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Enemy
4.3TOP 2013

Dans la série des films “mindfuck“, c’est à dire qui vous emmènent plus ou moins habilement là ou vous ne vous y attendez pas, au gré de l’esprit tordu de son auteur, voici Enemy, le sixième opus du canadien Denis Villeneuve. Ce dernier s’était fait remarquer avec Incendies (2010) puis l’oppressant Prisoners (2013) qui s’offrait la possibilité de s’épanouir avec le vertige. Dans la même respiration, ce nouveau film porté par le caméléon Jake Gyllenhaal, doit sa nature tarabiscotée à quelques influences manifestes : le Roman Polanski du Locataire (évidemment) et de Rosemary’s Baby, le David Lynch de Mulholland Drive et de Lost Highway (pour sa construction enrubannée), un soupçon d’Edgar Poe (William Wilson), de Andrej Zulawski (Possession) et de Kafka pour faire bonne mesure. Préambule obligatoire, ceux et celles qui souhaitent découvrir le film par eux-mêmes devront passer leur chemin tant il est impossible d’évoquer quoi que ce soit sans mettre les deux pieds au milieu du champ des révélations (ou spoiler lourdement pour être à la mode). C’est pourtant sur un mode ludique que le réalisateur nous propose l’histoire de Adam Bell, professeur d’histoire introverti, vivant dans un appartement sans âme auprès d’une fiancée erratique et qui se découvre, à la faveur du visionnage fatigué d’une série B,  un double opposé, Anthony, acteur charismatique, propre sur lui, mari supposé volage et bientôt père de famille. Sans le savoir, nous avions commencé le récit avec lui, lors d’une fête un peu particulière, dans un club de rencontres chic et choc, où une jeune femme nue écrasait une araignée avec son talon aiguille. Nous y reviendrons.

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” Le chaos est un ordre non déchiffré”

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Dans l’ambiance jaunâtre un poil dépressive d’un Toronto claustrophobe (malgré les extérieurs) va évoluer cet anti-héros anodin en proie à diverses névroses carabinées. Dans ces épanchements, Denis Villeneuve joue la montre. Sa mise en scène (en abîme, plutôt) se pétrie de lenteur, de plans torturés plus ou moins signifiants (inscriptions fascistes sur les murs, un pare-brise étoilé, du glauque architectural), de dialogues cryptés qui sont autant de clés à la compréhension de l’ensemble. La citation initiale du film, “le chaos est un ordre non déchiffré“, en dit long sur ce qui va suivre. Et lorsque le professeur Bell explique à ses élèves que selon Hegel, tout événement historique se produit deux fois, il ajoute que Marx analyse la première fois comme une tragédie et la seconde comme une farce. Dès lors, le film va se jouer sur deux tableaux. Comme ses personnages. Deux facettes d’une même pièce, un miroir aux alouettes bourré d’indices qui faut donc déchiffrer. Enemy est en cela un film absolument virtuose. Si l’interprétation ne peut se résoudre à franchement pencher vers l’abstrait ou le multiple, il reste que le scénario joue habilement du postulat de départ même s’il s’accorde quelques facilités que le fameux esprit “mindfuck” suppose lui permettre. Mais la double composition labyrinthique de Jake Gyllenhaal offre au film des aspects trompe l’œil, déstabilise, pour mieux enrichir une intrigue qui se contente de peu mais où se balade l’ombre des maîtres précités. Bizarre, lent, hypnotique, le spectateur pourra ajouter à sa panoplie de qualificatif morbide, froid et austère. Fascinant. Il est vrai que tout est à ce point pensé, chaque élément mathématiquement calculé, qu’il ne laisse de place qu’au vide existentiel, au malaise du jeu de pistes, sans gras ni longueurs.

Pour autant, si Enemy parle du subconscient de son personnage principal, faisant d’Anthony une sorte de projection mentale de sa personnalité idéalisée (Adam est un acteur raté reconverti en professeur), le thème traité reste banal : la crainte de ne pas contrôler sa vie (comme dans une dictature, le thème du cours qu’il dispense), la peur des femmes (la maîtresse, la femme, la prostituée, la mère), l’angoisse d’une paternité qui l’enfermerait plus encore dans une condition qu’il refuse, alors que sa nature le pousse ailleurs, à tromper l’autre, à se tromper lui-même dans une ultime schizophrénie. Tout cela abouti à cette image récursive de l’araignée, associée aux personnages féminins à divers moments clés, dont ce plan final qui fera beaucoup causer dans les salons. Une araignée qui tisse sa toile pour mieux piéger Adam. Une araignée qui, chez les grecs notamment, symbolise la déchéance de l’être qui voulut égaler les dieux. Après la tragédie d’une vie passée à tout recommencer, à rechuter dans ses travers, tel un Sisyphe pathétique, Adam termine son chemin en comprenant que dorénavant il devra vivre son côté farce…

ENEMY de DENIS VILLENEUVE

Enemy - Denis Villeneuve (2013)

Titre : Enemy
Titre original : Enemy

Réalisé par : Denis Villeneuve
Avec : Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Isabella Rossellini, Sarah Gadon…

Année de sortie : 2013
Durée : 90 minutes

Scénario : Javier Gullón, d’après “L’Autre comme moi” de José Saramago
Montage : Matthew Hannam
Image : Nicolas Bolduc
Musique : Danny Bensi et Saunder Jurriaans
Décors : Sean Breaugh

Nationalité : Canada / Espagne
Genre : Drame fantastique
Format : couleur – 35 mm – 2,35:1 – son Dolby numérique

Synopsis : Adam, un professeur discret, mène une vie paisible avec sa fiancée Mary. Un jour qu’il découvre son sosie parfait en la personne d’Anthony, un acteur fantasque, il ressent un trouble profond. Il commence alors à observer à distance la vie de cet homme et de sa mystérieuse femme enceinte. Puis Adam se met à imaginer les plus stupéfiants scénarios… pour lui et pour son propre couple…

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