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L'Homme Irrationnel
4.0TOP 2015

Les profs de philo universitaires, Woody Allen en connaît assez pour avoir déjà abordé la chose avec Une Autre Femme (1989) dans lequel Gena Rowlands jouait magnifiquement une âme perdue entre errements sentimentaux et doutes existentiels. Triste et classe. Ce même doute existentiel, Joaquin Phoenix le trimballe de toute sa déglingue dans le gentil campus d’une toute aussi gentille province, lorsque son personnage, Abe Lucas, éminent philosophe torturé, traumatisé et plutôt contesté, débarque sans une once de résilience à vendre. Flasque à main et « la bite molle », sa capacité à vendre du doute ne souffre d’aucune contestation. Son discours à la limite d’un nihilisme romantico-dépravé, ressasse sa propre déchéance d’intellectuel dépressif qui traine misérablement sa lourde carcasse, laissant la chance jouer de ses probabilités lors d’une séance de roulette russe improvisée. La vie, comme un jeu morbide.

Dans Maris et Femmes (1992), un des personnages déclarait « la vie n’imite pas l’art, elle imite la mauvaise télévision ». En s’enfonçant dans un triangle à pirouettes entre une brillante étudiante (Emma Stone, charmante et agaçante) et une quadra paumée (Parker Posey de retour), le misanthrope à la dérive refuse de regarder les choses autrement que par un prisme déformé… comme cette image symbolique d’un palais des glaces à propos. Au petit jeu de l’intériorité, Woody Allen excelle une fois encore à métamorphoser ses personnages en leur donnant assez d’épaisseur pour capitaliser sur la sympathie. En se laissant guider par le hasard et les coïncidences, le professeur alcoolique finit pourtant par trouver un sens à sa vie. Poussé par sa jeune étudiante, qui ne se rend jamais compte de son influence, la vie devient un jeu aux règles inconnues. Elle le pousse à rétablir un peu de justice quand lui s’imagine qu’un meurtre pourrait être curatif. Un mal pour un bien. Un raisonnement par l’absurde, d’un cynisme sec qui lui permet de retrouver goût à la vie, aux ardeurs, aux pulsions essentielles… au bonheur, quoi. Mais l’insoutenable légèreté de l’être ne tardera pas à prendre du plomb dans l’aile et gripper les rouages de la chance.

Woody Allen est toujours à l’aise lorsqu’il s’évertue à tordre le cou aux idées bien pensantes et détourner un film de son sujet d’origine. En faisant passer Un Homme Irrationnel d’une comédie romantique à une tragédie sur la banalité du mal, il retrouve la sève savoureuse de deux sommets de sa filmographie : Crimes et Délits (1990) et Match Point (2005). Cette idée que le mal déguisé puisse séduire, qu’un individu ponctuant tout son processus créatif sur la morale (il écrit un livre sur Heidegger et le nazisme) détourne ses propres valeurs, son jugement vers un idéal à ce point déformé prouve qu’à soixante-dix-neuf ans, le cinéaste s’amuse toujours autant des paradoxes et reste fasciné par cette étrange machine qu’est l’être humain.

Superbement éclairé par le chef opérateur Darius Khondji, la mise en scène (en abîme) d’Un Homme Irrationnel conserve une remarquable décontraction. Comme souvent, le réalisateur ne tente rien d’extravagant et laisse ses influences film noir classiques imprégner une double voix-off espiègle, hommage au Billy Wilder du Boulevard du Crépuscule (1950), et un final qui évoquera Alfred Hitchcock (Sueurs-Froides, 1958). Poussé dans l’enchaînement inéluctable de situations tragiques et dérisoires, attentif aux moindres détails, le film aurait peut-être mérité d’aller au-delà de son ironie badine et chaotique. A trop jouer la frivolité, Woody Allen perd un peu de son charbon et n’ose pas aller chatouiller le cynisme et la noirceur du couperet de ses grands chefs-d’œuvre.

L’HOMME IRRATIONNEL de WOODY ALLEN

L'Homme Irrationnel - Woody Allen (2015)

Titre : L’Homme Irrationnel
Titre original : Irrational Man

Réalisé par : Woody Allen
Avec : Emma Stone, Joaquin Phoenix, Parker Posey, Jamie Blackley…

Année de sortie : 2015
Durée : 95 minutes

Scénario : Woody Allen
Montage : Alisa Lepselter
Image : Darius Khondji

Nationalité : États-Unis
Genre : Drame
Format : Couleur

Synopsis : Professeur de philosophie, Abe Lucas est un homme dévasté sur le plan affectif, qui a perdu toute joie de vivre. Il a le sentiment que quoi qu’il ait entrepris – militantisme politique ou enseignement – n’a servi à rien.Peu de temps après son arrivée dans l’université d’une petite ville, Abe entame deux liaisons. D’abord, avec Rita Richards, collègue en manque de compagnie qui compte sur lui pour lui faire oublier son mariage désastreux. Ensuite, avec Jill Pollard, sa meilleure étudiante, qui devient aussi sa meilleure amie. Si Jill est amoureuse de son petit copain Roy, elle trouve irrésistibles le tempérament torturé et fantasque d’Abe, comme son passé exotique. Et tandis que les troubles psychologiques de ce dernier s’intensifient, Jill est de plus en plus fascinée par lui. Mais quand elle commence à lui témoigner ses sentiments, il la rejette. C’est alors que le hasard le plus total bouscule le destin de nos personnages dès lors qu’Abe et Jill surprennent la conversation d’un étranger et s’y intéressent tout particulièrement. Après avoir pris une décision cruciale, Abe est de nouveau à même de jouir pleinement de la vie. Mais ce choix déclenche une série d’événements qui le marqueront, lui, Jill et Rita à tout jamais.…

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