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Metropolis
5.0Chef-d'œuvre

On a tant et tant causé, écrit, extrapolé, glausé, analysé, disséqué, décomposé, recomposé, pavoisé, déliré, regardé, recraché, regardé encore, copié et pour tout dire blablaté sur le monument Metropolis de Fritz Lang qu’il est aujourd’hui difficile de sortir quelque chose de neuf, ou de plus malin, sur le sujet. Évidemment, il sera toujours utile de revenir sur la genèse compliquée de la bête, ses coupes, multiples, qui ont donné lieu à l’exploitation de versions charcutées (le film passera de plus de trois heures aux 80 minutes de l’abominable version colorisée signée Giorgio Moroder en 1984) jusqu’à la dernière en date (2010), reconstituée à partir de bouts de péllicules retrouvés miraculeusement en Argentine en 2008 et qui permettent de découvrir, enfin, le film (quasiment) comme son auteur l’avait voulu.

Bref, le réalisateur allemand, maître (avec Murnau) d’un style expressioniste qu’il avait déjà peaufiné avec Docteur Mabuse (1922), livrait ici son film le plus ambitieux, à tout point de vue. Quelques chiffres au débotté : un budget de cinq millions de Reichsmark (un record), 620 kilomètres de pellicule, 310 jours et 60 nuits de tournage, 350 heures d’enregistrements (sensiblement pareil que le Apocalypse Now de Coppola, autre exemple de film démiurgique), plus de 36000 figurants et une science-fiction (malheureusement) visionnaire qui cotoie un délire visuel d’une richesse constante. Il faut préciser qu’avec ce film, la UFA (alors le plus gros studio cinématographique européen) pensait rivaliser avec Hollywood et ses films dantesques portés par D.W. Griffith et Cecil B. de Mille.

Même pas peur ! Le 10 janvier 1927, la première de Metropolis à l’Ufa-Palast am Zoo de Berlin propose une version de plus trois heures (!) pour un désastre total et une Bérézina commerciale qui ruinera derechef le studio. Les recettes s’élèveront ainsi à 75.000 Reichsmark seulement soit… 1,5% du budget total. Les commentaires furent pour la plupart lapidaires. H.G. Wells, auteur de La Guerre des Mondes et de La Machine à Remonter le Temps, détesta redicalement le film, n’y voyant qu’un « ramassis d’à peu près tous les clichés, sottises et platitudes possibles » et Luis Bunuel vilipenda le discours infantile mais salua l’esthétisme comme « le plus merveilleux livre d’images qui se puisse composer ». Une exécution en règle parachevé par Fritz Lang lui-même qui finira par dézinguer son œuvre. C’est dire que tout cela partait mal.

« Quand je le faisais, je l’aimais. Après, je l’ai détesté. » – Fritz Lang (1975)

Pourtant, Metropolis allait rapidement acquérir son statut inamovible (et indiscutable) de chef-d’œuvre dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il est aujourd’hui régulièrement cité dans le top 10 des referendums du septième art. En puisant son inspiration dans un futurisme sans concession (ou presque) influencé par la ville futuriste d’Antonio Sant’Elia et le film de science-fiction russe Aelita (1924, Yakov Protazanov), tiré d’un roman de Tolstoï, Fritz Lang réalisait un film qui allait à son tour nourrir la production future, de Star Wars (1977) avec le robot Maschinenmensch, à Blade Runner (1982), de Matrix (1997) en passant par Dark City (1997) et son immense horloge, la plupart des univers futuristes doivent, de près ou de loin, quelque chose à Metropolis.

Pourtant, loin d’être un simple chromo, le film déploie un storytelling assez simpliste et tourmenté, mélange de visions urbaines, de religions, de politique, de lutte des classes, de science et d’exploitation entre travailleurs et nantis. Une sorte de gloubiboulga narratif explosant les codes feuilletonesques tels que le réalisateur les maitrisait si bien, pour s’enfoncer dans un empilement d’allégories visuelles hallucinées. Il faut bien noter que le script était (en grande partie) le fait de Thea von Harbou, l’épouse de Fritz Lang, ce qui obligea ce dernier à composer avec cette dernière pour réussir à élever la démonstration au-delà d’une idéologie fascisante. Une nazisme larvé auquel allait rapidement souscrire cette dernière.

« Les immeubles semblaient être comme un voile vertical, scintillant et très léger, comme un décor luxueux, suspendu dans un ciel sombre pour éblouir, distraire et hypnotiser » – Friz Lang

En penchant pour le pur fantasme esthétique, Fritz Lang désamorce un discours nauséeux et moralisateur. Il joue l’équilibriste avec un vrai sens du suspense, de l’architecture et sur l’articulation d’un récit touffu. Interprété par des acteurs quasiment inconnus (Brigitte Helm n’a que 19 ans à peine), Metropolis s’avère également un tournage éprouvant, presqu’inhumain. Ainsi, cinq cent enfants recrutés dans les quartiers pauvres de Berlin travailleront dans une piscine à basse température et sous de puissants jets d’eau pendant près de deux semaines pour la scène de la ville des travailleurs innondés. Certaines séquences seront retournées à loisir, parfois pendant des jours, jusqu’à épuisement des comédiens. Un tournage épique durant lequel Fritz Lang perdit lui-même un œil…

Attention spoiler

Poussant plus loin le réalisme, Fritz Lang exigera même d’allumer réellement le bucher dans la scène où Maria doit bruler vive. La robe de Brigitte Helm prendra feu, sans conséquence pour la comédienne mais c’est ce qui s’appelle du perfectionsisme !

Au-delà de son simple statut de film quasi-mystique, Metropolis proposera également de nombreuses innovations techniques. La faute à Eugen Schüfftan, véritable génie des effets spéciaux qui créera notamment une extraordinaire version miniature de la ville sans oublier la mise en place de ce qui porte encore son nom : l’effet Schüfftan. Ce dernier consiste en un jeu de mirroirs inclinés, de mélanger dans une même prise de vue, des décors de taille réelle et des maquettes, donnant ainsi l’illusion d’un décor continu. Alfred Hitchcock qui était présent sur le tournage réutilisera deux ans plus tard cette technique sur son film Chantage (1929)…

Fritz Lang ne laissant rien au hasard (tiens-donc), même la musique fut travaillée au millimètre. Le compositeur Gottfried Huppertz qui voyait grand (lui aussi) composera une partition pour orchestre symphonique inspirée de Richard Wagner et Richard Strauss, rien que ça ! Metropolis serait un film exceptionnel à tous points de vue et d’ouïe. Ou pas.

Finalement, en faisant reposer le propos sur un vernis aussi vertigineux, Fritz Lang levait l’ambiguité du script. La condition sociale ne sert plus à rien. L’asservissement est inéluctable. La manipulation des masses est là. L’explosion de violence, inévitable. Le sacrifice, obligatoire. La vision, effrayante, du cinéaste n’a rien de complaisante. Elle est clinique, malgré une censure qui l’obligera à un happy-end glucose imposé. Mais cette masse destructrice, dans son incohérente logique, ce phénomène hystérique des foules si chère à Gustave Le Bon, n’avait pas fini de le hanter. Il poursuivra résiduellement sa filmographie avec, notamment, Furie (1936) autre chef-d’œuvre certifié sur le lynchage communautaire qui intronisera le Meister à Hollywood. Mais ceci est une autre histoire…

METROPOLIS de FRITZ LANG

Metropolis - Fritz Lang (1927)

Titre : Metropolis
Titre original : Metropolis

Réalisé par : Fritz Lang
Avec :  Alfred Abel, Brigitte Helm, Gustav Fröhlich, Rudolf Klein-Rogge…

Année de sortie : 1927
Durée : 145 minutes (version 2010)

Scénario : Fritz Lang et Thea von Harbou, adapté du roman Metropolis de Thea von Harbou
Image : Karl Freund et Günther Rittau
Musique :  Gottfried Huppertz
Décors : Willy Muller

Nationalité : Allemagne
Genre : Science-Fiction
Format : Noir et blanc – muet – 1,33:1 – 35mm

Synopsis : Des ouvriers travaillent dans les souterrains d’une fabuleuse métropole de l’an 2026. Ils assurent le bonheur des nantis qui vivent dans les jardins suspendus de la ville. Un androïde mène les ouvriers vers la révolte…

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