Queensrÿche – Operation: Mindcrime (deluxe edition)

En guise de cadeau estival, Queensrÿche nous propose une version nouvellement mastérisée aux studios Abbey Road des deux plus grands albums de leur discographie, Operation: Mindcrime & Empire. Au-delà de la bienheureuse remasterisation qui donne plus de mordant, de dynamique et d’épaisseur (et ce, même si on aurait souhaité un travail plus en finesse apportant plus de précision dans la restitution des différents instruments) c’est aussi et surtout l’occasion de découvrir ces deux œuvres au travers de versions luxueuses; des coffrets multidisques CD+DVD  qui regroupent, notamment pour Operation: Mindcrime, un magnifique livret rassemblant des notes diverses rédigées par Alex Milas (journaliste à Kerrang et anciennement éditeur en chef de Metal Hammer) et quelques photos exclusives, deux live audios (l’un enregistré à l’Hammersmith Odeon en 1990, le second au Wisconsin’s Target Center en 1991), des vidéos promotionnelles ainsi qu’un court documentaire « The Making of Operation: Mindcrime ». Seul regret peut-être, pour les inconditionnels du groupe, une partielle redondance avec le coffret Operation: LIVEcrime paru en 1991.

Si Rage for order (1986) est considéré comme le premier véritable album de Queensrÿche, ou en tout cas celui qui a permis de révéler un groupe racé et élégant, dépassant subtilement le socle heavy metal traditionnel au travers d’une musique très mélodique avec quelques touches tout aussi progressives que futuristes (« I dream in infra red » en étant une excellente illustration), c’est réellement Operation: Mindcrime   (1988), qui confirma tout le potentiel du groupe de manière magistrale, lui ouvrit la voie des stades et lui accorda une reconnaissance globale (même s’il aura fallu attendre 1991 pour que l’album soit certifié platine aux États-Unis), avant qu’Empire (1990) ne le consacre définitivement aux yeux du grand public (certifié 3 fois platine aux Etats-Unis).

L’excellence est le premier mot qui vient à l’esprit pour qualifier la performance du combo sur Opération : Mindcrime.  Geoff Tate, l’un des chanteurs les plus doués de sa génération, y déploie toute l’étendue de son talent et sa polyvalence. Quatre octaves à disposition pour aller chercher les notes hautes et un grain de voix magnifique dans les graves lui permettant de laisser éclater cette sensibilité hors pair (il suffit d’écouter l’intro de « The Mission » pour s’en convaincre). La rythmique constituée par le bassiste Eddie Jackson et le batteur Scott Rockenfield fait preuve d’une remarquable unité tout au long de l’album, précise, complice et puissante comme l’illustre l’instrumental « Anarchy-X ». Enfin, la paire de guitaristes Chris De Garmo – Michael Wilton, œuvrant constamment en double-lead avec des tonalités complémentaires (le premier avec un son plus clair et plus agressif, le second avec un son plus chaud) impressionne de par la qualité des partitions fournies comme de par leur exécution. Les arrangements et orchestrations sont supervisés par Mikael Kamen  (Pink Floyd, Roger Waters, David Bowie, Kate Bush, Rush, Herbie Hancock etc…) et la production superbement assurée par Peter Collins (Rush notamment mais également Alice Cooper, Nick Kershaw, Gary Moore), tous deux contribuant à mettre en relief l’inspiration du groupe. A noter enfin la superbe prestation de Pamela Mooredans le rôle de Mary (sur les 10 minutes du titre « Suite Sister Mary », véritable opéra-rock) qui rejoindra par la suite le groupe sur scène. Pour la petite histoire c’est Lisa Dal Bello (chanteuse canadienne dont Queensrÿche avait adapté le single « Gonna Get Close to You » sur Rage for Order) qui avait été initialement pressentie mais le hasard des calendriers avait contrarié sa participation à l’album.

Mais au-delà des qualités musicales et techniques indéniables de l’œuvre, si Operation: Mindcrime demeure aujourd’hui encore, aux yeux des fans comme de la presse spécialisée, l’acmé de la discographie du groupe et une référence absolue, c’est aussi parce que Queensrÿche nous y offre un concept album ambitieux, remarquablement pensé, écrit et agencé, non seulement spectaculaire et passionnant de par son côté foncièrement cinématique (un euphémisme) mais également profondément engagé avec une réelle conscience sociétale et sociale. Et l’on est d’ailleurs frappé, plus de 30 ans plus tard, par la dramatique actualité des thèmes qui y sont développés sous la plume de Geoff Tate. Derrière l’histoire de Nikki, ce toxicomane, perdu et désabusé dans une société corrompue, se retrouvant impliqué dans une série de meurtres après avoir rejoint un mouvement révolutionnaire dirigé par le charismatique Dr X (joué par l’acteur anglais Anthony Valentine), mouvement qui n’hésite pas à assassiner des leaders politiques, on retrouve des sujets qui, bien souvent, sont intimement liés, comme la manipulation des masses, le rôle des médias, les dérives religieuses, les injustices sociales, les addictions diverses ou encore les errances et contradictions gouvernementales. Geoff Tate nous livre tout au long de l’album une vision réaliste et sans complaisance de cette société américaine de la fin des années 80, qui est à la source de cet engrenage funeste dans lequel se retrouvent inéluctablement pris les protagonistes de son histoire.

Geoff Tate, bercé par le rock progressif des 70’s et fasciné par ces groupes (Pink Floyd, Genesis ou Yes) qui combinaient la puissance des textes à celle de la musique pour nous inviter à de merveilleux voyages immobiles, explique qu’il avait déjà à cœur d’écrire un concept album dès les premiers jours de Queensrÿche.  L’idée originelle pour Operation: Mindcrime lui serait venue alors qu’il séjournait à Montréal au terme de la tournée Rage for Order et se serait retrouvé à côtoyer, malgré lui, dans un lieu de nuit, un cercle d’individus aux vues tout aussi politiques que criminelles. Et il raconte qu’un soir, au sortir de ce bar, ses pas l’auraient mené de manière improbable dans une église d’où émanait une fascinante musique et dont se dégageait une atmosphère particulière par cette nuit d’hiver au milieu d’une multitude de bougies « Je me suis assis sur l’un des bancs, m’imprégnant de toutes ces sensations. Et je jure que ce fut comme une révélation. Toute l’histoire que j’essayais de construire depuis des semaines a soudain pris forme dans ma tête. J’ai saisi mon carnet de notes et je n’ai pas arrêté d’écrire et ce, pendant toute une semaine ». Fiction ou réalité, peu importe car, avec Operation: Mindcrime, Queensrÿche, perpétuant une certaine tradition instituée par le rock progressif et contribuant ainsi à faire évoluer un genre,  nous a offert l’un des plus grands albums de l’histoire du heavy-metal (si ce n’est du rock tout court) mettant de facto la barre très haut pour toutes les générations à venir. Revolution calling you!

QUEENSRYCHE – OPERATION: MINDCRIME (DELUXE EDITION)

Titre : Operation: Mindcrime (deluxe edition)
Artiste : Queensrÿche

Date de sortie : 2021
Pays : États-Unis
Durée : –
Label : EMI