bannière www.bdelanls.fr - Création et refonte de site internet
Nocturnal Animals
3.8Note Finale

Tom Ford est un artiste étonnant. Longtemps qualifié de superficiel pour ses origines ouatées venues de la « Mode » et du paraître, il faut désormais lui reconnaître un véritable trait de réalisateur. Ce qui pouvait passer pour une thérapie par manque de reconnaissance ou d’admiration (cochez la case utile), trouve ici du grain à moudre sur le strict plan cinématographique. Après un premier essai prometteur mais glacé (A Single Man, 2009) qui le faisait sans surprise évoluer dans un univers ultra-stylisé, le revoici avec une approche plus tarabiscotée, alternant la froideur du monde réel, surfait, contemporain d’une certaine bourgeoisie en décrépitude et la chaleur écrasante d’un fantasme littéraire à la fois violent et nihiliste.

Nocturnal Animals se partage ainsi entre le passé et le présent de Susan Morrow (Amy Adams), galeriste d’art à Los Angeles, que la quarantaine pousse à l’introspection sur sa carrière d’artiste (ratée) et sa vie de couple (frustrée). Lorsqu’elle reçoit le manuscrit de son ex-mari, Edward Sheffield (Jake Gyllenhaal, impressionnant), elle plonge dans l’histoire sordide de Tony Hastings (Jake Gyllenhaal version fantasmée cette fois) et de sa petite famille, confrontée à la bande de Ray Marcus (Aaron Taylor-Johnson) avant l’entrée en scène du flic taciturne et énigmatique Bobby Andes (Michael Shannon). Les éléments autobiographiques abondent. Les images récursives également. Le roman entraîne Susan dans les arcanes de son propre passé fait de manques et de doutes et de son présent, vide de sens, malgré l’abondance. En cela, le livre et les mots deviennent lentement un révélateur du négatif, d’une certaine idée du néant. Et un outil de vengeance terrifiant.

L’art peut-il tuer ?

En jouant sur deux niveaux de réalité, Tom Ford s’amuse des poncifs et des étiquettes. De l’intelligentsia californienne à la rugosité virile du Texas, de la claustrophobie des villas design aux grands espaces désertiques, deux univers fantasmatiques se confrontent et se complètent. Comme ces « animaux nocturnes », oiseaux de nuit arty-ficiels pour les uns (voir Gatsby), dégénérés ultra-violents (Les Chiens de Paille, Delivrance) pour les autres. L’univers totalement clean (pas une tache ne doit salir cet environnement) face à un monde de sueur, de poussière et de sang. Ce même sang qui contamine le réel lorsque l’héroïne se coupe maladroitement le doigt en ouvrant l’enveloppe contenant le « terrifiant » manuscrit. Insidieux. Le vertige provient de cette opposition, portée par une réalisation rutilante qui érotise, même désabusé, chaque scène en soulignant par ailleurs la vacuité d’un univers sans âme. Nihiliste. Le cinéaste égraine ses artefacts et enchaîne les archétypes : la demeure d’architecte moderne, une œuvre de Koons pour faire impression, une soirée mondaine, la riche bourgeoise dépressive perdue dans sa métamorphose vers la figure maternelle redoutée… ce déluge de clichés n’empêche pourtant pas le récit de jouer sur les sentiments (le plan final, sublime), comme de la tension (la scène de l’autoroute). Cette adaptation par Tom Ford lui-même d’un roman d’Austin Wright approfondit ses lubies de réalisateur. Transpire sa fascination du narcissisme, des corps, des visages, des lignes géométriques, des décors, des couleurs… sa passion des acteurs et des actrices (la direction des comédiens est impeccable) aux chevelures rousses. Après Juliane Moore dans A Single Man, c’est Amy Adams qui se prête au jeu dans une interprétation intense qui irrigue un film dominé par ailleurs par la masculinité et ses diverses incarnations.

Si le fil narratif se fait assez prévisible, grossier et potentiellement agaçant, il faut lui reconnaître une étrangeté générique qui équilibre les choses. Sans parvenir au point de fascination qu’un David Lynch aurait pu tirer de cette histoire, Tom Ford propose quelques plans saisissants – les deux cadavres sur la banquettes rouge – d’une brutalité étouffée et étouffante, qui n’asphyxie jamais le propos. Porté par son casting cinq étoiles, Nocturnal Animals se fait sexy, macabre, contagieux mais jamais viscéralement fatal. C’est aussi sa limite. Malgré tout, son panache permanent reste la preuve que Tom Ford est sans conteste devenu un véritable auteur.

NOCTURNAL ANIMALS de TOM FORD

Nocturnal Animals (2016)

Titre : Nocturnal Animals
Titre original : Nocturnal Animals

Réalisé par : Tom Ford
Avec : Amy Adams, Jake Gyllenhaal, Michael Shannon, Aaron Taylor-Johnson…

Année de sortie : 2016
Durée : 127 minutes

Scénario : Tom Ford
Montage : Joan Sobel
Image : Seamus McGarvey
Musique : Abel Korzeniowski
Décors : Christopher Brown

Nationalité : États-Unis
Genre : Comédie musicale
Format : couleur — 35 mm — 2,35:1 — son Dolby Digital

Synopsis : Susan Morrow, une galeriste d’art de Los Angeles, s’ennuie dans l’opulence de son existence, délaissée par son riche mari Hutton. Alors que ce dernier s’absente, encore une fois, en voyage d’affaires, Susan reçoit un colis inattendu : un manuscrit signé de son ex-mari Edward Sheffield dont elle est sans nouvelles depuis des années. Une note l’accompagne, enjoignant la jeune femme à le lire puis à le contacter lors de son passage en ville. Seule dans sa maison vide, elle entame la lecture de l’oeuvre qui lui est dédicacée. Dans ce récit aussi violent que bouleversant, Edwards se met en scène dans le rôle de Tony Hastings, un père de famille aux prises avec un gang de voleurs de voiture ultraviolents, mené par l’imprévisible Ray Marcus. Après lui avoir fait quitter la route, le gang l’abandonne impuissant sur le bas-côté, prenant sa famille en otage. Ce n’est qu’à l’aube qu’il parvient au commissariat le plus proche, où il est pris en charge par le taciturne officier Bobby Andes . Un lien fort va se créer entre les deux hommes, et lier leurs destins dans la poursuite des suspects, coupables d’avoir donné vie au pire des cauchemars de Tony. Susan, émue par la plume de son ex-mari, ne peut s’empêcher de se remémorer les moments les plus intimes qu’ils ont partagés. Elle trouve une analogie entre le récit de fiction de son ex-mari et ses propres choix cachés derrière le vernis glacé de son existence. Au fur et à mesure de la progression du roman, la jeune femme y décèle une forme de vengeance, qui la pousse à réévaluer les décisions qui l’ont amenée à sa situation présente, et réveille une flamme qu’elle croyait perdue à jamais…

Votre avis

Laisser un commentaire