuel refusera obstinément d’expliquer quoi que ce soit… une attitude que l’on rapprochera d’un David Lynch, lui-même largement sous influence malgré ses dénégations. Mais la vision d’Eraserhead (1974) est bien suffisante pour comprendre le croisement esthétique, plastique et spirituel de son univers avec le surréalisme extatique, exalté, déployé avec Un Chien Andalou.

Luis Buñuel manifestait dans cette œuvre une certitude, une rectitude esthétique contrastant avec l’aspect totalement ventilé de sa filmographie à venir. Surtout, il ruait sévèrement dans les brancards pour la première fois… la suite, portée par L’âge d’Or (1930), allait entériner ce perpétuel défi visuel et culturel dans quelque chose de plus explicite encore. Mais ceci est une autre histoire…

UN CHIEN ANDALOU de Luis Buñuel

Un Chien Andalou - Luis Bunuel (1929)

Titre : Un Chien Andalou
Titre original : Un Chien Andalou

Réalisé par : Luis Buñuel & Salvador Dalí
Avec : Pierre Batcheff, Simone Mareuil, Luis Buñuel, Salvador Dalí, Jaume Miravitlles…

Année de sortie : 1929
Durée : 16 minutes

Scénario : Luis Buñuel, Salvador Dalí
Image : Albert Duverger
Musique :  Richard Wagner, Tristan et Iseult ; tango argentin

Nationalité : France
Genre : Drame surréaliste
Format : Noir et blanc – 35 mm – 1,33:1 – film muet sonorisé

Synopsis : Tout commence sur un balcon où un homme aiguise un rasoir… La suite est une série de métamorphoses surréalistes. Un homme sectionne l’oeil d’une jeune fille. Un nuage passe devant la lune. Huit ans après. Un cycliste tombe accidenté dans la rue. La jeune fille lui porte secours et l’embrasse…

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