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Bride of Frankenstein
5.0Chef-d'œuvre

Lorsque Frankenstein sort sur les écrans en 1931, le fameux Monstre incarné par Boris Karloff devient immédiatement l’archétype du genre fantastico-gothique, une figure maudite et tellurique, complémentaire du Dracula signé Tod Browning, un fruit gâté issu des expérimentations contre nature d’un savant illuminé à la lueur divine. Mais avant de commencer, il est nécessaire de dépoussiérer une nouvelle fois l’habituelle méprise de croire que Frankenstein désignerait le monstre et non l’introverti savant. Ceci dit, l’adaptation du roman de Mary Shelley (1818), valait son pesant de frissons et le succès du film poussera logiquement Universal Pictures à envisager tout de go sa suite, d’autant que la disparition du Monstre dans l’incendie final pouvait laisser imaginer bien des possibilités.

« It’s a perfect night for mystery and horror. The air itself is filled with monsters. »

Ici, le point de départ propose de partir sur un arc narratif déjà esquissé par Mary Shelley, qui envisage un Henry Frankenstein abandonnant ses plans pour créer la vie pour se concentrer sur quelque chose de plus terre à terre : construire une fiancée sur mesure. Dit comme ça, les choses peuvent paraître un peu simplettes, voire saugrenues. Mais c’était sans compter sur le réalisateur James Whale qui, après avoir refusé l’idée d’une suite au motif qu’il avait épuisé le filon sur le premier film, acceptera de revenir sur le sujet avec la même équipe et les mêmes comédiens. Précisons que notre ami est alors au sommet de sa carrière. Il vient de réaliser une impressionnante adaptation de « L’homme invisible » de H.G. Wells (1931) et sa vision – très personnelle – d’un nouveau Frankenstein ne manque pas de sel. Les cartes en mains, il négocie sans chichis Bride of Frankenstein (La Fiancée de Frankenstein) en échange d’un autre projet qui lui tient à cœur, le très beau One More River (1934), injustement oublié depuis.

Mais revenons à nos coutures et cicatrices. Pour cette suite, James Whale souhaite que le monstre réagisse comme un enfant d’une dizaine d’années afin de lui donner une humanité touchante. Surtout, il souhaite qu’il puisse s’exprimer verbalement. Rien de complexe mais cela constitue évidemment un coup de canif dans l’idée que l’on se fait du personnage, brute épaisse et sans âme. Autant dire que Boris Karloff n’est pas franchement emballé à cette idée. Mais James Whale est sûr de lui. Mieux, il fera appel à un psychiatre afin de déterminer une liste de 44 mots simples pouvant être prononcés par le Monstre humanisé ! Karloff ajoutera cette lumière à la fois inquiétante, naïve et touchante dans le regard et les gestes du personnage. Un mélange assez subtil pour rester à ce jour inégalé (même par Robert de Niro).

Côté musique, le réalisateur fait la rencontre de Franz Waxman (2 oscars et 12 nominations au compteur), cador de la mise en musique, lors d’une soirée pendant laquelle il lui demande une partition aux cordes dissonantes capable de saisir le public d’effroi. Le résultat, splendide, fera date. Toutefois, le chantier est copieux et la préparation du film sera un véritable marathon de quatre années ! Les versions du script s’enchaîneront au même rythme que les auteurs (Robert Florey, Tom Reed, L. G. Blochman, Philip MacDonald, John L. Balderston et finalement William J. Hurlbut et Edmund Pearson), le génial maquilleur Jack Pierce perfectionne son étude (la coiffure de la Fiancée est prodigieuse) alors que le décorateur Kenneth Strickfaden épate dans la construction du laboratoire et l’ambiance gothique générale.

« I’ve been cursed for delving into the mysteries of life! »

Pourtant, si tout est fait dans les règles, le film sera finalement bien plus ambigu et bizarre que ne laissait présager le sujet et ce, malgré la commission de censure biberonnée au tiste Code Hays qui rabotera ici et là quelques idées immorales trop apparentes. En jouant sur l’inversion des rôles qui voit un monstre au cœur d’enfant rechercher l’amour face au maboul docteur Pretorius qui fantasme de créer une nouvelle race par l’union des ces deux créations, le film déploie des trésors de messages sous-jacents allant de la déconstruction des rites catholiques à une possible lecture gay équivoque (l’hermite qui s’ébroue avec le Monstre, les rapports entre ce dernier et Frankenstein). Cette dernière option est renforcée par l’homosexualité affirmée d’un artiste assez excentrique pour son époque, comme en témoigne le film Gods and Monsters de Bill Condon (1998) avec Ian McKellen dans le rôle du cinéaste. Mais l’intelligence de The Bride of Frankenstein repose également sur le côté carrément malin de James Whale. En décidant d’introduire le film par une conversation entre Lord Byron, Percy Shelley et Mary, la femme de ce dernier, il conforte l’idée d’une suite logique et pourtant surprenante : le parfait exemple de ce rebrousse-poil étant de cacher au générique le fait que l’actrice Elsa Lanchester (quel regard !) qui interprète Mary Shelley joue également le rôle de La Fiancée ! A méditer. Et si la Femme, prétendue au centre du film, laisse sa place aux turpitudes masculines qui le composent, ce n’est qu’un paradoxe plutôt cocasse qui permet la multiplication des symboliques ambigües.

« She hate me! Like others! »

Si le Monstre est absent une bonne partie du film, Frankenstein (Colin Clive) au trente sixième dessous est quasiment remplacé par l’énigmatique et exubérant Pretorius (Ernest Thesiger) – un rôle qui aurait été envisagé pour Bela Lugosi (Dracula) afin de réunir les deux stars du genre de l’époque. En articulant une mise en scène baroque et inventive sur des discours politiques (lynchage des villageois, rejet de la différence, folie collective), théologiques (se prendre pour Dieu) et intimistes (la conscience de soi, le bien le mal), James Whale bâti des séquences cultes : la rencontre avec l’hermite, la création de la Fiancée, la présentation des modèles réduits d’humains, la résignation suicidaire du Monstre et sa larme d’humanité versée avant un dernier geste, tragique.

« You stay we belong dead. »

Même si la fin fut bricolée, histoire d’avoir le happy-end demandé par la production (Frankenstein et sa femme devaient mourir dans le dénouement apocalyptique ; les puristes pourront d’ailleurs observer un plan où le savant gît sous les décombres), Bride of Frankenstein se révèle un film majeur du genre fantastique, le point culminant d’un mythe maintes fois adapté au cinéma. Le film sera d’ailleurs une référence souvent citée plus ou moins explicitement (Frankenstein Junior de Mel Brooks, 1974) et même revu à la baisse dans d’improbables resucées (La Promise, de Franc Roddam). Toujours est-il qu’à la suite de ce chef-d’œuvre, James Whale vit sa carrière décliner rapidement après l’échec critique de The Road Back (1937), suite assumée du magnifique roman de Erich Maria Remarque, À L’Ouest Rien de Nouveau. Quelques productions de série B plus tard, l’ancien dessinateur humoristique finira étrangement au fond de sa piscine, suicide pour les uns, meurtre déguisé pour les autres. Un mystère de plus dira-t-on. Mais ceci est une autre histoire…

BRIDE OF FRANKENSTEIN de JAMES WHALE

La Fiancée de Frankenstein - James Whale (1935)

Titre : La Fiancée de Frankenstein
Titre original : Bride of Frankenstein

Réalisé par : James Whale
Avec : Boris Karloff, Colin Clive, Valerie Hobson, Ernest Thesiger, Elsa Lanchester, Una O’Connor…

Année de sortie : 1935
Durée : 75 minutes

Scénario : William Hurbult
Image : John J. Mescall
Musique : Franz Waxman
Effets Spéciaux : John P. Fulton
Maquillage : Jack P. Pierce

Nationalité : États-Unis
Genre : Fantastique, drame
Format :  Noir et blanc

Synopsis : Le Dr Frankenstein et sa créature ont survécu. Un savant fou, le Dr Pretorius, kidnappe la femme du Dr Frankenstein, et l’oblige à tenter de nouveau l’horrible expérience, dans le but cette fois de créer un monstre féminin…

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