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Un Frisson dans la Nuit
3.8Note Finale

Le premier film réalisé par Clint Eastwood permet de (re)découvrir les prémices d’une œuvre en gestation, complexe, ambiguë et foisonnante. Mais pas uniquement puisque UN FRISSON DANS LA NUIT reste aussi l’un des prototypes du thriller psychotique qui allait exploser sur les écrans dans la deuxième moitié des années 80…

1970,  frôle les 40 piges mais son statut de phénomène sur grand écran est récent. Cinq ans à peine. En capitalisant sur la trilogie de Sergio Leone, l’acteur n’a pas encore enchaîné les gros succès hormis Pendez-les Haut et Court (Ted Post, 1968) pour lequel il a créé sa propre société de production, Malpaso (toujours active), histoire de mieux contrôler ses choix. A peine sorti du tournage mouvementé de Kelly’s Heroes (Brian G. Hutton) et alors que sa carrière paraît stagner,  souhaite changer la donne. Montrer d’autres facettes de son talent et surtout passer derrière la caméra. Pour assouvir ses velléités de réalisateur, son choix se porte sur le script d’un inconnu, Jo Heim, intitulé UN FRISSON DANS LA NUIT et acquis par son associé Irving L. Leonard.

Malheureusement, ce dernier décède quelque temps plus tard laissant Eastwood désemparé. Le tournage planifié des Proies (Don Siegel) prend alors des allures funestes. Il interprète un caporal nordiste blessé pendant la guerre de sécession, recueillis dans un pensionnat de jeunes filles avant d’être torturé par ses « hôtes ». Après les dernières prises de vue, c’est son propre père qui s’effondre. Crise cardiaque.  est dévasté mais ne change pas ses plans. Il redouble de travail et enchaîne tête baissée l’aventure de son premier long métrage puis L’Inspecteur Harry qu’il envisage plutôt comme une récréation divertissante. Pendant ce temps, Les Proies sort sur les écrans mais le changement de registre est brutal pour le public. Pari risqué, le film gagnera peu à peu ses galons de « classique » – jusqu’à se voir revisiter par Sofia Coppola en 2017 – mais ses résultats au box-office ne décollent pas. Le statut de  se fragilise un peu plus…

Symboliquement, UN  FRISSON DANS LA NUIT émergera donc entre l’échec public des Proies et le triomphe de L’Inspecteur Harry, tous deux réalisés par Don Siegel que l’on retrouve ici au casting dans le petit rôle d’un barman « ravi d’être à son service« . Novice en la matière, il refera sa scène une bonne dizaine de fois avant que Eastwood ne demande au chef opérateur de charger la caméra. Humour.

Un Frisson Dans la Nuit

Coup de poker menteur UN FRISSON DANS LA NUIT ne choisit pas la facilité. L’acteur voit plus loin que le bout de son image et incarne Dave Garver, Disc Jokey d’une radio de Carmel-by-the-Sea en Californie qui se retrouve embringué dans une histoire sentimentale avec Evelyn, une admiratrice un poil possessive voire carrément névropathe, qui se transforme peu à peu en mante religieuse insaisissable.

Après Les Proies, le film questionne une nouvelle fois les obsessions sexuelles ambiguës d’une société en plein bouleversement. Comme un écho, la Femme est une nouvelle fois mortifère mais rien n’effleure jamais l’onirisme qui enveloppe le film de Siegel. Réaliste, le futur cinéma d’Eastwoodest déjà là, libéré de toutes contraintes. Dans l’air du temps. Celui qui avait envisagé une carrière de pianiste avant de fouler les plateaux de tournage, mâtine son histoire de Jazz et joue les modestes : il s’assoit sur une partie de son salaire, obtient un budget restreint (750.000 dollars), termine le tournage avec plusieurs jours d’avance et réalise des économies substantielles. Mieux, en prenant comme ressort dramatique nombre d’éléments autobiographiques (dont une histoire de harcèlement qu’il vécut lui-même plus jeune) et une action située non loin de sa propriété de Carmel plutôt qu’à Los Angeles,  réalisateur avance en terrain connu et s’amuse à filmer son environnement quotidien. En gros, il se fait plaisir à gros coups d’insouciance calculée et d’hédonisme créatif. Une façon d’échapper aux tragédies récentes.

« Après dix-sept ans à me taper la tête contre les murs, à me promener sur les plateaux, parfois même influencer certaines positions de caméras avec mes propres idées, regarder les acteurs traverser des choses terribles sans aucune aide et travailler avec de bons réalisateurs et des mauvais, j’en suis arrivé au point où je me sens prêt à faire mes propres films. J’ai mis de côté toutes les erreurs que j’ai faites et enregistré toutes les bonnes choses que j’ai appris. Maintenant j’en sais assez pour contrôler mes propres projets et obtenir ce que je veux des acteurs. » – Clint Eastwood (1969)

Mais il ne faut pas s’y tromper. Si  acteur est en haut de l’affiche d’UN FRISSON DANS LA NUIT c’est bien le personnage d’Evelyn qui tient la barre. Portait en creux d’une femme fissurée et en pleine déréliction, le film est porté par une impressionnante Jessica Walter découverte quelques années plus tôt dans Lilith (Robert Rossen, 1962) et Grand Prix (John Frankenheimer, 1963). Eastwood jouait sur du velours. Avec un art consommé pour l’ambivalence, elle transforme en un clin d’œil son personnage de victime en prédatrice désaxée, étouffante, et délivre une performance aussi inquiétante que fascinante qui lui vaudra d’être nominée aux Golden Globes. Ce basculement psychologique tranche avec une mise en scène jusque là très relax, presque contemplative, qui s’autorise même une échappée belle quasi documentaire au Festival de Monterey avec les prestations de Johnny Otis (« Willie and the Handjive »), du saxophoniste Cannonball Adderley et du pianiste Joe Zawinul. Quitte à distendre le fil narratif. Le cool se diffuse lentement, frôle parfois la carte postale sirupeuse pendant les scènes avec Tobie (Donna Mills) avant de reprendre le chemin tordu et tortueux du thriller.

Baigné de soleil et de musique, le titre original « Play Misty for Me » (nettement plus poétique que son improbable traduction française extrapolée) est tiré d’une chanson ouatée de Erroll Garner que le personnage d’Evelyn se plait à demander obsessionnellement au disc-jokey. Pourtant, en donnant à son film un réalisme cru, presque clinique,  convoque une angoisse échevelée qui saisit. Un tantinet masochiste, son personnage subit littéralement l’histoire, devient l’objet de la paranoïa d’Evelyn, incapable de se sortir de la toile d’araignée qu’il aura lui-même tendu sans le vouloir. On ne retrouvera quasiment jamais la trace d’un tel rôle de victime impuissante hormis, dans une autre mesure, avec L’Épreuve de Force (1978). Surtout, UN FRISSON DANS LA NUIT lui permet de développer un premier portrait de femme qui en préfigurera bien d’autres tout aussi passionnants (BreezySur la Route de MadisonMillion Dollar BabyL’Échange) et appuie également sur l’une des principales thématiques de son œuvre à venir : la solitude sous toutes ses formes. Cette solitude qui pousse ici à la folie dévastatrice dans un crescendo maîtrisé de violence.

En faisant d’Evelyn une pure extension de la solitude plantée dans le déséquilibre, le film préfigure quelques archétypes d’un genre qui sera largement photocopié par la suite – de Liaison Fatale(Adrian Lyne, 1987) à JF Cherche Appartement (Barbet Schroeder, 1992) en passant par Misery(Rob Reiner, 1991). Une sorte de Psychose inversé ombré de l’inévitable maître Alfred Hitchcock.

Un Frisson Dans la Nuit

Sans que personne ne s’y attende, ce qui pouvait passer pour un nouveau caprice de star (combien d’acteurs ont tenté l’aventure de la réalisation ?) se transformera en véritable profession de foi. La modestie en bandoulière c’est avec une vraie économie de moyens que le film avance.  n’est pas un cinéaste de la métaphore. Sur une grande partie du film, son style lui ressemble : direct, nonchalant, sans chichis. Efficace. On retrouve les plans aériens (la scène d’ouverture) et une propension pour les décors naturels. Épousant un arc narratif qui se tend soudainement, c’est quand Evelyn perd ses repères que la caméra bascule, portée, instable, plus sombre. La lumière disparaît alors au profit de la nuit. Noir d’encre.

Certes, le cinéma a connu des premiers films plus ambitieux et réussis. Mais avec UN FRISSON DANS LA NUIT,  posait avant tout les bases d’un style à la fois classique et très personnel. D’une méthode également. Plutôt bien reçu par la critique, il rencontrera un succès public plus modeste (5 millions de dollars de recettes) mais suffisant pour continuer l’aventure. Et pour le coup, son second film, L’Homme des Hautes Plaines (1973), allait lui permettre de radicaliser son propos et affiner son style en payant sa « dette » à Sergio Leone. Pour solde de tout compte. Mais ceci est une autre histoire.

Un Frisson dans la Nuit (Play Misty for Me, 1971) de Clint Eastwood

Titre : Un Frisson dans la Nuit
Titre original : Play Misty for Me

Réalisé par : Clint Eastwood
Avec : Clint Eastwood, Jessica Walter, Donna Mills…

Année de sortie : 1971/2017
Durée : 102 minutes

Scénario : Jo Heims et Dean Riesner
Directeur de la photographie : Bruce Surtees
Musique : Dee Barton et Ewan MacColl

Nationalité : États-Unis
Genre : Thriller
Format : Couleurs – 1,85:1 – Mono – 35 mm

Synopsis : Un programmateur de disques de radio passe tous les jours, à la demande d’une auditrice, la chanson “Misty”. Un soir dans un bar, il rencontre une jeune femme, Evelyn. Elle lui avoue être l’auditrice. Une liaison plus qu’orageuse s’annonce…

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