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Les Huit Salopards
3.8Note Finale

Le dernier film tourné en Ultra Panavision (70 mm c’est-à-dire un format 2:76) était Khartoum en 1966. Cinquante ans plus tard sort le film rêvé par un Quentin Tarantino cinéphile, cinéphage, toujours prompt à citer – sans sourciller – ses influences multiples jusqu’à recracher sa propre œuvre personnelle augmentée ici d’un nouveau western : Les Huit Salopards. Après Django Unchained (2012), c’est donc la seconde incursion du réalisateur dans l’univers ultra-codifié du colt, du sang… et de la neige. Western immaculé, froid, glacé et glaçant, théâtralisé à outrance, Les Huit Salopards aura connu une gestation compliquée. À peine achevé, le script fut publié sur la toile début 2014, ce qui énerva Tarantino au point qu’il abandonnera le projet… avant d’y replonger. Piqué au cinéma bis mais bénéficiant des moyens des grosses productions et des collaborateurs géniaux qui vont avec (l’immense Robert Richardson à la photo pour ne citer que lui), notre ami se lançait alors dans le bain (de sang) pour un film de près de trois heures.

Si l’idée d’utiliser un format aussi large pour un film essentiellement d’intérieur peut surprendre et la technique paraître futile, elle renforce dès les premières scènes l’isolation des personnages empêtrés au milieu d’un blizzard et donne, dans l’intimité de l’auberge, la possibilité de jouer sur les profondeurs de champ, le flouté de l’arrière-plan en action, ou la netteté paradoxale de l’ensemble du cadre rappelant l’une des marques de fabrique de cinéastes tels que Orson Welles. Nos héros semblent ainsi écrasés par leur environnement. Impossible pour eux de s’échapper. Leur destin est entre les mains de l’auteur qui, comme chacun sait, est un sadique ! Et malgré l’intrigue minimaliste et ultra classique de ces Huit Salopards, le scénariste ne fait une nouvelle fois pas dans la dentelle. Avec comme toile de fond un Wyoming frappé par une tempête hivernale, nous suivons le chasseur de primes John Ruth (Kurt Russell, plus bourru que jamais) convoyer la criminelle Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh en transe) en qui doit être pendue dans la ville de Red Rock. En chemin, leur diligence s’arrête pour prendre à son bord Marquis Warren, (Samuel L. Jackson en cabotineur d’exception) autre chasseur de primes, puis Chris Mannix (Walton Goggins formidable), futur shérif de la bourgade. En attendant que la tempête se calme, tous font halte dans l’auberge tenue par Minnie… étrangement absente. De nouveaux zigotos sont déjà présents : l’anglais Oswaldo Mobray (Tim Roth impeccable), l’officier sudiste Sanford Smithers (Bruce Dern malicieux) et le taiseux Joe Gage (Michael Madsen toujours malsain)… dès lors, un jeu de faux-semblants va se mettre en place, qui renversera l’ordre établi (les bons, les bruts, les méchants) dans un carnage habituel et attendu.

En réalité, Les Huit Salopards se veut un mélange (plus ou moins) savant entre Reservoir Dogs et The Thing de John Carpenter. Ce dernier était un western/SF paumé dans la glace, un huis clos barbare, lui aussi, avec, déjà, un Kurt Russell magistral et le vétéran Ennio Morricone à la baguette. Notons d’ailleurs cette première partition originale pour un film signé Tarantino qui avouait ne jamais vouloir faire appel à un compositeur, préférant écrire ses scripts au fil d’un panaché de morceaux prêts à être recyclés. Bref, au fil d’un script qui, contrairement à ses deux précédents films, ne veut jamais réécrire l’histoire (le mensonge est pourtant au cœur du récit), le film aborde ses thèmes politiques habituels : la violence faite aux femmes, la place des noirs dans l’histoire américaine. Et il transforme cette auberge espagnole en neuvième personnage. Central. Comme un symbole d’une Amérique schizophrène, bâtie sur la trahison et la défiance. Un lieu littéralement divisée entre le Nord et le Sud, peu à peu métamorphosée en tribunal où chacun se ferait tour à tour l’accusé, l’avocat, le juge, le condamné et le bourreau. Un modèle réduit de l’american way of life.

En jouant le slow-burn pas franchement poilant (quelques saillies drolatiques sortent du lot) sur des dialogues parfois répétitifs, abstraits, anachroniques et étonnamment ralentis, Tarantino nourrit ainsi son propre bestiaire avec ses lubies habituelles : découpage en chapitres (cinq comme autant d’actes tragiques), flash-back explicatif, scènes étirées au-delà du raisonnable, noms des personnages un poil étranges (sa marotte), lexique exotique (voire français), effets sanguinolents grotesques, sadisme convenu. Le réalisateur n’aime rien tant que jouer de ses codes en funambule mais ici, tout semble se nourrir de sa propre filmographie, citations visuelles explicites à l’appui. Mais à ce petit jeu, il dilate le temps et finit de pilonner un suspense qui joue sur une grille de lecture désormais trop bien connue. Désamorcée.

Certes, Les Huit Salopards peut se regarder comme une synthèse du cinéma de Tarantino et de ses obsessions. Une sorte de grand Huit (justement) passé sous le regard d’un Christ d’ouverture angoissant. Si le réalisateur ne traite jamais ce sujet religieux, il filme avec une liberté totale, un manque de trouille flagrant vis-à-vis des longueurs affichées, assumées, et dans un monde du western quasiment émasculé du cinéma, cela pouvait être la panacée. Las, la complaisance gâche les cartouches que le cinéaste avait en main pour cette promesse de film enfin adulte qui faisait l’essence de ses œuvres de chevet. Évidemment, sa prétention à le présenter au générique comme sa « huitième œuvre » ne fait que souffler sur les braises du passé. Et l’on se dit que, décidément, tel un cinéma homéopathique, l’art de notre ami, aussi malin soit-il, semble se diluer à force de ne jouer que les sales gosses depuis Kill Bill. Persuadé d’être le génie que la presse voit en lui, Quentin Tarantino se regarde filmer, s’amuse de ses dialogues, de ses situations bouffonnes, de ses boursouflures éclatantes, comme un enfant gâté auquel personne ne songerait dire quoi que ce soit. Le résultat est à la fois enthousiasmant, énervant, lassant, excitant, captivant, exaspérant, fascinant… mais on attend évidemment quelque chose de plus qu’une cour de récréation transformée en cour des miracles… fusse-t-elle rutilante.

LES HUIT SALOPARDS de QUENTIN TARANTINO

Les Huit Salopards - Quentin Tarentino (2016)

Titre : Les Huit Salopards
Titre original : The Hateful Eight

Réalisé par : Quentin Tarantino
Avec : Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh, Walton Goggins, Tim Roth…

Année de sortie : 2016
Durée : 167 / 187 minutes

Scénario : Quentin Tarantino
Montage : Fred Raskin
Image : Bob Richardson
Musique : Ennio Morricone
Décors : Yohei Taneda

Nationalité : États-Unis
Genre : Western
Format : Couleur – 2,76:1 – 70 mm

Synopsis : Quelques années après la Guerre de Sécession, le chasseur de primes John Ruth, dit Le Bourreau, fait route vers Red Rock, où il conduit sa prisonnière Daisy Domergue se faire pendre. Sur leur route, ils rencontrent le Major Marquis Warren, un ancien soldat lui aussi devenu chasseur de primes, et Chris Mannix, le nouveau shérif de Red Rock. Surpris par le blizzard, ils trouvent refuge dans une auberge au milieu des montagnes, où ils sont accueillis par quatre personnages énigmatiques : le confédéré, le mexicain, le cowboy et le court-sur-pattes. Alors que la tempête s’abat au-dessus du massif, l’auberge va abriter une série de tromperies et de trahisons. L’un de ces huit salopards n’est pas celui qu’il prétend être ; il y a fort à parier que tout le monde ne sortira pas vivant de l’auberge de Minnie…

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